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La princesse grenouille

... conte traditionnel russe
… avec des illustrations de Tatiana Mavrina


Veuillez noter que les illustrations de ce conte ne sont pas dans le domaine public.


Illustration de Gennady Spirin

Illustration de Gennady Spirin

 

Il était une fois un tsar qui avait trois fils. À leur majorité, leur père les fit quérir et leur dit :

« Fils, avant de mourir, je voudrais contempler mes petits-enfants.

— Père, répondirent-ils, donnez-nous votre bénédiction. Mais qui devons-nous épouser ?

— Fils, répliqua le tsar, allez dans la campagne avec vos arcs, tirez une flèche ; là où elle tombera, vous trouverez votre femme. »


 Illustrations de Tatiana Mavrina

Les jeunes gens saluèrent respectueusement et partirent. La flèche de l’ainé tomba dans la cour d’un seigneur, dont la fille la ramassa. La flèche du cadet atterrit dans la cour d’un marchand et fut récupérée par sa fille.

Mais la flèche du plus jeune, le prince Ivan, alla si haut et si loin qu’il la perdit de vue. Il la cherchait lorsque, près d’une mare, il aperçut une grenouille qui tenait le projectile dans sa bouche.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

« Grenouille, lui dit-il, rends-moi ma flèche !

-— Alors, prends-moi pour femme ! rétorqua-t-elle.

— Voyons ! Comment pourrais-je épouser une grenouille ?

— Mais il le faut, c’est la volonté du tsar. »

Le prince essaya de se dérober, mais en vain, et il lui fallut accepter de ramener l’animal. Le tsar maria donc ses trois fils ; après les noces, il leur dit :

« Je veux savoir qui, de vos femmes, est la plus habile couturière. Chacune me fera une chemise pour demain. »

Très inquiet, Ivan rentra chez lui et la grenouille lui demanda la cause de son souci.

« Père veut que tu lui fasses une chemise pour demain.

— Ne te tracasse pas, Ivan, répondit-elle, va te coucher, cela ira mieux après. »

Pendant le sommeil de son mari, la grenouille se débarrassa de sa peau et se changea en la ravissante et sage princesse Vassilisa. Elle frappa dans ses mains et douze jeunes garçons apparurent. Elle leur dit :

« Écoutez-moi bien. Je veux, pour demain matin, une chemise aussi belle que celles de mon père. »

À son réveil, le prince vit la grenouille qui sautillait sur le plancher, et une chemise attendant sur la table. Ravi, il la prit et la porta à son père.

« Voilà une chemise très ordinaire, murmura le tsar devant celle faite par la femme de l’ainé.

— Elle n’est utilisable que pour prendre un bain, ajouta-t-il en regardant celle que lui présentait le cadet.

Ivan déploya alors la sienne, une magnifique chemise brodée de fils d’or et d’argent.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

— En voilà une, s’exclama le tsar, que l’on peut vraiment garder pour les grandes occasions ! Nous nous sommes moqués un peu hâtivement de la femme d’Ivan, se dirent les frères, ce n’est pas une grenouille, c’est une sorcière ! »

Le tsar fit de nouveau quérir ses fils et leur dit :

« Je veux savoir qui, de vos femmes, est la meilleure cuisinière. Que chacune me prépare une miche de pain pour demain matin. »

Ivan rentra chez lui tout malheureux, et la grenouille lui demanda la raison de ses tracas.

« Voilà, expliqua-t-il. Père veut que tu lui fasses cuire une miche de pain pour demain.

— Ne te fais donc pas de souci, le consola-t-elle, va te coucher, tu te sentiras mieux ensuite. »

Les épouses des deux fils ainés avaient d’abord ri de celle d’Ivan ; mais cette fois, elles envoyèrent une vieille servante épier la grenouille et voir comment elle s’y prenait. Celle-ci, qui était astucieuse, devina leurs intentions. Elle fit un trou dans le four, pétrit de la pâte et la versa dedans. La vieille femme rapporta ce qu’elle avait vu, et les deux épouses firent de même.

Pendant qu’Ivan dormait, la grenouille se changea en princesse Vassilisa ; elle frappa dans ses mains, et, aussitôt, ses fidèles serviteurs se montrèrent. Elle leur ordonna :

« Préparez-moi pour demain matin du bon pain blanc, comme celui que je mangeais chez mon père. »


 Illustrations de Tatiana Mavrina

À son réveil, Ivan vit la miche posée sur la table, une miche toute décorée et représentant les murs et les portes d’une ville. Il partit, heureux, la porter au palais.

Les épouses des ainés, qui avaient seulement versé leur pâte dans un trou du four, n’avaient à présenter que des charbons calcinés. Le tsar prit le pain brulé de l’ainé et l’envoya aussitôt aux communs ; il fit de même avec celui du cadet ; mais, devant celui d’Ivan, il s’exclama :

« En voilà un que l’on peut servir en de grandes occasions ! »

Il fit ensuite préparer un banquet et y convoqua ses fils ainsi que leurs épouses. Ennuyé de devoir amener sa femme-grenouille au festin, Ivan rentra chez lui tête basse. Comme d’habitude, la bête sautillait par terre ; elle lui demanda la raison de son air soucieux. Ivan lui expliqua :

« Père veut maintenant que tu viennes à un banquet. Jamais je n’oserai te montrer, toi, une grenouille !

— Ne te tracasse donc pas, répondit-elle, vas-y, moi, j’irai plus tard. Quand tu entendras le tonnerre suivi d’un coup à la porte, n’aie pas peur et dis :

« Voilà ma petite grenouille qui arrive dans sa petite boite ! »

Ivan se rendit donc seul au banquet. Ses frères, accompagnés de leurs épouses fardées, poudrées, vêtues de beaux atours et parées de bijoux, se moquèrent d’Ivan :

« Pourquoi viens-tu sans ta femme ? Tu aurais pu l’amener dans un mouchoir. Tu as du fouiller tous les marais pour dénicher pareille beauté ! »

Les convives prirent place à table. On allait commencer le repas quand le tonnerre gronda soudain. Les invités sursautèrent, mais le prince Ivan les rassura :

« Ne craignez rien, dit-il, ce n’est que ma gentille grenouille, qui arrive dans sa petite boite. »


 Illustrations de Tatiana Mavrina

Au même moment, un carrosse doré, tiré par six chevaux blancs, fit halte devant le porche et la princesse Vassilisa en descendit. Vêtue d’une robe bleue parsemée d’étoiles, la tête couronnée d’un diadème, elle était si belle que tous en restèrent ébahis. Ivan, la prenant par la main, la conduisit à table. On se mit à festoyer joyeusement. Cependant Vassilisa ne but qu’une gorgée de vin et versa le reste de son verre dans sa manche gauche. Elle ne grignota qu’une bouchée de sa viande de cygne et mit les os dans sa manche droite. L’ayant observée, ses belles-sœurs l’imitèrent.

Après le repas, on dansa ; la grâce et la beauté de Vassilisa suscitèrent l’admiration générale. Elle agita sa manche gauche et un lac se forma dans le hall ; des cygnes blancs sortirent de sa manche droite et se mirent à évoluer sur l’eau. Toute l’assemblée fut saisie d’admiration.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

Mais lorsque les épouses des aînés dansèrent, elles aspergèrent les invités de vin, et des os seulement tombèrent à chacun de leurs mouvements.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

 

Le tsar en reçut un dans l’œil, et, furieux, il les chassa du palais.

Pendant ce temps, Ivan s’éclipsait, rentrait chez lui, et, ramassant la peau de grenouille, la fit brûler dans le poêle. À son retour, Vassilisa ne la trouva plus, et, s’asseyant tristement sur un banc, elle dit à son mari :

« Ah ! Ivan ! Qu’as-tu fait ? Si tu avais pu attendre seulement trois jours de plus, je t’aurais appartenu pour la vie !

Maintenant, je dois partir. Viens me chercher dans le trentième royaume, plus loin que trois fois neuf pays. J’y serai avec Kashchey l’Immortel. »


 Illustrations de Tatiana Mavrina



 Illustrations de Tatiana Mavrina

Ivan lui raconta son histoire et le vieux lui dit :

« Ah ! Prince ! Pourquoi avoir jeté au feu la peau de grenouille ? La sage Vassilisa naquit plus intelligente et plus douée que son père. Celui-ci en conclut un tel dépit qu’il la condamna à tester grenouille pendant trois ans. On ne peut défaire ce qui est fait ! Cependant, prends cette balle, lance-la et suis-la, elle te conduira au bon endroit. »



 Illustrations de Tatiana Mavrina

Ivan chemina donc derrière la balle.

En pleine campagne, il rencontra un ours ; il allait le tuer quand l’animal lui dit :

« Ne me tue pas, prince Ivan, un jour viendra où je te rendrai service. »

Le prince eut pitié et continua son voyage. Plus loin, il vit une cane qui volait et il s’apprêta à la tirer :

« Ne me tue pas, supplia-t-elle, un jour viendra où je te rendrai service. »

Il la laissa donc aller. Un lièvre ensuite vint à passer. Au moment où Ivan le visait, l’animal lui dit :

« Ne me tue pas, Prince, un jour viendra où je te rendrai service. »

Puis un brochet, échoué sur le sable et pouvant à peine respirer, l’implora :

« Aie pitié de moi, prince Ivan, je ne peux vivre ici ! »

Il jeta le brochet à l’eau et, toujours suivant sa, balle, il marcha le long du rivage jusqu’à l’orée d’un, bois ; là, se tenait une petite hutte, perchée sur une patte de poulet, et qui pivotait sans arrêt.







 Illustrations de Tatiana Mavrina

« Hutte ! Petite hutte ! ordonna-t-il, ne bouge plus, reprends ta position première, le dos à la forêt et la face vers moi. »

La petite hutte obéit. Ivan y pénétra et vit une vieille sorcière, Baba Yaga, allongée sur un fourneau, le menton posé sur une étagère et le nez collé au plafond.

« Que viens-tu faire ici, jeune homme ? dit-elle, chercher la fortune, ou la perdre ?

— Espèce de mégère ! répondit le prince. Avant de parler, tu ferais mieux de me donner à boire, à manger et un bon bain. »

Quand ce fut fait, le prince lui raconta son histoire d’un bout à l’autre.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

« Je sais, je sais ! répondit la sorcière. Kashchey l’Immortel garde ta femme et ce sera très difficile de la lui reprendre. Kashchey ne peut mourir que piqué par la pointe d’une certaine aiguille. Cette aiguille se trouve dans un œuf, l’œuf dans un canard, le canard dans un lièvre, le lièvre dans un coffre de pierre, et le coffre à la cime d’un chêne creux. Kashchey l’Immortel surveille jalousement cet arbre, auquel il tient comme à la prunelle de ses yeux. »

La vieille en indiqua ensuite l’emplacement à Ivan. En effet, tout en haut du chêne, si haut qu’il lui était bien impossible de l’atteindre, il aperçut le coffre.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

Tout à coup, un ours accourut, secoua l’arbre et le coffre tomba par terre, éventre. Un lièvre en sortit et détala ; mais un second lièvre le pourchassa, le rattrapa et le mit en pièces. Un canard alors s’éleva dans le ciel à tire d’aile, mais une cane fondit sur lui.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

Un œuf tomba, mais il s’enfonça dans la mer ; un brochet sortit de l’eau, l’œuf dans sa bouche. Ivan cassa l’œuf, sortit l’aiguille, en rompit la pointe, et Kashchey eut beau se débattre, il ne put rien faire… et il mourut !

Le prince se rendit ensuite au palais de pierre blanche de Kashchey l’Immortel pour délivrer la sage princesse Vassilisa.


 Illustrations de Tatiana Mavrina

Ils rentrèrent tous les deux dans leur pays, et y vécurent des jours heureux jusqu’à un âge avancé.



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