Illustration de Max Liebermann
On m’a dit : « Tu ne te rappelles pas Céline,
La parente, tu sais, qui se taisait toujours,
Avec son bonnet noir fleuri, sa pèlerine,
Ses yeux meurtris et doux, ses mitaines à jours ;
Elle ne sut jamais dire non, pauvre amie,
Son mariage pourtant manqua deux ou trois fois.
Elle pleurait aussi, se plaignant de la vie,
Quand on prenait ses fleurs ou qu’on tuait son chat. »
J’ai fait : « Oui, oui, je sais », souhaitant qu’on me laisse,
Car en moi s’éveillait le tendre souvenir
Des jeudis d’autrefois, où, rentrant de la messe,
Timide elle disait : « Le petit peut venir ? »
Sa maison était grande, il me semble, la salle
Avait des carreaux roux qu’elle lavait souvent,
La crémaillère était d’un noir lourd et la dalle
Du foyer se creusait d’usure par devant.
Les assiettes s’ornaient de précieuses sentences,
De rébus qu’on cherchait très longtemps au dessert ;
La lampe suintait et sentait fort l’essence ;
Je l’aidais sagement à lever le couvert.
Ces longs soirs étaient chers à nos âmes pareilles ;
Assis près du feu vif ou sur le banc dehors,
Nous avions la candeur qu’une étoile émerveille
Et la même frayeur des obscurs corridors.
Avec moi seulement elle fut libre et gaie,
Sentant que je l’aimais et que, sans me lasser,
Je l’écoutais parler de l’homme à la ramée
Que, dans la lune au plein, elle voyait passer.
Toi qui ne sus jamais dire non, pauvre mine,
Qui fus jeune sans que personne ne t’aimât,
Qui relisais les vers touchants de Lamartine
Pour pleurer les rancœurs que tu ne disais pas,
Et qui partis un jour d’octobre sous la bruine,
Viens me parler avec tes yeux meurtris, Céline,
Ce soir où je suis jeune et tout seul comme toi.
André Lafon
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