… de Marie-Catherine d’Aulnoy
Texte adapté pour la jeunesse, texte et illustrations - sauf couverture - dans le domaine public.
Illustration de couverture par Adrienne Ségur
Il était une fois la fille d’un roi, qui était si belle, qu’on la nommait la Belle aux cheveux d’or, car ses cheveux fins et dorés lui tombaient jusqu’aux pieds.
Un jeune roi de ses voisins, bien fait, riche, et pas encore marié, ayant appris tout le bien qu’on disait d’elle, résolut d’envoyer un ambassadeur la demander en mariage.
Il donna à cet ambassadeur un riche cortège, et lui recommanda bien de lui ramener la princesse. Le roi, ne doutant pas que la Belle ne l’acceptât pour mari, fit faire d’avance de belles robes et des meubles admirables.
Mais l’ambassadeur, étant arrivé chez cette princesse, celle-ci lui répondit qu’elle n’avait pas envie de se marier. Quand il revint auprès du roi son maître, chacun s’affligea de ce qu’il n’amenait point la Belle, et le roi était le plus triste de tous !
Il y avait à la Cour un jeune garçon beau comme le soleil, et que du fait de sa bonne grâce et de son esprit, on nommait Avenant. Tout le monde l’aimait, à l’exception des jaloux, qui l’enviaient parce que le roi avait confiance en lui.
Quand Avenant eut appris que l’ambassadeur était revenu sans la princesse, il dit imprudemment :
« Oh, si le roi m’avait envoyé vers la Belle aux cheveux d’or, je l’aurais ramenée ! »
Les envieux racontèrent alors au roi, qu’Avenant prétendait partout qu’il aurait ramené la Belle aux cheveux d’or, parce que, comme il était plus beau et plus spirituel que le roi, elle l’aurait évidemment suivi. Voilà ce dernier en colère, tant et si bien qu’il s’écrie :
« Ha ! Ha ! Ce joli mignon se moque de moi ! Qu’on le jette dans la grande tour, et qu’il y meure de faim ! »
Les gardes du roi traînèrent Avenant en prison, et lui firent subir mille supplices. Le pauvre garçon y serait mort, sans une fontaine qui coulait au pied de la tour et qui lui fournissait un peu d’eau, car la soif lui avait desséché la bouche. Un jour, n’en pouvant plus, il dit en soupirant :
« De quoi se plaint le roi ? Il n’a pas de sujet plus fidèle que moi ; je ne l’ai jamais offensé.
Le roi, qui passait par là, l’entendit, et ouvrit sa geôle :
— Pourquoi, demanda-t-il, as-tu dit que si je t’avais envoyé, toi, chez la Belle aux cheveux d’or, tu l’aurais ramenée ?
— Mais, répondit Avenant, parce que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, qu’elle n’aurait pu se défendre de venir. »
Le roi reconnut qu’Avenant avait raison, et il se fâcha contre les envieux ; puis il dit au jeune garçon qu’il avait bien envie de l’envoyer à son tour, auprès de la princesse. Avenant répondit qu’il était tout disposé à obéir. Il refusa le grand équipage que le roi voulait lui donner, et lui assura qu’il n’avait besoin que d’un bon cheval, et de lettres de recommandation.
Il partit. En chemin, il rêvait à la harangue qu’il adresserait à la princesse.
Un matin, il s’arrêta dans une grande prairie, au bord d’une rivière, pour écrire une jolie pensée qui lui était venue. Il aperçut sur l’herbe une grosse carpe qui n’en pouvait plus, car elle avait sauté trop haut et s’était élancée si loin hors de l’eau, qu’elle était sur le point de mourir.
Avenant eut pitié d’elle, et la remit doucement dans la rivière.
« Avenant, dit la carpe, sans toi, je serais morte. Tu m’as sauvé la vie, et je te le revaudrai. »
Un autre jour, Avenant vit un corbeau poursuivi par un gros aigle, qui était près de l’attraper. Il prit son arc et une flèche, et perça de part en part l’aigle, qui tomba mort.
« Avenant, dit le corbeau, tu es bien généreux ; mais moi-même, je ne suis pas un ingrat : je te le revaudrai. »
Un autre matin, entrant dans un bois, alors qu’il faisait à peine jour, il entendit crier un hibou qui s’était laissé prendre dans des filets, tendus durant la nuit par des oiseleurs. Il tira son couteau et coupa les cordelettes.
« Avenant, dit à son tour le hibou, sans ton secours, j’étais pris, j’étais mort. Mon cœur est reconnaissant : je te le revaudrai. »
Enfin, il arriva au palais de la Belle aux cheveux d’or. Il s’habilla de son mieux, mit une riche écharpe à son cou, prit un petit panier, et cacha à l’intérieur un joli petit chien. Il était si aimable que les gardes, le saluant, coururent dire à la princesse qu’Avenant, ambassadeur du roi son voisin, demandait à la voir. Ce nom d’Avenant parut de bon augure à la princesse, qui ordonna qu’on le fît entrer dans la salle d’audience. Il la supplia de ne pas lui faire le déplaisir de le laisser rentrer sans elle.
« Gentil Avenant, répondit-elle, je serais bien aise de vous satisfaire, mais, il y a un mois, alors que je me promenais sur la rivière, en ôtant mon gant, une bague est tombée de mon doigt, et a disparu dans l’eau. Depuis, j’ai fait serment de n’écouter aucune proposition de mariage, tant que l’ambassadeur qui me proposera un époux, ne me rapportera pas cette bague. »
Avenant la salua profondément et la pria d’accepter en cadeau son petit chien ; mais elle refusa, et lui dit de songer à ce qu’elle venait de lui raconter.
En retournant chez lui, il se demandait avec tristesse :
« Comment retrouver une bague tombée depuis un mois dans la rivière ? Ce serait folie que d’essayer !
Son petit chien, qui s’appelait Cabriole, l’écoutait, et lui répondit :
— Ne t’afflige pas ; je crois que si nous allons ensemble, demain matin, au bord de la rivière, tu auras une bonne surprise. »
Avenant suivit le conseil du petit chien, et comme il se promenait tristement au bord de la rivière en songeant à son départ, il s’entendit appeler :
« Avenant ! Avenant !
Ne voyant personne, il crut rêver, mais Cabriole qui, étant tout petit, voyait de l’eau de plus près, lui dit :
— C’est une carpe dorée que j’aperçois.
Alors la carpe parut et dit :
— Tu m’as sauvé la vie, je t’ai promis de te le revaloir, cher Avenant : voici la bague de la princesse. »
Au lieu de retourner chez lui, il revint sur le champ au palais, accompagné de Cabriole, et présenta la bague à la Belle aux cheveux d’or, en disant :
— Vous plaît-il, à présent, de prendre pour époux le roi mon maître ?
En revoyant sa bague, la princesse demeura d’abord bien étonnée, puis elle dit à Avenant :
— Un prince, nommé Galifron, a demandé ma main, en me menaçant, si je refusais, de désoler mon royaume. Il est haut comme une tour, et mange un homme comme un singe mange un marron. Il porte des canons au lieu de pistolets, et quand il parle, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui ai dit que je ne voulais point me marier, et depuis ce temps, il tue et mange mes sujets ; il faut que vous m’apportiez sa tête.
Avenant répondit :
— Madame, je combattrai Galifron ; je serai vaincu, mais je mourrai en brave. »
Il alla chercher des armes, monta à cheval, et accompagné de Cabriole, s’en fut jusqu’au château de Galifron. Tous les chemins qui y menaient étaient recouverts des os et des carcasses des hommes qu’il avait mangés ou mis en pièces. Cabriole tenta de le rassura, en disant ;
« Quand tu te battras avec lui, je lui mordrai les jambes ; il se baissera pour me chasser, et tu le tueras. »
Avenant le vit bientôt venir à travers un bois ; sa tête dépassait les plus grands arbres, et il chantait d’une voix terrible :
« Où sont les petits enfants ?
Que je les croque à belles dents ! »
Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le même air :
« Approche, voici Avenant
Qui t’arrachera les dents !
Bien qu’il ne soit pas des plus grands,
Pour te battre il est suffisant ! »
Quand Galifron entendit ces paroles, et qu’il aperçut Avenant qui, l’épée à la main, le menaçait, il lui dit deux ou trois injures pour l’irriter. Puis il se mit dans une colère effroyable, et, brandissant une massue de fer, il aurait assommé le gentil Avenant, si un corbeau ne lui avait pas crevé les deux yeux avec son bec. Son sang coulait, il n’y voyait plus, de sorte qu’il tomba bientôt. Aussitôt, Avenant lui coupa la tête et le corbeau lui dit :
« Je n’ai pas oublié le service que tu m’as rendu en tuant l’aigle qui me poursuivait. Je crois que nous sommes quittes, aujourd’hui. »
Avenant remonta à cheval, chargé de l’horrible tête de Galifron.
« Madame, dit-il à la princesse, votre ennemi est mort, j’espère que vous ne refuserez plus le roi mon maître.
— Eh bien si, répondit la Belle aux cheveux d’or, car je veux, avant mon départ, que vous m’apportiez de l’eau de la Grotte Ténébreuse. C’est une grotte profonde ; à l’entrée, se trouvent deux dragons qui crachent du feu ; à l’intérieur de la grotte, il y a un grand trou, rempli de crapauds, de couleuvres et de serpents ; et au fond de ce trou, est une petite cave, où coule la fontaine de Beauté et de Santé. Tout ce qu’on lave avec cette eau devient merveilleux : si on est laide, on devient belle, si on est vieille on devient jeune. Vous comprenez bien que je ne pourrais quitter mon royaume sans en emporter !
— Madame, dit-il, vous voulez ma mort ; mais pourtant j’irai chercher ce que vous désirez. »
Il partit avec Cabriole et, arrivé sur une montagne, il aperçut non loin de là un rocher noir comme l’encre, d’où sortait une grosse fumée, et l’un des dragons qui jetait du feu par les yeux et la gueule : il avait le corps jaune et vert, des griffes et une longue queue qui faisait plus de cent tours.
Tout à coup on appela :
« Avenant ! Avenant !
Et le jeune homme vit, dans le trou d’un vieil arbre, un hibou qui lui dit :
— Tu m’as tiré du filet des chasseurs ; je t’ai promis que je te le revaudrais ; le moment est venu. Donne-moi la fiole : je vais aller chercher pour toi l’eau enchantée. »
En effet, au bout d’un quart d’heure, il rapporta la bouteille.
Avenant, très joyeux, rapporta la fiole à la Belle, qui n’eut, cette fois, plus rien à dire.
Il la conduisit au roi son maître, qui l’épousa dans de grandes réjouissances !
Comments