Illustration de Jean-Baptiste Monge
L’épouvante régnait au bois :
Un hibou, familier des âges,
Et plus savant que les sept sages,
De son trou sorti par trois fois,
Avait dit d’un ton prophétique :
« C’en est fait de la terre et de sa race antique ;
Le monde va finir, c’est l’arrêt du destin !
Le temps meurt, et ce jour sera sans lendemain ! »
On peut juger de la panique.
Tous les animaux éperdus
Accouraient à la fois sur la place publique,
Victimes et bourreaux mêlés et confondus.
Rien n’est tel que la peur pour combler la distance
Qui sépare petits et grands,
Et, d’un même frisson agitant tous les rangs,
Quand la mort apparaît, l’égalité commence.
Le lion, plus tremblant que ses tremblants sujets,
Abdiquait un peu tard l’orgueil du diadème :
Heureux si du remords de ses mille forfaits
Il avait pu se dépouiller de même !
Cherchant du moins à tromper ses terreurs,
Sur ses vils conseillers il rejetait ses crimes,
Et déjà, pour fléchir les célestes rigueurs,
Il avait envoyé ce troupeau de flatteurs
Dans l’empire des morts rejoindre ses victimes.
Versé dans l’usage des cours
Et de l’âme des grands connaissant les retours,
Le renard, plus prudent, avait fui par avance
La royale reconnaissance,
Et s’était retiré dans un coin écarté
Loin des dents de Sa Majesté.
Là, s’étaient réunis et la brebis candide,
Et l’âne inoffensif, et le bœuf aux pas lourds,
Et le lièvre poltron qu’un murmure intimide,
Et le peuple emplumé qui jase aux basses-cours,
Enfin les douces tourterelles
Qui, rapprochant leurs blanches ailes,
Soupiraient en pleurant leurs dernières amours.
Ceux-là regrettaient bien l’existence ravie,
Car les plus malheureux aiment encore la vie ;
Mais innocents, sachant ce que c’est que souffrir,
Ils attendaient en paix le moment de mourir.
Quant aux tyrans des bois, qui dira leurs alarmes ?
Le tigre vint, fondant en larmes,
S’accuser devant la brebis
D’avoir assassiné son fils :
« Pardonnez, disait-il, vous dont l’âme est si bonne ! »
« Et la douce brebis lui dit : « Je vous pardonne. »
Non loin de là, le renard pénitent
À la poule avouait ses fautes humblement,
Et le sensible volatile,
Touché par son discours habile,
Versait des pleurs en l’écoutant,
Tant il parlait éloquemment.
C’étaient partout mêmes spectacles ;
L’avare allait semant l’argent,
Le riche implorait l’indigent ;
Comme la charité, la peur fait des miracles.
Cependant le soleil, précipitant son cours,
S’était à l’horizon endormi pour toujours.
Les animaux, saisis d’une terreur profonde,
Attendaient que minuit sonnât la fin du monde.
Minuit vint, et l’écho de l’antique forêt
Répéta lentement l’heure retentissante,
Et le peuple des bois frissonna d’épouvante,
Immobile et muet !...
Une heure après, il attendait encore,
Et la nuit poursuivait paisiblement son cours :
Le ciel se colora des teintes de l’aurore,
Le bon peuple attendait toujours.
Enfin, les plus hardis parlèrent à voix basse :
« N’avez-vous rien senti, de grâce ? »
D’une tremblante voix dit le tigre au lion.
« Je n’en jurerais pas, mais je crois bien que non.
— Eh bien ! Ni moi non plus. — C’est une étrange chose !
— Pour moi, messieurs, dit le mouton, J’ai senti quelque part une commotion, Mais je ne sais pas bien quelle en était la cause... »
Le soleil, se montrant parmi tous ces débats,
Mit un terme à leur embarras.
Épouvante et vertus aussitôt s’envolèrent.
On devine aisément par quels sanglants ébats
Tigres, lions et potentats
De leur vain effroi se vengèrent !
Adieu pardons, pleurs et remords !
Ânes, moutons, poulets en foule s’en allèrent
Visiter l’empire des morts,
Trop heureux de quitter notre machine ronde :
Pour ceux-là seulement ce fut la fin du monde !
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