top of page
Photo du rédacteurLucienne

Le roi-grenouille ou Henri-de-fer

... un conte des frères Grimm

... illustré par Walter Crane


Texte intégral. Texte et illustrations dans le domaine public.


Charles Robinson

Illustration de couverture par Charles Robinson


Au temps jadis, où les enchantements étaient encore en usage, vivait un roi dont les filles étaient toutes belles. Mais la plus jeune était si belle, que le soleil lui-même, qui en a pourtant tellement vu, ne pouvait s’empêcher de l’admirer à chaque fois qu’il éclairait son visage. Près du château du roi, se trouvait une grande forêt sombre, et, dans cette forêt une fontaine, sous un vieux tilleul. Dans la journée, au moment où il faisait le plus chaud, la fille du roi se rendait dans la forêt et s’asseyait au bord de la claire fontaine. Puis, quand elle s’ennuyait, elle prenait une boule d’or qu’elle jetait en l’air et rattrapait au vol : c’était là son amusement favori.

Or, il arriva une fois que la boule d’or de la princesse ne retomba pas dans sa petite main tendue en l’air, mais à terre, d’où elle roula aussitôt dans la fontaine. La fille du roi la suivit des yeux, mais la boule avait disparu, et la fontaine était si profonde qu’on n’en voyait pas le fond. Elle se mit alors à pleurer, de plus en plus fort, sans pouvoir se consoler. Une voix lui cria alors :

« Princesse, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu pleures de façon à attendrir une pierre !

Elle se regarda autour d’elle pour chercher d’où venait cette voix, et aperçut une grenouille qui tendait sa tête épaisse et hideuse hors de l’eau.


illustré par Walter Crane

— Ah ! C’est toi, vieille clapoteuse, lui dit-elle. Je pleure ma boule d’or qui est tombée dans la fontaine.

— Calme-toi, le mal est réparable. Mais que me donneras-tu, si je te rapporte ton jouet ?

— Tout ce que tu voudras, très chère grenouille, répondit-elle. Mes vêtements, mes perles, mes diamants, et même la couronne d’or que je porte.

— Je ne veux ni tes vêtements, ni tes perles, ni tes diamants, ni ta couronne d’or. Seulement, si tu veux être mon amie, si tu me permets d’être ta camarade et de m’asseoir à coté de toi à table, de manger dans ta petite assiette d’or, de boire à ton gobelet, et de coucher dans ton petit lit ; si tu me promets tout cela, je plongerai au fond de l’eau pour te rapporter ta boule d’or.

— Oh, oui ! Je te promets tout ce que tu voudras !

Mais en même temps, la princesse pensait tout bas :

— Bah ! Comment cette sotte grenouille, qui est toujours à coasser dans l’eau avec ses pareilles, deviendrait-elle la camarade d’une personne humaine ? »

Aussitôt la promesse reçue, la grenouille plongea, et revint à la nage un moment plus tard : elle avait la boule dans la gueule, et la jeta dans l’herbe. La fille du roi fut enchantée en revoyant son splendide jouet. Elle le ramassa aussitôt, et s’enfuit.

« Attends-moi donc ! Attends-moi ! lui cria la grenouille. Prends-moi dans ta main ; je ne puis pas marcher si vite que toi ! »

Mais tous ses croâ, croâ ne lui servirent à rien : la fille de roi n’y faisait pas attention, et courait toujours vers le château, où elle eut bientôt oublié la pauvre grenouille, qui fut obligée de redescendre dans sa fontaine.


Le lendemain, alors qu’elle venait de se mettre à table avec le roi et toute la Cour, assise devant sa petite assiette d’or, voilà que quelque chose se mit à grimper l’escalier de marbre, en faisant : plitch ! platch ! plitch ! platch ! une fois arrivé en haut, la chose frappa à la porte en criant :

« Princesse, ouvre-moi ! »

La fille du roi se leva pour aller voir qui l’appelait ainsi, et voilà qu’en ouvrant la porte, elle aperçut la grenouille !


illustré par Walter Crane

Elle referma brusquement, et vint se remettre à table, avec une mine très préoccupée. Le roi s’en aperçut parfaitement, et lui demanda :

« Mon enfant, de quoi as-tu peur ? Est-ce un géant, qui est à la porte et qui veut t’emporter ?

— Oh, non ! répondit-elle, ce n’est pas un géant, mais une affreuse grenouille.

— Et que veut-elle ?

— Mon Dieu, cher papa ! Hier, quand j’étais assise dans le bois, près de la fontaine, ma boule d’or est tombée dans l’eau. Comme je la pleurais bien fort, la grenouille me l’a rapportée, et comme elle y avait mis cette condition, je lui ai promis qu’elle serait ma camarade. Je pensais qu’elle ne sortirait jamais de sa fontaine ! À présent, elle est à la porte et veut entrer.

En effet, on frappait pour la seconde fois, en criant :


‘Fille du roi, la plus jeune, ouvre-moi !

As-tu oublié ce que j’ai fait pour toi,

Plongeant dans l’eau froide de la fontaine,

Pour sauver ton jouet d’une perte certaine ?’


— Une promesse est une promesse, dit le roi. Va lui ouvrir.

Elle alla donc ouvrir la porte, et la grenouille entra en sautillant derrière elle, jusqu’au pied de sa chaise.

— Allons, maintenant, soulève-moi, et pose-moi auprès de toi !

Mais la princesse s’y refusait. Son père dut le lui ordonner. Une fois posée sur une chaise, la grenouille sauta sur la table, et reprit :

— Maintenant, approche un peu ta petite assiette d’or, afin que nous puissions manger ensemble.

La princesse approcha son assiette, mais on voyait bien que c’était à contrecœur.


illustré par Walter Crane

La grenouille se régalait, mais chaque morceau lui bouchait presque le gosier.

— Allons, j’ai assez mangé, reprit-elle enfin, et je suis fatiguée. Emmène-moi là-haut dans ta petite chambre, et fais apprêter ton petit lit de soie, afin que nous nous reposions ensemble.

La fille du roi se mit alors à pleurer. Elle avait si peur de cette grenouille froide, qu’elle n’osait même pas la toucher ! Et voilà maintenant que celle-ci prétendait coucher dans son petit lit tout propre ! Mais le roi se fâcha et reprit :

— Tu n’as aucun droit de mépriser celle qui t’a secourue dans ta détresse ! Prends-la du bout des doigts, porte-la là-haut, et mets-la dans un coin.

Mais quand la princesse fut au lit, la grenouille se traîna vers elle en disant :

— Je suis fatiguée, et je veux dormir aussi confortablement que toi. Pose- moi près de toi, ou je le dirai à ton père.

La princesse devint furieuse ; elle se saisit de la grenouille et la lança, de toutes ses forces, contre le mur, en s’écriant :

— Tiens ! Vilaine grenouille, repose-toi maintenant à ton aise ! »

Quand celle-ci retomba, ce n’était plus une grenouille, mais un beau prince aux yeux charmants, qui, conformément au désir de son père, devint son camarade et son mari. Il lui raconta qu’il avait été ensorcelé par une méchante fée, et que personne à part elle, n’avait pu le sauver de la fontaine Le lendemain, ils partiraient ensemble pour son royaume. Là-dessus, ils s’endormirent.


illustré par Walter Crane

Quand le soleil les réveilla, une voiture arriva, traînée par huit chevaux blancs, la tête ornée de plumets blancs, et attelés au moyen de chaînes d’or, sous la conduite du domestique du jeune prince, qui était le fidèle Henri. Ce dernier avait été tellement désolé en voyant son maître changé en grenouille, qu’il avait fait cercler son cœur de trois cercles de fer, pour l’empêcher d’éclater de douleur et de tristesse.

Mais il fallait que la voiture emmenât le jeune roi dans son royaume. Le fidèle Henri les installa tous deux dedans, et monta à l’arrière, ravi de cette délivrance. Quand on eut fait un bout de chemin, le prince entendit derrière lui un craquement, comme si quelque chose venait de se rompre. Il se retourna brusquement en criant :

« Attention, Henri ! Notre voiture est en train de se briser !


illustré par Walter Crane

— Non, maître, n’ayez peur. Ce n’est pas la voiture…


C’est un cercle de fer, qui contenait mon cœur,

Constamment sur le point d’éclater de douleur,

Depuis que cette fée, en proie à tant de haine,

Vous changea en grenouille, au fond de la fontaine »


Un second craquement, puis un troisième, se firent entendre le long de la route. C’étaient les deux derniers cercles qui se brisaient, tant le fidèle Henri était content de voir son maître délivré et rendu au bonheur.

Comments


bottom of page