top of page

La belle Vassilisa

Conte traditionnel russe


… illustré par Ivan Bilibine


Les illustrations du conte, sauf couverture, sont dans le domaine public.

Le texte n'est pas libre de droits, mais l'origine de la traduction en français est indéterminée.


La belle Vassilisa - Alexander Lindberg

Dessin de couverture par Alexander Lindberg



Il y a bien longtemps, vivait dans un village, un vieux couple qui n’avait qu’une fille, Vassilisa. Sentant sa mort prochaine, la mère fit venir sa fille, lui remit une minuscule poupée et lui recommanda :

« Prends grand soin de cette poupée, ma chère enfant. Que personne ne la voie ; si tu as des soucis, donne-lui quelque chose à manger et demande-lui conseil, elle t’aidera. »

Puis, peu après, elle mourut. Son mari la pleura, mais, au bout d’un certain temps, il se remaria. Malheureusement, sa nouvelle épouse se montra une mauvaise belle-mère ; elle avait déjà deux filles, bêtes et faiseuses d’embarras, et, de plus, fort méchantes. La pauvre Vassilisa vivait une vie misérable, grondée et maltraitée sans cesse par sa marâtre qui l’obligeait à travailler toute la journée. Les demoiselles, espérant que le soleil et le vent, ajoutés à la fatigue, enlaidiraient leur demi-sœur, n’arrêtaient pas de la commander :

« Prépare le souper, Vassilisa ! Balaie la maison ! Va chercher du bois, le feu s’éteint ! As-tu trait les vaches ? Plus vite, voyons ! Ne reste pas inactive ! »

Vassilisa supportait tout sans se plaindre et devenait chaque jour plus belle, chaque jour plus blanche et rosée, alors que la marâtre et ses filles qui ne bougeaient pas, et ne faisaient rien de leurs dix doigts, maigrissaient de dépit et jaunissaient d’envie.

Ce qu’elles ne savaient pas, c’est que sa poupée aidait Vassilisa. Le soir, quand tout le monde était endormi, la jeune fille s’enfermait dans son appentis, donnait un peu de lait à sa poupée et lui racontait ses malheurs. La poupée buvait, consolait Vassilisa et accomplissait la besogne à sa place. Avant que personne ne soit levé, elle sarclait les massifs, puisait l’eau, allumait le feu, arrosait les choux, et confectionnait même des baumes pour préserver des brûlures du soleil le visage de Vassilisa. Pendant ce temps, cette dernière se reposait, tranquillement assise à l’ombre.

Lors d’une absence du père, un jour de fin d’automne, où la pluie tombait et où le vent soufflait, comme personne ne pouvait sortir, la mère distribua de l’ouvrage. Une de ses filles ferait de la dentelle, l’autre tricoterait, et Vassilisa filerait. Puis elle éteignit les lumières, ne laissant qu’une faible lueur là où les jeunes filles travaillaient, et elle alla s’étendre pour dormir. Soudain, l’écorce de bouleau qui les éclairait se mit à crépiter : la flamme vacilla, puis s’éteignit tout à fait.

« Qu’allons-nous faire ? s’écrièrent-elles. L’ouvrage n’est pas terminé, et il n’y a pas un tison dans la maison. Il va falloir se procurer du feu chez Baba Yaga ! »

Baba Yaga était une vieille sorcière, qui habitait en dehors du village, dans la forêt. Il se disait qu’elle croquait les gens comme des poulets.

« Je n’irai pas, dit l’aînée ; l’éclat de mon crochet me donne assez de lumière pour faire de la dentelle.

— Je n’irai pas non plus, dit la cadette ; mes aiguilles m’éclairent suffisamment pour tricoter des bas.

— C’est Vassilisa qui ira ! » proclamèrent-elles en chœur.

Et la pauvre enfant se retrouva dehors, clans l’obscurité et la tempête. Éclatant en sanglots, elle sortit sa poupée, et lui expliqua ce qu’on attendait d’elle.

« Ne te tracasse pas, répondit la poupée, rien de mauvais ne saurait t’arriver tant que je serai avec toi. »

Vassilisa, un peu rassérénée, se dirigea vers la cabane de la sorcière. La forêt était si sombre qu’on ne pouvait apercevoir les étoiles, et la jeune fille avança, tremblante, serrant sa poupée sur son cœur.

Tout à coup, un cavalier, vêtu de blanc, passa au galop, montant un cheval blanc harnaché de blanc. L’aube se leva.


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine

Vassilisa se blessa en trébuchant sur une souche ; sa natte était humide de rosée et ses doigts étaient gelés. Un second cavalier, vêtu de pourpre passa au galop, montant un cheval alezan harnaché de rouge.


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine

Le soleil pointa à l’horizon, caressant la jeune fille de ses rayons, la réchauffant et lui séchant les cheveux.

Elle marcha tout le jour, et, vers le soir, elle atteignit une clairière. Au milieu, se dressait une petite cabane, entourée d’une palissade faite d’os humains et surmontée de crânes ; des tibias servaient de grilles, des mains de verrous, et une dent pointue formait le pêne. Vassilisa s’arrêta, clouée au sol et saisie de terreur.

Soudain, un cavalier, vêtu de noir, passa au galop, montant un cheval noir harnaché de noir. La nuit tomba. Sur la palissade, les orbites des crânes se mirent à briller dans l’obscurité, illuminant toute la clairière.


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine

Tout à coup, le sol fut secoué comme par un tremblement de terre : c’était la sorcière qui rentrait, à califourchon sur son mortier, dont le pilon lui tenait lieu de cravache. Et elle effaçait ses traces avec un balai de jonc.

« Ça sent la chair humaine par ici ! Montre-toi, qui que tu sois !

— C’est moi, grand-mère, dit Vassilisa, s’avançant et saluant humblement. Mes demi-sœurs m’ont envoyée vous demander de la lumière.

— Ah ! Oui, répondit la sorcière. Ta belle-mère est une de mes parentes. Pour le moment, reste ici et travaille, on verra plus tard pour ta requête.

Puis elle cria :

— Holà ! Mes solides verrous, détachez-vous ! Et vous, mes larges grilles, ouvrez-vous ! »


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine

Aussitôt dit, aussitôt fait ! La sorcière entra, suivie de Vassilisa. Les branches d’un bouleau essayèrent de cingler la jeune fille au visage. La vieille ordonna :

« Ne frappe pas, bouleau, c’est moi qui l’amène !

Un chien, près de la porte, gronda.

— Ne la mords pas, dit la sorcière, je lui ai dit de me suivre.

Sous le porche, un chat sortit ses griffes en crachant.

— Tiens-toi tranquille, elle est avec moi. Tu vois, ajouta Baba Yaga en se tournant vers Vassilisa, il n’est pas facile de sortir d’ici : le bouleau cingle les yeux, le chien mord, le chat griffe, et les grilles restent closes.

Elle pénétra dans la cabane et s’allongea sur un banc.

— Holà ! Souillon ! cria-t-elle, je veux mon dîner. »

Une fillette brune entra, apportant un chaudron de soupe de betterave, un seau de lait, vingt poussins, quarante canards et deux pâtés, ainsi que de l’hydromel en quantité ; la sorcière engouffra le tout, ne laissant pour Vassilisa qu’une croûte de pain.

« Maintenant, ma fille, lui dit-elle, voici un sac de millet, trie-le et enlève les graines noires ; si ce n’est pas terminé à mon réveil, je te mangerai. »

Puis elle s’étendit et commença à ronfler. Vassilisa, en pleurs, donna la croûte de pain à sa poupée, la suppliant de venir à son aide.

« Sèche tes larmes, dit la poupée, et dors, tu te sentiras mieux après. »

Et sitôt la jeune fille endormie, elle appela :

« Venez tous, petits oiseaux, mésanges, moineaux et tourterelles, venez au secours de Vassilisa ! »

Une volée d’oiseaux arriva à tire d’aile ; et, tout en chantant, ils se mirent à trier le millet grain par grain, séparant le bon du mauvais. Au moment même où ils finissaient, le cavalier blanc passa au galop devant les grilles et l’aube pointa. La sorcière se réveilla et piqua une colère de dépit en voyant la besogne terminée. Elle dit alors :

« Vassilisa, je dois m’absenter ; prends ce sac de pois, il contient aussi des graines de coquelicot. Sépare-les et fais-en deux tas ; si ce n’est pas fini à mon retour, je te mangerai. »

Elle sortit, et, à son coup de sifflet, le mortier, le pilon et le balai roulèrent jusqu’à la porte. Le cavalier tout de pourpre vêtu passa, le soleil se leva. La sorcière partit avec son équipage.

Vassilisa prit sa poupée, lui donna une croûte de pain, et la supplia de l’aider. La poupée lança son appel :

« Accourez ! Souris des champs, souris des maisons, souris des greniers ! »

Les petites bêtes arrivèrent en foule, et, une heure plus tard, les pois étaient séparés des graines de coquelicot.

En fin d’après-midi, la souillon mit le couvert et attendit le retour de la sorcière. Le cheval noir passa au galop, la nuit tomba, les orbites des crânes commencèrent à scintiller, les branches d’arbres craquèrent, les feuilles s’agitèrent, Baba Yaga, la vieille sorcière osseuse, allait rentrer.

« Eh bien, est-ce fini demanda-t-elle en franchissant la porte.

— Oui, grand-mère, tout est fait, répondit Vassilisa.

— Bon ! Va te coucher ! » grogna-t-elle, furieuse de ne pouvoir manger la

jeune fille.

Vassilisa l’entendit alors qui murmurait à la servante :

« Allume un grand feu, que le four soit très chaud ; je ferai cuire Vassilisa à mon réveil. »

Elle s’étendit ensuite sur un banc, se couvrit les pieds avec une couverture, et se mit a ronfler si fort, qu’on pouvait l’entendre dans toute la forêt.

Vassilisa, effondrée, donna une croûte de pain à sa poupée, la suppliant de l’aider à s’échapper ; puis, sur son conseil, elle demanda à la petite servante :

« Aie pitié de moi, je t’en prie. N’active pas le feu, laisse-le couver en versant de l’eau dessus. Tiens ! Prends mon mouchoir, je t’en fais cadeau.

— Bon ! Je veux bien, répliqua la souillon, j’allumerai lentement mon feu et je chatouillerai les pieds de Baba-Yaga pour faire durer son sommeil. Et toi, Vassilisa, rentre vite chez toi.

— Oui, mais si un cavalier me rattrape ?

— Ne crains rien, ils ne te feront aucun mal ; le blanc est le jour, le rouge est le soleil, le noir est la nuit. »

Vassilisa sortit en courant. Sous le porche, le chat voulut la griffer, mais elle lui lança un petit pâté et il se calma. En bas des marches, le chien essaya de la mordre, mais elle lui donna du pain et il ne la toucha pas. Dans la cour, le bouleau agita ses branches pour la frapper, mais elle les attacha avec un ruban et il la laissa passer. Les grilles restaient fermées, mais elle graissa leurs gonds et elles s’ouvrirent.

Le cavalier noir passa au galop, la nuit tomba.

Vassilisa, perplexe, se demandait comment trouver une lumière à rapporter chez sa belle-mère. Sur le conseil de sa poupée, elle enleva un crâne à la palissade et s’enfuit, éclairée par le feu qui sortait des orbites.


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine

À son réveil, la sorcière se prépara à faire cuire la jeune fille, mais il n’y avait plus personne ! Elle sortit en furie demander des explications au chat :

« Voici dix ans que je suis à ton service pour chasser les souris, répondit-il, et tu ne m’as jamais rien donné, pas même une croûte ! Elle m’a lancé un pâté, et j’ai rentré mes griffes !

Le chien dit a Baba Yaga :

— Je t’ai servi fidèlement toutes ces années en gardant ton isba, mais tu ne m’as jamais rien donné, pas même un os ! Elle, elle m’a jeté du pain, et je n’ai pas voulu la mordre.

Quant au bouleau, il lui avoua :

— Voici dix ans que j’ombrage ta cour, mais tu n’as jamais soutenu mes branches ! Elle, c’est avec un ruban qu’elle les a liées !

— Nous t’avons servie bien longtemps, dirent les grilles à leur tour, mais tu n’as même pas huilé nos gonds ; elle nous a graissées, nous nous sommes ouvertes. »

La sorcière, en colère, battit le chien, secoua le chat, coupa le bouleau, brisa les grilles, mais n’essaya pas de rattraper Vassilisa.

Pendant ce temps, la jeune fille rentrait chez elle en courant. Ses demi-sœurs lui reprochèrent la longueur de son absence puis, se saisissant du crâne, elles le portèrent dans la grande salle. Là, les lueurs qui sortaient des orbites se mirent à briller avec une telle intensité que tout brûlait sur leur passage La belle-mère et ses filles tentèrent de fuir, mais en vain, car le feu les poursuivait Finalement le lendemain matin, elles étaient réduites à un tas de cendres.

Cependant, Vassilisa resta indemne. Elle prit le crâne, l’enterra, et aussitôt un buisson de roses rouges poussa à cet endroit.

Pour ne pas demeurer seule dans sa maison, elle s’en fut vivre chez une vieille femme du voisinage. Pour la remercier, un jour, elle lui demanda d’acheter du lin d’excellente qualité, puis elle le fila. Elle allait si vite que le fuseau en ronflait entre ses doigts, et le fil sortait fin et régulier comme un fil d’or Ensuite, elle le tissa si finement que le tissu pouvait passer dans le chas d’une aiguille. Puis elle le blanchit plus blanc que neige.

Elle dit alors à la vieille :

« Maintenant grand-mère, vendez cette étoffe, et gardez pour vous le prix qu’on vous en donnera.

— C’est trop beau pour être marchandé, je vais l’offrir au prince, car lui seul est digne de s’en servir. »


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine

Le prince admira la délicatesse du travail, et, comme la vieille refusait d’être payée, il la renvoya comblée de présents. Aucun tailleur ne se sentit capable de couper une chemise dans une pareille étoffe. On demanda alors à la vieille femme d’ en confectionner une, mais elle confessa :

« Ce n’est pas moi qui ai filé ni tissé, c’est Vassilisa.

— Eh bien, qu’elle couse maintenant ! » dit le prince.

Vassilisa cousit donc la chemise, la brodant avec de la soie, la décorant avec des perles, et la vieille la porta au palais Le prince, désirant faire la connaissance de la jeune fille l’envoya chercher. Saisi d’étonnement devant sa grande beauté, il lui dit :

« Veux-tu devenir ma femme ? Reste avec moi. »

Vassilisa accepta. Le prince, la tenant par la main, la fit asseoir à ses côtés et on célébra le mariage. Ils vécurent heureux pendant de très nombreuses années.

Il faut savoir que Vassilisa ne se sépara jamais de sa poupée.


La belle Vassilisa - Yvan Bilibine



bottom of page