... un conte des frères Grimm
Seuls le texte et la deuxième illustration sont dans le domaine public.
Illustration par Znodden, sur Deviant Art
Un certain roi possédait un jardin, et, dans ce jardin, il y avait un arbre qui portait des pommes d’or. Quand elles furent mûres, on s’aperçut que, chaque soir, il en manquait une. Le roi se fâcha et ordonna au jardinier de veiller toute la nuit au pied de l’arbre.
Le jardinier envoya son fils aîné ; mais, vers minuit, celui-ci s’endormit, et au matin, il manquait une pomme. Alors il ordonna à son second fils de faire le guet la nuit suivante ; mais à minuit, il s’endormit, et au matin, il manquait une autre pomme. Alors le troisième fils offrit de veiller à son tour. Le jardinier ne voulut pas tout d’abord le laisser faire… Cependant, il y consentit à la fin, et le jeune homme se coucha sous l’arbre, et fit le guet attentivement.
Quand minuit sonna, il entendit un léger bruit au-dessus de sa tête, et vit venir un oiseau qui était tout d’or pur. Quand l’oiseau essaya de saisir une des pommes avec son bec, le fils du jardinier se leva d’un bond et lui décocha une flèche. Mais la flèche ne fit aucun mal à l’oiseau : il perdit seulement une plume de sa queue, et s’envola.
... par Rachel Racanelli
Le lendemain matin, on porta la plume d’or au roi, qui réunit aussitôt ses conseillers. Tous tombèrent d’accord que si une seule plume était si précieuse, l’oiseau lui-même devait valoir tout le royaume. Alors le roi dit :
« Je veux avoir cet oiseau, et il faut que je l’aie. »
Le fils aîné du jardinier se mit alors en route, et il pensait trouver l’oiseau d’or sans tarder. Il arriva bientôt à un bois, et à la lisière de ce bois il vit un renard ; alors il prit son arc et allait tirer quand le renard lui dit :
« Ne me tue pas, et je te donnerai un bon conseil. Je sais bien ce que tu veux : tu veux trouver l’oiseau d’or. Quand tu arriveras ce soir dans un village, tu verras deux auberges en face l’une de l’autre ; l’une est pleine de bruit et de gaieté. N’entre pas dans celle-là ; repose-toi pour la nuit dans l’autre, si pauvre et si humble qu’elle puisse te paraître. »
Mais le jeune homme se dit :
« Qu’est-ce qu’une bête peut bien en savoir ? »
Et il lança une flèche au renard, mais ne l’atteignit point ; alors le renard redressa sa queue jusque sur son dos, et entra dans le bois en courant.
Le jeune homme poursuivit sa route, et arriva le soir dans le village où étaient les deux auberges ; dans l’une on chantait et on dansait, alors que l’autre avait l’air sale et misérable.
« Je serais bien sot d’entrer dans cette pauvre auberge, et de me priver de l’autre » se dit-il.
Et il entra dans la maison joyeuse, se livra aux plaisirs et aux festins, et oublia l’oiseau, ainsi que sa mission.
Le temps passa, et comme le fils aîné ne revenait pas, le second se mit en route, et tout ce qui était arrivé à son frère lui arriva à son tour. Le renard ne manqua pas de lui donner son bon conseil ; mais quand il arriva aux deux auberges, son frère aîné était à la fenêtre de celle où l’on s’amusait, et il lui cria d’entrer, si bien qu’il ne put résister à la tentation : il entra, et s’abandonna à tous les plaisirs du lieu.
Le temps passa encore, et le plus jeune fils voulut aussi partir à travers le vaste monde à la recherche de l’oiseau d’or. Mais pendant longtemps, son père ne voulut pas en entendre parler, car il aimait beaucoup son fils, et craignait que quelque malheur ne lui arrivât à lui aussi. À la fin, cependant, on convint de le laisser partir, car il n’y avait plus de paix à la maison.
Il arriva au bois, trouva le renard, et en reçut le même bon conseil. Mais il fut poli envers le renard, et n’essaya point de le tuer comme ses frères avaient fait. Alors, le renard lui dit :
« Assieds-toi sur ma queue, tu voyageras plus vite. »
Il le fit, et le renard partit, comme un trait, et il allait si vite, si vite, que ses poils et les cheveux du jeune homme sifflaient dans l’air.
... par Arthur Rackham
Quand ils arrivèrent au village, le jeune homme suivit le conseil du renard, et, sans regarder autour de lui, entra dans la pauvre auberge, et s’y reposa tranquillement toute la nuit. Le lendemain matin, comme il se remettait en route, le renard vint à lui et lui dit :
« Va droit devant toi, jusqu’à ce que tu arrives à un château, devant lequel dort et ronfle tout un régiment de soldats. N’aie pas peur. Entre dans le château, et passe de chambre en chambre jusqu’à ce que tu arrives dans une pièce où tu verras un oiseau d’or, dans une cage en bois. Tout à côté, il y a une belle cage en or, pour la parade. Ne retire surtout pas l’oiseau de l’humble cage, pour le mettre dans la belle ; sans cela tu t’en repentirais ! »
En disant ces mots, le renard étendit sa queue, le jeune homme s’y assit, et les voilà partis comme un trait, si vite, si vite, que les poils du renard et les cheveux du jeune homme sifflaient dans l’air.
... par Adrienne Ségur
Devant la porte du château, tout était comme le renard avait dit. Le fils du jardinier entra, et trouva la chambre où était l’oiseau dans une cage de bois, au-dessous de laquelle était la cage d’or.
« Ce serait ridicule, se dit-il alors, d’emporter un si bel oiseau dans cette pauvre cage. »
Il ouvrit la porte, s’empara de l’oiseau, et le mit dans la cage en or ; mais l’oiseau se mit à pousser un cri si terrible, que tous les soldats s’éveillèrent. Ils firent notre jeune homme prisonnier, et l’amenèrent devant le roi. Le lendemain matin, la Cour se réunit pour le juger. Quand tous les témoignages eurent été entendus, le jeune homme fut condamné à mort. On lui laisserait cependant la vie sauve, s’il apportait au roi le cheval d’or qui court aussi vite que le vent. On lui donnerait même l’oiseau d’or, en échange !
Il se remit donc en route, le cœur triste et lourd, quand tout à coup, son bon ami le renard se présenta à nouveau devant lui, et lui dit :
« Tu vois ce qui t’est arrivé pour n’avoir pas écouté mes conseils ! Je vais cependant te dire comment tu pourras trouver le cheval d’or… Va droit devant toi, jusqu’à ce que tu arrives à l’écurie du château, où le cheval se trouve dans sa stalle. Les valets sont couchés devant sa porte ; ils dorment profondément et ronflent. Emmène le cheval doucement, mais ne manque pas de lui mettre une selle de cuir, et non la selle d’or que tu verras pendue à côté. »
Le jeune homme monta sur la queue du renard, et les voilà partis d’un trait, si vite, si vite, que les poils du renard et les cheveux du jeune homme sifflaient dans l’air.
Tout alla bien ; les valets ronflaient, tenant des selles d’or dans leurs mains. Mais quand le fils du jardinier vit le cheval d’or, il pensa que ce serait grand dommage de lui mettre la vilaine selle.
« Je vais lui donner la belle, comme il le mérite » se dit-il.
Et il allait retirer une des selles d’or des mains d’un valet quand celui-ci s’éveilla et se mit à crier si fort, que tous les autres accoururent et firent le jeune homme prisonnier ; et au matin, il fut conduit de nouveau devant la Cour et condamné à mourir, à moins qu’il ne ramenât la belle princesse ; et alors on lui donnerait l’oiseau et le cheval.
Il se remit en route le cœur triste, mais le vieux renard ne tarda pas à paraître et lui dit :
« Pourquoi ne m’as-tu pas écouté ? Si tu l’avais fait, tu posséderais maintenant l’oiseau et le cheval ; je veux cependant te donner encore une fois mes conseils. Va droit devant toi, et dans la soirée tu arriveras à un château. À minuit, la belle princesse va prendre un bain ; avance-toi vers elle quand elle passera, salue-la, et elle te suivra. Mais surtout, ne souffre pas qu’elle aille dire adieu à son père et à sa mère. »
Le renard étendit sa queue et les voilà partis comme un trait, vite, si vite, que les poils du renard et les cheveux du jeune homme sifflaient dans l’air.
Quand ils arrivèrent au château, tout y était comme avait dit renard. Et à minuit le jeune homme rencontra la princesse, la salua, et elle consentit à partir avec lui ; mais elle le pria, en pleurant, de la laisser aller faire ses adieux à son père et à sa mère. Il refusa tout d’abord, mais elle pleura plus fort, et tomba à ses pieds, si bien qu’à la fin il y consentit. Dès l’instant qu’elle fut auprès de son père, il s’éveilla, et tout le monde dans le château avec lui, et le jeune homme fut fait prisonnier de nouveau.
Alors, on le mena devant le roi qui lui dit :
« Tu n’auras ma fille qu’à une condition ; c’est que d’ici huit jours, tu aies enlevé la colline qui obstrue la vue devant ma fenêtre. »
Or, cette colline était si grande que le monde entier n’aurait pu l’enlever ; et quand le jeune homme eut travaillé pendant sept jours sans qu’il y parût, pour ainsi dire, il fut bien découragé ; mais le soir du septième jour le renard arriva.
« Couche-toi, et dors, dit-il, je travaillerai à ta place. »
Et au matin, quand il s’éveilla, la colline avait disparu. Alors il s’en fut, plein de joie trouver le roi, et lui dit qu'étant donné qu'il avait fait disparaître la colline, il fallait lui donner la princesse.
Le roi fut bien obligé de tenir sa parole, et voilà le jeune homme parti avec la jeune fille ; mais le renard le rejoignit et lui dit :
« Il faut que tu aies les trois : la princesse, le cheval, et l’oiseau.
-— C’est vrai, dit le jeune homme, mais comment surmonter cette difficulté ?
— Si tu veux seulement m’écouter, répondit, le renard, ce sera bientôt fait. Commence par ramener la princesse à son père. Celui-ci en éprouvera une telle joie qu’il te donnera en échange le cheval ; monte-le aussitôt ; et fais monter bien vite la princesse derrière toi. Ensuite, éperonne la bête et pars au galop, rapide comme l’éclair ! »
Tout se passa à merveille, et quand la princesse fut en sûreté sur le beau cheval, le renard dit :
« Quand tu arriveras au château où se trouve l’oiseau, je resterai à la porte avec la princesse, et toi tu entreras. Et quand ils verront que tu as le cheval d’or, ils apporteront l’oiseau ; reste à cheval sans bouger et dès que tu auras la cage en main, pars au galop. »
Tout se passa comme le renard avait dit. Il emporta l’oiseau ; la princesse remonta à cheval, et ils poursuivirent leur route, jusqu’à ce qu’enfin, ils fussent arrivés à un grand bois. Le renard parut aussitôt et leur dit :
« Tuez-moi, et coupez-moi la tête et les pattes.
Mais le jeune homme refusa absolument de le faire.
— Eh bien, dit le renard, je vais en tout cas te donner un bon conseil ; garde toi de racheter un condamné à la potence, et de t’asseoir au bord d’une rivière.
— Si ce n’est que cela, pensa le jeune homme, ce ne sera pas bien difficile. »
Il continua donc sa route avec la princesse et arriva dans le village où il s’était séparé de ses deux frères. Ayant entendu un grand tumulte, il demanda ce qu’il y avait, et on lui répondit que deux hommes allaient être pendus. Il s’approcha, et vit que les deux hommes étaient ses frères, qui s’étaient rendus coupables de toutes sortes de crimes et avaient dépensé tout ce qu’ils avaient.
« N’y a-t-il pas moyen de les sauver ? demanda-t-il.
— Non, lui répondit-on, à moins que vous ne vouliez les racheter à prix d’argent. »
Alors, sans prendre le temps de réfléchir, il paya ce qu’on lui demanda, et ses deux frères se mirent en route avec lui. Quand ils arrivèrent au bois où le renard les avait vus pour la première fois, il y faisait si bon et si frais, que les deux frères dirent :
« Asseyons-nous ici au bord de cette rivière, et reposons-nous un moment, le temps de manger et de boire. »
Et le jeune homme oublia ce que le renard lui avait dit, et il s’assit au bord de la rivière. Au moment où il s’y attendait le moins, ses frères s’approchèrent de lui par derrière, le jetèrent dans la rivière, s’emparèrent de la princesse, du cheval et de l’oiseau, et s’en allèrent trouver le roi, à qui ils dirent :
« Père, nous avons gagné tout cela, et nous te l’apportons. »
Alors tout le monde se réjouit ; mais le cheval ne voulut pas manger, l’oiseau ne voulut pas chanter, et la princesse se mit à pleurer.
Le plus jeune fils était tombé au fond de la rivière qui, par bonheur, était presque à sec ; mais bien qu’il n’eût aucun os brisé, il ne savait comment se tirer de là. Alors le vieux renard revint encore une fois, et le gronda parce qu’il n’avait pas suivi ses conseils : tout cela ne lui serait pas arrivé s’il avait obéi !
« Cependant, dit-il, je ne peux pas te laisser ici, il faut que je t’aide à en sortir ; prends-moi par la queue, et tiens bon. »
Alors il le retira de la rivière, et quand ils eurent atteint le bord :
« Tes frères sont à l’affût pour te tuer, s’ils te trouvent, sur les territoires du roi » dit-il.
Le fils du jardinier se déguisa donc en vagabond, et se rendit en secret à la Cour du roi. Il n’eut pas sitôt franchi les portes, que le cheval se mit à manger, l’oiseau à chanter, et que la princesse cessa de pleurer. Le roi fut si étonné qu’il demanda comment tout cela s’était fait. Celle-ci répondit :
« Je crois que mon époux est revenu, et j’en suis bien heureuse ! »
Et elle lui raconta tout ce qui était arrivé, bien que les deux autres frères l’eussent menacée de mort si elle disait un seul mot. Le roi donna l’ordre de faire venir en sa présence tous ceux qui étaient dans le château, afin que la princesse pût les voir. Elle reconnut aussitôt son mari, malgré son humble déguisement, et elle courut à lui et le prit dans ses bras.
... par Adrienne Ségur
On s’empara alors des deux frères qui furent sévèrement punis ; et on rendit la princesse au plus jeune fils, qui hérita du royaume à la mort du roi.
Longtemps après, un jour qu’il était allé se promener dans le bois, le vieux renard vint à lui et le supplia de le tuer et de lui couper la tête et les pattes. Une fois que ce fut fait, le renard se changea en homme : c’était le frère de la reine, qui avait disparu depuis de longues années…
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