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Photo du rédacteurLucienne

La fée aux oiseaux

ou Jorinda et Jorindel

... de Richard Lesclide


... d'après un conte des frères Grimm

... illustré par Arthur Rackham


Le texte et les illustrations du conte, sauf couverture, sont dans le domaine public.


Jorinda et Jorindel Grimm Adrienne Adams

Illustration de ejbeachy, sur Deviant Art


Il était une fois un vieux château, situé au milieu d'une grande forêt, et dans ce château habitait seule une vieille et méchante fée. Son pouvoir était très limité, mais il lui suffisait encore pour faire beaucoup de mal dans le pays. Elle rôdait dans la journée autour des habitations, sous la forme d'un chat noir ou d'une chouette ; elle épiait les jeunes filles dont elle aimait beaucoup la compagnie. Mais on la fuyait comme la peste et l’on se moquait d’elle, car sa puissance expirait à cent pas de son château.


Jorinda et Jorindel Grimm Arthur Rackham

Jusqu’à cette distance, ce château maudit avait de terribles pouvoirs. Toutes les jeunes filles qui s’en approchaient étaient changées en oiseaux, et la fée les mettait en cage pour les suspendre aux murs de ses grands appartements. Elle se réjouissait de leur ramage et passait de bonnes journées avec ses prisonnières. Quant aux jeunes gens, à la même distance, la forêt devenait pour eux impénétrable. Malgré tous leurs efforts, ils ne pouvaient approcher du séjour où leurs sœurs et leurs fiancées étaient enfermées.

On disait que la fée avait plus de mille cages suspendues dans de vastes galeries, et il ne se passait pas de mois qu’on ne vît disparaître du pays quelque fille imprudente. C’est que, malgré le danger, ou peut-être à cause du danger même, les amoureux avaient l’habitude de se donner leurs rendez-vous dans cette forêt fatale. Ils se promettaient bien de rester sur la lisière du bois, mais ils l’oubliaient en causant. Ils se promenaient çà et là, ils se trompaient de route en se regardant, et voilà comment les jeunes filles étaient perdues.


Il y avait dans la contrée une charmante enfant qu’on appelait Jorinda. Elle avait seize ans et était d’une beauté parfaite. Un berger, nommé Jorindel, en devint amoureux, et leurs parents s’étant accordés, ils résolurent de se marier. Un jour que, pour être seuls, ils se promenaient dans le bois, Jorindel ne reconnut pas le sentier qu’ils suivaient. Il s’arrêta et dit à son amie :

« Prenons garde d’approcher trop près du château.

— Nous en sommes loin encore » dit la jeune fille, et elle quitta le bras du berger pour cueillir des fleurettes. Jorindel la regardait avec complaisance. Elle était si gracieuse dans ses mouvements et dans ses jeux, qu’il ne pouvait se lasser de la contempler. La soirée était magnifique. Les rayons du soleil couchant brillaient à travers les rameaux verts ; tout semblait respirer la paix et la joie, et Jorindel ne s’expliquait pas la tristesse inquiète qui lui remplissait le cœur.

Tout à coup, il se sentit comme arrêté par un obstacle invisible. Il leva les yeux et devint pâle en apercevant les vieilles murailles du château. Jorinda n’était qu’à quelques pas de lui ; il voulut l’appeler, la voix lui manqua. Il resta muet et immobile, dominé par le pouvoir de la méchante fée.

La jeune fille disparut soudainement, et sur la gerbe de fleurs qu’elle avait cueillie, Jorindel vit palpiter un rossignol, sur lequel planait une énorme chouette. L’oiseau de nuit cria trois fois : « Hou ! Hou ! Hou ! »

Il sembla alors au pauvre berger que ce qu’il avait pris pour un gros oiseau noir n’était qu’une affreuse vieille, pâle, maigre, et dont le nez touchait le menton, si bien qu’il ne savait pas trop si c’était une chouette ou une sorcière.

Il comprit son malheur quand il vit la vieille tirer de son manteau une petite cage et s’emparer du rossignol pour l’y renfermer. Le petit oiseau faisait entendre un ramage douloureux. Jorindel tomba à genoux, supplia la fée en versant un torrent de larmes, et la conjura de lui rendre sa fiancée ; mais elle le regarda d’un air sinistre et lui répondit qu’il ne la reverrait jamais.


Jorindel, au comble de la douleur, ne voulut pas retourner au village. Il résolut de finir ses jours dans la forêt enchantée, afin de vivre aussi près que possible de sa chère Jorinda. Tous les jours, il venait se promener près du château qui renfermait la jeune fille. Mais, à cent pas de ses murs, il se sentait arrêté par une force invisible et ne pouvait rompre l’enchantement.

Une nuit qu’il dormait, accablé de lassitude, il vit en rêve son amie. Elle tenait à la main une belle fleur rouge, au milieu de laquelle était enchâssée une perle d’un grand prix. Elle lui tendit la fleur et lui désigna le château, puis elle s’évanouit lentement.

À son réveil, Jorindel se rappela fort bien les circonstances de ce rêve, mais sans en tirer grand espoir.

« Il n’est pas de fleur, disait-il, et je les connais toutes, qui renferme des perles d’Orient. »


Cependant l’espoir, qui n’abandonne jamais les cœurs sincères, le décida à chercher cette plante par tout le pays. Il parcourut la forêt, la montagne et la vallée pendant une semaine, sans aucun résultat. Le temps était lourd et nuageux, les fleurs étaient sèches et raides sur leurs tiges. Le neuvième jour, le soleil brilla et la nuit fut bleue et sereine. Des milliers d’étoiles brillaient au ciel et une rosée abondante se déposa sur la terre. À la première aurore, Jorindel aperçut un coquelicot des prés qui lui rappela la fleur merveilleuse. Il portait à son centre une goutte de rosée, plus brillante que toutes les perles du monde. Il s’empara de ce talisman et se dirigea en toute hâte vers le château.

Son cœur battit bien fort lorsqu’il se rapprocha des murailles enchantées. Rien ne l’arrêta cette fois. Il fit le tour des créneaux et arriva devant une porte de fer soigneusement fermée. Dès qu’il l’eût touchée de la fleur, elle s’ouvrit avec fracas. Il pénétra dans les appartements, et guidé par des chants d’oiseaux, il arriva à la salle immense où la fée vivait avec ses victimes. Plus de mille rossignols, sansonnets, bouvreuils et fauvettes chantaient dans autant de cages qui tapissaient les murs.

Quand la fée aperçut Jorindel, elle poussa des cris de rage et voulut s’élancer sur lui pour le dévisager. Mais il était protégé par la fleur, qu’il se garda bien de quitter, et la colère de la vieille fut impuissante. Il ne pensait pas d’ailleurs à la vengeance, mais au moyen de reconnaître, au milieu de tant d’oiseaux, celle qu’il aimait. Pendant qu’il réfléchissait à ce qu’il devait faire, il vit la fée décrocher une cage et s’enfuir sournoisement. Il s’élança vers elle, et toucha du coquelicot la cage, qui se brisa subitement. Jorinda parut devant lui et se jeta à son cou.

Apres l’avoir embrassée, il frappa toutes les cages de son talisman. Des centaines de jeunes filles recouvrèrent ainsi leur liberté et les accompagnèrent au village. Cependant la vieille les suivait, en criant comme une pie borgne et en les accablant de malédictions. Jorindel, impatienté, se retourna et la frappa à son tour du coquelicot, dont elle s’était trop approchée. Elle fut aussitôt changée en chouette, mais pour le reste de ses jours.


Jorinda et Jorindel Grimm Arthur Rackham

Jorindel conduisit chez son père sa chère Jorinda. Ils se marièrent et vécurent heureusement de longues années. Quant aux jeunes filles qu’il avait délivrées, quelques-unes trouvèrent leurs fiancés mariés ou infidèles … Mais elles se firent d’autres amoureux, car il n’en manquait pas dans le pays !

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