... un conte des frères Grimm
... avec des illustrations de Grace G Drayton
Texte intégral. Texte et illustrations (sauf première et dernière) dans le domaine public.
Ce conte s'intitule parfois Mère Holle ou Dame Holle.
Illustration de couverture par Olga Kondakovah
Il était une fois une veuve qui avait deux filles ; l’une était soignée et laborieuse, mais l’autre était négligée et paresseuse.
Cependant, c’était la paresseuse qu’elle préférait ; il fallait donc que l’autre fît toute la besogne, et fût le souffre-douleur de toute la maison. La pauvre enfant restait toute la journée assise à filer auprès d’un puits, sur le bord de la route, et elle filait tant et tant que ses doigts en saignaient. Or, il arriva un jour que ses doigts saignèrent tant que le fuseau fut recouvert de sang. Elle le trempa dans le puits pour essayer de le laver, mais il lui glissa de la main, et tomba dans l’eau.
Elle se mit à pleurer et courut à sa mère lui raconter ce qui était arrivé. Celle-ci la gronda très fort, et lui dit :
« Puisque tu as laissé tomber le fuseau, il faut aller le chercher. »
Alors la pauvre enfant retourna au puits, ne sachant comment s’y prendre pour retrouver le fuseau ; et, dans son chagrin, elle tomba dans l’eau et perdit connaissance. Quand elle revint à elle, elle se trouva dans une prairie magnifique, où le soleil brillait avec éclat, et où il y avait des milliers de fleurs.
Elle marcha le long de la prairie, et arriva à un four qui était rempli de pain. Le pain lui dit :
« Retire-moi de là ! Retire-moi de là ! Ou je serai tout brûlé. Il y a suffisamment longtemps que je suis à cuire. » Alors elle avança rapidement, et retira le pain.
Un peu plus loin, elle vit un arbre couvert de pommes, et l’arbre lui dit :
« Oh, secoue-moi ! Secoue-moi ! Toutes mes pommes sont mûres ! » Et elle secoua l’arbre, et voilà les pommes qui tombent, tant et si bien qu’il n’en resta plus une seule.
Enfin, elle arriva à une petite maison, où une petite vieille regardait par la porte. Elle avait une telle rangée de grandes dents que la pauvre enfant, effrayée, voulut s’enfuir ; mais la vieille lui cria :
« N’aie pas peur, ma chère petite, reste avec moi. Si tu veux faire mon ménage bien proprement je serai bonne pour toi ; seulement aie soin de bien faire mon lit, et de le battre soigneusement tous les matins, afin que les plumes puissent s’envoler, car alors, les gens disent qu’il neige. Je suis la Mère Hiver ! »
La vieille femme lui parlait de façon si agréable que la jeune fille accepta et se mit à l’ouvrage. Elle prenait grand soin de faire tout ce qu’elle pouvait pour lui plaire, et secouait toujours le lit avec soin, si bien qu’elle menait une vie très heureuse chez la vieille : pas une parole de colère, et de la viande rôtie ou bouillie tous les jours, pour son dîner et son souper.
Or, il arriva qu’après être restée longtemps chez la vieille, elle se sentit le cœur triste ; et bien qu’elle fût mille fois plus heureuse qu’elle n’avait jamais été, elle soupirait après la maison maternelle. À la fin elle dit à sa maîtresse :
« Bien que j’aie souvent souffert à la maison, et bien que je sois si heureuse ici, je ne peux cependant pas rester plus longtemps.
La Mère Hiver lui répondit :
— Je suis heureuse de voir que tu regrettes ton foyer ; et comme tu m’as servie fidèlement, je tiens à te reconduire moi-même. »
Elle prit la jeune fille par la main et la mena sous une grande porte : quand cette porte s’ouvrit et que la jeune fille en franchit le seuil, il tomba sur elle une large pluie d’or. Les pièces s’accrochèrent si bien à ses vêtements qu’elle en fut toute recouverte.
« Tout cela est à toi, dit la vieille, parce que tu as été laborieuse. »
Elle lui rendit aussi le fuseau qui était tombé dans le puits. Puis la porte se referma derrière la jeune fille, qui regarda autour d’elle et vit qu’elle se trouvait devant la maison de sa mère. Elle entra dans la cour, et le coq qui était perché sur la fontaine se mit à chanter :
« Cocorico ! Notre demoiselle est revenue, recouverte d’or ! »
Elle entra dans la maison rejoindre sa mère ; et comme elle était toute couverte d’or, elle fut la bienvenue. Quand celle-ci apprit comment elle s’était procuré toutes ces richesses, elle se prit à désirer le même bonheur pour son autre fille ; elle voulut donc qu’elle allât s’asseoir à filer auprès du puits.
Afin que le fuseau fût rouge de sang, elle se piqua les doigts avec, et s’enfonça la main dans un buisson d’épines, par-dessus le marché. Puis elle jeta le fuseau dans le puits et y sauta à son tour.
Comme sa sœur, elle trouva la belle prairie, et prit le même sentier. Quand elle arriva devant le four le pain se mit à crier :
« Oh, retire-moi de là ! Retire-moi de là, ou je serai tout brulé. Voilà assez longtemps que je suis à cuire.
— Voyez-vous cela, dit la paresseuse, je vais me salir pour vous !
Et elle poursuivit sa route. Elle arriva ensuite au pommier qui lui cria :
— Secoue-moi ! Secoue-moi ! Car toutes mes pommes sont mûres !
— Quelle impudence ! répondit-elle. Et si quelques-unes allaient me tomber sur la tête ! »
Et elle passa son chemin. Elle arriva enfin à la maisonnette de la Mère Hiver ; et comme elle avait déjà entendu parler de sa rangée de grandes dents, elle n’eut pas peur, et accepta volontiers d’entrer à son service.
Le premier jour, elle se conduisit très bien ; elle travailla beaucoup, et fit tout ce que la vieille lui ordonna, car elle pensait à l’or qu’elle lui donnerait ; mais le lendemain, elle commença à faire la paresseuse, et le troisième jour, encore plus. Et puis elle fit le lit de la vieille fort mal, et ne le secoua pas comme elle aurait dû pour en faire tomber les plumes. Tout cela irrita bientôt la vieille, qui la renvoya ; mais la jeune fille s’en réjouit ; car elle se disait que la pluie d’or allait bientôt venir.
La Mère Hiver la mena à la porte ; mais au lieu d’or, il se mit à pleuvoir de la suie. « Voilà la récompense de tes services ! » dit la vieille ; et elle referma vite la porte. La paresseuse s’en revint donc chez elle dans cet état. Quand il la vit, le coq perché sur le mur se mit à chanter :
« Cocorico ! Notre demoiselle est revenue, recouverte de suie ! »
Et la suie tenait si bien que jamais personne ne put l’enlever !
Illustration de Felicitas Kuhn
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