... un conte traditionnel russe
Seules les illustrations de Bilibine sont dans le domaine public.
Illustration de couverture par Gennady Spirin
Il était une fois un tsar du nom de Berendey, qui avait trois fils. Autour de son palais, s’étendait un verger magnifique où poussait un pommier merveilleux, couvert de pommes d’or.
Un jour, le tsar constata que ses fruits disparaissaient. Furieux, il envoya ses gardes pour capturer le voleur, mais ce fut en vain. Le voyant dépérir de chagrin, l’aîné de ses fils lui dit : « Père, j’irai moi-même faire le guet dans le verger. »
Il s’y rendit tôt dans la soirée, ne vit personne, et, s’allongeant sur l’herbe, il s’endormit.
Le lendemain, le tsar lui demanda :
« Quelle bonne nouvelle m’apportes-tu ? As-tu enfin trouvé le voleur ?
— Non, Père, répondit le fils, et pourtant je n’ai pas fermé l’œil un instant. »
Le second soir, le cadet monta la garde ; lui aussi, il dormit toute la nuit, et, le lendemain, il dit à son père que, malgré sa vigilance, il n’avait pas aperçu le moindre voleur.
Ce fut ensuite le tour du plus jeune, le prince Ivan. Lui, ne voulut ni s’asseoir, ni s’étendre, et, pour rester éveillé, il se frictionna le visage avec de la rosée. Au milieu de la nuit, il crut distinguer dans le verger une lumière. Elle devint si brillante, que tous les arbres s’illuminèrent. Il vit alors qu’elle venait d’un oiseau de feu qui, perché sur le pommier, picorait les pommes d’or. Se faufilant sans bruit, Ivan s’approcha et attrapa l’oiseau par la queue ; celui-ci, déployant ses ailes, s’envola, laissant une plume dans la main du prince.
Illustration d'Ivan Bilibine
Le lendemain, son père lui dit :
« Alors, Ivan, connais-tu le coupable ?
— Cher Père, répondit Ivan, je ne l’ai pas capturé, mais je sais maintenant qui mange vos pommes : c’est l’Oiseau de Feu. Pour le prouver, voici une plume de sa queue. »
Illustration d'Alexander Lindberg
Le tsar oublia le chagrin que lui causait la perte de ses fruits. Néanmoins, l’existence de cet oiseau le préoccupait. Un jour, il fit quérir ses fils, et leur dit :
« Chers enfants, prenez de bons chevaux, parcourez le monde et ramenez-moi l’Oiseau de Feu. »
Les jeunes gens se mirent en route : l’aîné partit dans une direction, le second dans une autre, et le prince Ivan dans une troisième.
Au bout de quelques heures, Ivan, fatigué par la chaleur d’une belle journée d’été, descendit de cheval et s’allongea pour dormir. À son réveil, il s’étonna de ne pas voir sa monture, et, cherchant partout, il finit par la découvrir, mais hélas ! Ce n’était plus qu’un tas d’os rongés ! Désespéré, Ivan poursuivit son chemin à pied ; il marcha, marcha, et, épuisé, tout triste et tout songeur, il s’assit sur l’herbe.
Illustration d'Ivan Bilibine
Soudain, un loup gris surgit, et demanda :
« Pourquoi cet air si malheureux, prince Ivan ?
— Je suis très ennuyé, car j’ai perdu mon bon cheval.
— Ne m’en veux pas trop, prince : j’avais si faim que je l’ai mangé, répondit le loup. Explique-moi donc la raison et le but de ton voyage.
— Mon père m’a envoyé à la recherche de l’Oiseau de Feu.
— Eh bien, même si tu avais chevauché pendant trois ans, tu ne l’aurais pas trouvé, car moi seul sais ou il demeure. J’ai dévoré ton cheval, aussi, dorénavant, je serai à ton service. Monte sur mon dos et tiens-toi bien. »
Illustration d'Alexander Lindberg
Illustration de Gennady Spirin
Apres avoir franchi des forêts et des lacs, ils arrivèrent devant une très haute forteresse. Le loup gris dit à Ivan :
« Écoute-moi attentivement, et souviens-toi de mes paroles. Grimpe sur ce mur. Tu ne risques rien, tous les gardes dorment. Dans le grenier, tu verras une petite fenêtre ; à la fenêtre, une cage d’or est suspendue, porte ouverte. L’Oiseau de Feu s’y trouve. Prends-le, mais, surtout, ne touche pas à la cage. »
Le prince obéit. En effet, l’Oiseau de Feu était là, dans sa cage d’or, accrochée à la fenêtre du grenier. Ivan le saisit, et le cacha sous son manteau. Mais devant cette cage en métal précieux, il oublia les recommandations du loup. À peine l’eut-il touchée que l’alarme fut donnée. Les roulements des tambours et les sonneries des trompettes réveillèrent les gardes. Ivan, prisonnier, fut amené auprès du tsar Afron.
Illustration de Nikolaj Kochergin
« Qui es-tu et d’où viens-tu ? demanda le tsar en courroux.
— Je suis le prince Ivan, fils du tsar Berendey.
— Quelle honte ! Le fils d’un tsar, venir ici pour voler !
— C’est vrai, admit le prince, mais votre oiseau est allé dans notre verger dérober nos pommes d’or.
— Si tu m’avais demandé mon oiseau, je te l’aurais donné, par respect pour ton père. À présent, pour obtenir mon pardon, tu me rendras un service. Je sais qu’un tsar du nom de Kusman possède un cheval à la crinière d’or. Amène-le-moi et je te ferai cadeau de l’Oiseau de Feu et de sa cage. »
Ivan, découragé par l’ampleur de cette tâche, alla raconter son histoire au loup gris qui lui dit :
« Je t’avais défendu de toucher à la cage, pourquoi m’as-tu désobéi ?
— J’ai eu tort, loup gris, je le sais, pardonne-moi.
— C’est très facile de demander pardon ! riposta le loup, qui ajouta : Allons, grimpe sur mon dos, et en avant ! »
Ils reprirent la route tous les deux. Au pied de la forteresse du tsar Kusman, le loup dit à Ivan :
« Monte sur le mur. N’aie pas peur, les gardes dorment. Va à l’écurie et ramène le cheval. Mais, surtout, ne touche pas à sa bride. »
Le prince pénétra donc dans la forteresse, et vit les gardes endormis. Il se dirigea vers l’écurie et y trouva, tout harnaché, le cheval à la crinière d’or. Ses veux tombèrent alors sur la somptueuse bride, tout en or et incrustée de pierres précieuses. Il s’en saisit et déclencha ainsi l’alarme. Les roulements des tambours et les sonneries des trompettes éveillèrent les gardes, qui s’emparèrent du prince et le conduisirent devant le tsar Kusman.
« Qui es-tu et d’où viens-tu ? demanda le tsar à Ivan.
— Je suis le prince Ivan, fils du tsar Berendey.
— C’est faire preuve de peu de sagesse que de vouloir voler un cheval ! Cependant, si tu me rends un service, je te relâcherai. Je sais qu’un tsar du nom de Dalmat a une fille, la belle Helène. Va la chercher, amène-la-moi, et je te donnerai le cheval à la crinière et la bride d’or. »
Encore plus désespéré, le prince s’en fut de nouveau voir le loup gris qui lui reprocha :
« Je t’avais prévenu, pourtant, et tu as encore désobéi !
— Je t’en supplie, loup gris, pardonne-moi quand même.
— Facile à dire ! Allons, monte sur mon dos. »
Et les voila partis. Devant la forteresse du tsar Dalmat, le loup dit au prince :
« Cette fois, c’est moi qui y vais. Toi, retourne chez le tsar Afron. Je te rejoindrai. »
Ivan fit demi-tour. Le loup franchit le mur et pénétra dans le jardin. La belle Hélène s’y promenait, avec ses dames d’honneur. Le loup, tapi derrière un buisson, profita d’un moment où elle se tenait un peu à l’écart pour s’emparer d’elle. La jetant sur son dos, et rattrapa Ivan en criant : « Sauvons-nous vite, au cas où l’on nous poursuivrait ! »
Ils s’élancèrent tous les trois, et rejoignirent la forteresse du tsar Kusman. Là, le loup demanda au prince :
« Pourquoi parais-tu si attristé ? Qu’y a-t-il, encore ?
— Je suis triste à la pensée de devoir échanger une si jolie princesse contre un cheval…
— Tu ne seras pas séparé d’elle, promit le loup. Nous allons la cacher quelque part ; je me changerai moi-même en Hélène, et tu m’amèneras chez le tsar. »
Ils laissèrent donc la jeune fille dans une cabane, au milieu de la forêt. Puis, murmurant une formule magique, le loup prit la forme de la princesse. Ivan la conduisit devant le tsar Kusman.
« Je te suis reconnaissant, Prince, de m’avoir donne pour épouse cette ravissante personne, dit le tsar. Voici, comme promis, le cheval à la crinière d’or, ainsi que sa bride. »
Ivan prit le cheval, retrouva la belle Hélène, qu’il fit monter derrière lui, et ils partirent.
Illustration de Nicolai Kochivan
Illustration de Viktor Vasnetsov
Illustration de Gennady Spirin
Pendant ce temps, le tsar Kusman commença les préparatifs des noces, festoya tout le jour et une partie de la nuit, puis conduisit la fausse princesse à sa chambre. S’apercevant alors que ce n’était qu’un loup gris, il s’enfuit, terrifié. L’animal se sauva bien vite et rejoignit Ivan.
« Quel dommage, soupira le prince, de devoir échanger maintenant ce cheval contre l’Oiseau de Feu !
— Ne perds pas courage, je t’aiderai » le rassura le loup.
Et, au pied de la forteresse du tsar Afron, il suggéra :
« Cachons le cheval et la princesse. Je me changerai en cheval à la crinière d’or, et tu me conduiras devant le tsar. »
Murmurant une formule magique, il se métamorphosa en un fougueux animal qu’Ivan présenta au tsar. Celui-ci, tout heureux, remit au prince l’Oiseau de Feu et la cage d’or. Le jeune homme prit ensuite le chemin du retour avec la princesse, le cheval, l’oiseau et la cage.
Pendant ce temps, le tsar se faisait amener sa nouvelle monture. Il s’apprêtait à l’enfourcher lorsque, tout a coup, elle se changea en un loup gris. Terrorisé, le tsar partit se cacher, et l’animal s’enfuit pour rejoindre Ivan.
« À présent, au revoir, dit-il au prince quand il l’eut rattrapé.
Ivan salua bien bas, par trois fois, et remercia le loup.
— Ne me dis pas adieu, car je te rendrai encore service, déclara le loup, avec assurance.
— Bah ! Impossible, puisque tous mes souhaits sont réalisés » pensa Ivan, en reprenant la route.
Avant d’arriver, la petite troupe fit une dernière halte, afin de se restaurer et de se reposer. Le prince, fatigué, s’endormit.
Or ses frères vinrent à passer ; ils avaient cherché partout l’Oiseau de Feu, mais, bien entendu, ne l’avaient pas trouvé. Voyant Ivan en une telle compagnie, ils décidèrent de le tuer pendant son sommeil, et de ramener chez le tsar la princesse, le cheval et l’oiseau.
Illustration d'Alexander Lindberg
Ils abandonnèrent sur les lieux le cadavre du prince, et les corbeaux se rassemblaient déjà au-dessus de lui, quand, soudain, le loup gris surgit. Il s’empara du petit d’une corneille et menaça la mère :
« Je te le rendrai, à la condition que tu ailles me chercher de l’eau pétillante et de l’eau dormante. »
La corneille rapporta vite les deux sortes d’eau. Le loup aspergea alors d’eau dormante les blessures d’Ivan, et celles-ci cicatrisèrent sur-le-champ ; il aspergea Ivan d’eau pétillante et le prince revint à la vie.
« Comme j’ai bien dormi ! dit-il en baillant.
— Tu dormais profondément, en effet ! Mais, sans moi, répliqua l’animal, tu ne te serais jamais réveillé ! Tes frères t’ont tué et ont pris tout ce que tu possédais. Allons, monte sur mon dos ! »
Se lançant à la poursuite des deux frères, le loup les rattrapa et les massacra sans pitié. Ivan remercia de nouveau le loup, lui fit ses adieux et rentra chez lui avec, pour son père, l’Oiseau de Feu, et, pour lui-même, une épouse, la belle Hélène. Il raconta ses aventures, disant combien le loup gris l’avait aidé et comment il lui avait rendu la vie. Le tsar ne déplora guère la perte de ses deux fils aînés. Le mariage du prince Ivan avec la princesse Hélène finit de le consoler, et ils vécurent tous heureux à jamais dans leur palais.
Illustration d'Ivan Bilibine
Commentaires