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    On a kidnappé le Père Noël !

    • Photo du rédacteur: Lucienne
      Lucienne
    • il y a 2 heures
    • 16 min de lecture

    Traduction intégrale inédite d’un conte, publié en 1904 par Frank Baum, le célèbre auteur du Magicien d’Oz, et illustré en noir et blanc par Frederick Richardson.


    Traduction personnelle sous licence Creative Commons CC-BY-NC-ND


    Présentation :

    Non loin de la Vallée Radieuse, là où vivent le Père Noël et tous ses lutins, et au-delà de la forêt de Burzee, se dresse une immense montagne qui renferme les cavernes des cruels Démons. Il existe cinq Démons, chacun possédant sa spécialité : l’égoïsme, la jalousie, la colère, la méchanceté et le remords.

    Malheureusement, les enfants sont tellement heureux, dans la Vallée Radieuse, que très peu d’entre eux visitent les grottes des Démons… Afin de remédier à cette déplorable situation, qui menace leur existence même, ceux-ci vont manigancer un plan machiavélique !

    Mais il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des amis des enfants, et tout finira bien… y compris pour les Démons eux-mêmes !



    Illustration de Don Daily


    Le Père Noël habite dans la Vallée Radieuse, là où se dresse le grand château, rempli de coins et de recoins, dans lequel il fabrique les jouets. Ses ouvriers, choisis parmi les lutins, les farfadets, les génies et les fées, vivent avec lui, et chacun d’entre eux est aussi occupé qu’il est possible de l’être, d’un bout à l’autre de l’année.

    La Vallée Radieuse a été baptisée ainsi parce que tout y est joyeux et gai. Le ruisseau qui la traverse bondit de plaisir, entre ses rives verdoyantes ; le vent y siffle gaiement entre les branches des arbres ; les rayons du soleil exécutent une danse légère sur l’herbe toute douce ; les violettes et les fleurs sauvages lèvent la tête en souriant, depuis leurs collerettes vertes. Pour rire, il faut être heureux ; pour être heureux, il faut être satisfait. Et d’un bout à l’autre de la Vallée Radieuse, la satisfaction règne en maître.

    À l’ouest de la vallée, se dresse la majestueuse forêt de Burzee. Et de l’autre côté, la haute montagne qui abrite les grottes des Démons. Entre les deux, s’étend la vallée, paisible et souriante.

    Peut-être pensez-vous que notre bon vieux Père Noël, qui consacre ses journées à rendre les enfants heureux, n’a aucun ennemi sur cette terre ; et, de fait, pendant longtemps, il n’a rencontré autour de lui, que de l’amour. Mais peu à peu, les Démons, qui habitaient les grottes de la montagne, en sont venus à le détester, et ce pour la simple raison qu’il rendait les enfants heureux.

    Il faut que vous sachiez que les grottes sont au nombre de cinq, chacune étant la propriété d’un Démon.

    Un large sentier mène à la première de ces grottes : une caverne de belle facture, située au pied de la montagne, et dont l’entrée est magnifiquement sculptée et décorée. C’est là que réside le Démon de l’égoïsme. Derrière celle-ci, se trouve une autre cavité, qui est habitée par le Démon de la jalousie. La grotte du Démon de la colère est la suivante, et après l’avoir traversée, on pénètre dans la demeure du Démon de la méchanceté, grotte sombre et effrayante, située au cœur même de la montagne. J’ignore ce qui se trouve au-delà. Certains parlent de pièges, de dangers terribles, potentiellement mortels, et il est possible que ce soit la vérité… En tous cas, partant de chacune des quatre habitations des Démons, je sais qu’il existe un petit tunnel étroit, menant à dernière grotte, la cinquième : une petite pièce douillette, occupée par le Démon du remords. Et comme les sols rocheux de ces couloirs sont fortement usés par les traces des pas qui les ont foulés, je pense que de nombreux voyageurs, égarés dans les cavernes des quatre premiers Démons, s’en sont échappés par ces tunnels. Car le Démon du remords est réputé pour être un gars sympathique, qui n’hésite pas à ouvrir pour vous une petite porte, à l’arrière de son habitation. Et derrière cette porte, vous pouvez retrouver avec soulagement le grand air et la chaleur du soleil.

    La haine véritable que les Démons portaient au Père Noël grandit dans leur cœur, au fur et à mesure que le temps passait. Et cette rancune finit par être à l’origine d’un des évènements les plus éprouvants de la vie du Père Noël. Je vais vous raconter ce qui s’est passé…

    Un beau jour, les cinq Démons, persuadés d’avoir chacun d’excellentes raisons pour haïr le vieux bonhomme, se réunirent afin de discuter de la question. Le Démon de l’égoïsme prit la parole le premier, en ces termes :

    « Je commence vraiment à souffrir de la solitude. Car le Père Noël distribue tant de jolis cadeaux à tous les enfants, que cela leur donne envie d’en offrir à leur tour. Ils deviennent généreux - !! -, et s’éloignent de moi !

    — J’ai le même problème que toi, lui répondit le Démon de la jalousie. Les cadeaux sont si bien choisis, que leurs destinataires en sont tout à fait satisfaits. Je n’arrive quasiment plus à en persuader de devenir envieux de ce que les autres ont reçu !

    — Et tout cela me gâche littéralement la vie ! déclara le Démon de la colère. Car si aucun enfant ne traverse plus les grottes de l’Égoïsme et de l’Envie, aucun ne pourra atteindre MA caverne !

    — Pas plus que la mienne ! ajouta le Démon de la méchanceté.

    — Il est facile de déduire, conclut le Démon du remords, que si aucun enfant ne vous rend plus visite, aucun ne risque d’entrer chez moi ! De sorte que je suis tout aussi délaissé que vous…

    — Et tout ça, c’est la faute de ce satané Père Noël !! s’exclama le Démon de la jalousie. Il va nous conduire à la faillite ! Il est urgent de tenter quelque chose ! »

    Tous étaient d’accord sur ce point. Mais toute la question était de savoir quoi…

    Ils savaient que le Père Noël travaillait toute l’année, dans son château de la Vallée Radieuse, pour préparer les cadeaux qu’il devait distribuer durant la nuit de Noël. Ils décidèrent donc d’abord de l’attirer dans leurs grottes, afin de le conduire dans les terribles pièges dont je vous ai parlé, et ainsi de le tuer.


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     Dès le lendemain, alors que le Père Noël était occupé à travailler, entouré de sa petite bande d’assistants, le Démon de l’égoïsme vint à lui et lui dit :

    « Comme ces jouets sont jolis et merveilleusement colorés ! Pourquoi ne les gardes-tu pas pour toi ? C’est bien dommage, de les donner à ces garçons et ces filles bruyants et capricieux, qui vont les casser ou les perdre !

    — Ne dis pas de telles bêtises ! s’écria le vieux barbu, ses yeux brillants scintillant joyeusement, alors qu’il se tournait vers le Démon tentateur. Les enfants ne sont jamais bruyants ou capricieux, après avoir reçu mes cadeaux ! Et si je peux les rendre heureux un jour dans l’année, eh bien, cela fait mon bonheur ! »

    Alors le Démon s’en retourna vers les autres, qui l’attendaient dans leurs grottes. Il leur dit :

    « Mes amis, j’ai échoué… Le Père Noël n’est pas du tout égoïste… »

    Le lendemain, le Démon de la jalousie tenta à son tour sa chance. Il se rendit au château, et dit au Père Noël :

    « Les magasins de jouets sont remplis de jouets tout aussi jolis que ceux que tu fabriques. Peut-être même plus jolis… De plus, dans les usines, les ouvriers fabriquent des jouets à la machine, beaucoup plus vite que tu ne peux le faire. Et ensuite, ces jouets sont vendus pour de l’argent, alors que toi, tu ne reçois rien du tout en échange de ton travail. Cela ne te fait-il pas réfléchir ?

    — Démon, répondit le Père Noël, tu sais fort bien que je ne peux distribuer les jouets qu’une fois par an, la veille de Noël, car les enfants sont très nombreux et je suis seul. En échange de mes petits cadeaux, j’aurais honte de recevoir de l’argent, car mon entreprise est motivée par l’amour et la gentillesse. Mais tout le reste de l’année, les enfants doivent également pouvoir s’amuser d’une manière ou d’une autre, et c’est pourquoi les magasins de jouets sont bien utiles… Pour ma part, je suis heureux de les voir prospérer en faisant de bonnes affaires. »

    Le Démon de la jalousie rentra chez lui, dépité.

    Malgré cette dernière rebuffade, le Démon de la colère avait encore espoir de faire fléchir le Père Noël. Il fit donc irruption le lendemain dans l’atelier du vieil homme, et lui lança :

    « Bonjour, Père Noël ! J’ai une mauvaise nouvelle pour toi !

    — Alors prends tes jambes à ton cou, et va-t’en, répondit le Père Noël. Les mauvaises nouvelles sont des choses qu’il faut garder secrètes, et ne surtout jamais révéler.

    — Ah mais, celle-là, tu n’y couperas pas ! déclara le Démon. Voilà : apprends qu’il y a, dans le monde, bon nombre de personnes qui ne croient pas en toi. Ils te font ainsi beaucoup de tort, et cela devrait te mettre en colère !

    — Sornettes et calembredaines ! s’écria le Père Noël.

    — Écoute encore cela, reprit le Démon. Il y en a d’autres qui t’en veulent de faire plaisir aux enfants, qui te méprisent, et te traitent de vieux crétin ! Tu aurais tout à fait raison de haïr ces vils calomniateurs. Ne penses-tu pas qu’il serait temps de songer à te venger de leurs paroles malveillantes ?

    — Et pourquoi donc !? Je ne les déteste pas ! s’exclama le Père Noël d’un ton catégorique. Ces pauvres gens-là ne me font aucun mal ; ils ne font que se rendre malheureux, ainsi que leurs propres enfants. Crois-moi, il vaut mieux les aider que les critiquer… »

    Ainsi, les Démons échouèrent à corrompre le vieux Père Noël. Pire, comme ce dernier était assez suffisamment astucieux pour comprendre que le but qu’ils poursuivaient était de le mener à sa perte, il leur riait au nez joyeusement. Ce détail suffit aux méchants Démons pour conclure à la folie de leur entreprise. Non, il leur fallait décidément abandonner toute tentative de séduction : ils décidèrent d’utiliser la force…

    Tous savaient que le Père Noël ne pouvait pas être blessé, tant qu’il se trouvait dans la Vallée Radieuse, car il était sous la protection des lutins, des farfadets, des génies et des fées. Mais, durant la nuit de Noël, il était amené à conduire ses rennes dans le vaste monde, chargé d’une pleine cargaison de jolis jouets à offrir aux enfants : c’était là l’occasion idéale, le moment où il était le plus vulnérable, et donc celui où ses ennemis avaient le plus de chances de lui nuire. Les Démons élaborèrent donc un plan, et attendirent patiemment la veille de Noël…

    Ce jour arriva enfin. La lune brillait dans le ciel, et la neige scintillante qui recouvrait craquait sous les pas. Le soir venu, le Père Noël, faisant claquer son fouet, s’élança en direction du vaste monde. Il s’éloigna de la vallée, son large traîneau rempli d’énormes sacs de jouets ; et, tandis que les rennes galopaient, notre joyeux vieux bonhomme riait, sifflait et chantait. Car c’était le jour de l’année où il était le plus heureux, celui où il offrait avec amour les trésors de son atelier aux petits enfants.

    Beaucoup de travail l’attendait, il le savait bien. Tout en fredonnant, il passa en revue dans son esprit, toutes les villes et les fermes où il était attendu. Il se dit qu’il avait juste assez de cadeaux pour tout le monde, et pour que chaque enfant soit heureux. Les rennes savaient exactement ce qu’on attendait d’eux, et filaient si vite, que leurs pattes semblaient à peine frôler le sol enneigé.

    Soudain, une chose étrange se produisit : une corde traversa un rayon de lune, et un gros nœud coulant se referma sur les bras et le corps du Père Noël. Avant que celui-ci ne puisse résister ou même crier, il fut éjecté du traîneau et projeté la tête la première sur la neige, tandis que les rennes continuaient leur course, traînant toujours derrière eux leur cargaison de jouets, et disparaissaient rapidement à l’horizon.


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    Le vieil homme resta un moment interdit, et quand il eut repris ses esprits, il comprit qu’il venait d’être kidnappé par les méchants Démons ! Ceux-ci l’avaient extirpé de son traîneau et attaché fermement avec de la corde solide. Ils emportèrent ensuite leur prisonnier jusqu’à la montagne où ils habitaient, le jetèrent dans une grotte secrète, et l’enchaînèrent au mur de roche, pour qu’il ne puisse pas s’échapper.

    « Ha ! Ha ! ricanèrent les Démons, tout en se frottant les mains avec une joie cruelle. Que vont faire les enfants à présent ? Oh, comme ils vont pleurer, grogner et tempêter, quand ils découvriront qu’il n’y a aucun jouet dans la cheminée et pas le moindre cadeau sous le sapin de Noël ! Et comme leurs parents vont devoir les punir ! Et comme ils vont se précipiter dans nos grottes, dans celle de l’égoïsme, de la jalousie, de la colère ou de la méchanceté ! Oh, comme nous sommes rusés, nous, les Démons des cavernes ! »


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    Or, il se trouva que, cette veille de Noël, le bon Père Noël avait emmené dans son traîneau Rafferty, le farfadet, Douglas, le génie, Fabian, le lutin, ainsi qu’une petite fée nommée Cecily : ses quatre assistants préférés. Ces petits êtres immortels lui avaient souvent été très utiles pour l’aider à distribuer ses cadeaux aux enfants. Lorsque leur maître avait été brusquement arraché du traîneau, ils étaient tous confortablement blottis sous le siège, là où le vent violent ne pouvait les atteindre. Aussi, dans un premier temps, ils ne devinèrent pas que le Père Noël venait d’être capturé. Mais comme sa voix joyeuse leur manquait, et comme leur maître avait pour habitude de toujours chanter ou siffler en voyageant, le silence les avertit bientôt que quelque chose n’allait pas.

    Cecily sortit la première la tête de sous le siège, pour découvrir que le Père Noël avait disparu, et qu’il n’y avait plus personne pour diriger le traîneau.

    « Holà ! » cria-t-elle ; et les rennes ralentirent docilement, jusqu’à s’arrêter.

    Rafferty, Douglas et Fabian sautèrent tous trois sur le siège du conducteur, et regardèrent derrière eux. Mais le Père Noël demeurait invisible, car il les avait quittés des kilomètres et des kilomètres en arrière.

    « Qu’allons-nous faire ? demanda Cecily avec anxiété, toute gaieté ayant disparu de son visage, devant ce coup du sort.

    — Il faut faire demi-tour immédiatement, et retrouver notre maître, dit Rafferty, le farfadet, qui ne disait jamais rien qui n’ait été soigneusement réfléchi.

    — Non, non ! s’écria Douglas, le génie, sur qui, malgré son air maussade et sa mauvaise humeur, on pouvait toujours compter en cas d’urgence. Si nous tardons trop, ou si nous faisons demi-tour, nous n’aurons plus le temps de distribuer les jouets à tous les enfants avant demain matin ; ils seront malheureux, et cela ferait davantage de peine au Père Noël que tout autre chose…

    — Ce qui est certain, c’est que des créatures malfaisantes se sont emparées de lui, conclut pensivement Fabian, le lutin, et leur but final doit être celui-là : faire du mal aux enfants. Notre premier devoir est donc de distribuer les jouets avec autant de soin que si le Père Noël lui-même était présent. Ensuite seulement, nous pourrons rechercher notre maître, et obtenir facilement sa libération. »

    Ce conseil parut à ses amis si bon et si raisonnable, que tous décidèrent sur-le-champ de le suivre. Douglas appela les rennes, et les fidèles animaux reprirent leur élan, et s’élancèrent par monts et par vaux, à travers forêts et plaines, jusqu’à ce qu’ils arrivent aux maisons, où les enfants dormaient en rêvant des jolis cadeaux qu’ils trouveraient le matin de Noël.

    Les petits immortels s’étaient en cela donné une tâche bien difficile, car, bien qu’ils aient assisté le Père Noël lors de nombreux voyages, leur maître les avait toujours dirigés, guidés, et leur avait dit exactement ce qu’il attendait d’eux. Mais à présent, ils devaient distribuer les jouets selon leur propre jugement, et ils ne connaissaient pas les enfants aussi bien que le vieux Père Noël. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient commis quelques petites erreurs…

    Antoine, qui avait demandé un déguisement de chevalier, reçut à la place… une jolie poupée bouclée ! Et Léa, qui n’aimait rien autant que gambader dehors, et qui avait demandé un vélo, reçut… un coffret créatif pour réaliser ses propres bijoux ! Si les erreurs de ce genre avaient été nombreuses, les Démons auraient finalement eu gain de cause, et rendu les enfants malheureux. Mais les petits amis du Père Noël travaillèrent avec un tel cœur à remplacer leur maître dans ses œuvres, qu’ils firent en fin de compte moins d’erreurs qu’on aurait pu s’y attendre, dans des circonstances aussi inhabituelles.

    Bien qu’ils eussent travaillé aussi vite que possible, le jour avait commencé à se lever avant que les jouets ne fussent tous distribués ; ainsi, pour la première fois depuis de nombreuses années, les rennes revinrent au trot dans la Vallée Radieuse, en plein jour, sous les premiers rayons du soleil qui pointaient par-dessus la lisière de la forêt, comme pour leur prouver qu’ils étaient bien en retard.

    Après avoir rentré les rennes dans l’étable, les petits immortels se demandèrent comment ils pourraient délivrer leur maître ; et ils comprirent immédiatement qu’ils devaient d’abord découvrir ce qui lui était arrivé, et où il se trouvait.

    Tout d’abord, Cecily se transporta jusqu’au château de la Reine des Fées, situé au cœur de la Forêt de Burzee. Une fois sur place, il ne lui fallut pas longtemps pour tout apprendre sur les méchants Démons, et sur la façon dont ils avaient kidnappé le bon Père Noël pour l’empêcher de rendre les enfants heureux. La Reine des Fées lui promit également son aide. Forte de ce puissant soutien, Cecily retourna là où Rafferty, Douglas et Fabian l’attendaient, et tous quatre élaborèrent un plan pour délivrer leur maître.

    Pendant ce temps-là, le pauvre Père Noël demeurait captif. Je ne vous cacherai pas que, durant la nuit qui suivit sa capture, il ne fut pas d’humeur aussi gaie que d’habitude. Car, bien qu’il eût foi dans le jugement de ses petits amis, il ne pouvait éviter de se sentir vaguement inquiet, et une tristesse passait parfois dans son regard, en pensant à la déception que ressentiraient peut-être ses chers petits enfants. Les Démons, qui le gardaient tour à tour, ne manquaient pas de le narguer par des paroles méprisantes, en profitant de son état d’impuissance.

    À l’aube du jour de Noël, c’était le Démon de la méchanceté qui gardait le prisonnier, et sa langue était plus acérée que celle de tous les autres.

    « Les enfants se réveillent, Père Noël ! lui cria-t-il. Ils vont bientôt chercher en vain leurs cadeaux ! Oh, oh, comme ils vont se lamenter, et taper du pied de colère ! Il y aura foule dans nos grottes, aujourd’hui, vieux Père Noël ! Oh oui ! Nos grottes seront pleines ! »

    Mais à cela, comme à d’autres railleries du même genre, le Père Noël ne répondait rien. Il était très affligé de sa capture, il est vrai ; mais son courage ne l’abandonnait pas. Voyant qu’il ne parvenait pas à faire perdre son calme au prisonnier, le Démon de la méchanceté s’éloigna, et le Démon du remords prit sa place.

    Ce dernier personnage n’était pas aussi désagréable que les autres. Il avait des traits aimables et raffinés, et sa voix était douce et agréable.

    « Mes frères Démons n’ont pas grande confiance en moi, dit-il au Père Noël en entrant dans la caverne. Bon, c’est le matin, maintenant, et le mal est fait. Tu ne pourras pas rendre visite aux enfants avant un an.

    — C’est vrai, répondit le Père Noël presque gaiement ; la veille de Noël est passée, et pour la première fois depuis des siècles, je n’ai pas rendu visite aux enfants…

    — Certes, les petits seront grandement déçus, murmura le Démon, presque avec regret. Mais on ne peut plus rien y faire. Le chagrin va probablement rendre certains enfants égoïstes, envieux et colériques, et s’ils viennent aujourd’hui dans les grottes de mes frères, j’aurai peut-être l’occasion d’avoir moi-même quelques visites…

    — Et toi ? demanda le Père Noël avec curiosité. Tu n’as donc jamais de remords ?

    — Oh, si ! répondit le Démon. Par exemple, en ce moment même, je me repens d’avoir contribué à ta capture. Bien entendu, il est trop tard pour remédier au mal qui a été fait ; mais le remords, comme tu le sais, ne peut survenir qu’après une mauvaise pensée ou une mauvaise action, car évidemment, au début, il n’y a encore rien dont on puisse se repentir.

    — Cela tombe sous le sens, répondit le Père Noël. Ceux qui se conduisent bien ne visitent jamais ta grotte…

    En général, c’est vrai. Cependant, aujourd’hui, il va y avoir une exception ! répondit le Démon. Car, toi, qui n’as jamais fait de mal, va pourtant être amené à visiter ma caverne. Apprends que, pour te prouver que je regrette sincèrement le rôle que j’ai joué dans ton kidnapping, je vais te permettre de t’échapper ! »

    Ce discours surprit grandement le Père Noël, jusqu’à ce qu’il se rende compte que c’était exactement ce qu’on pouvait attendre du Démon du remords. Ce dernier s’occupa aussitôt de défaire les nœuds qui liaient les mains du prisonnier, et de déverrouiller les chaînes qui l’attachaient au mur. Puis il le conduisit, à travers un long tunnel, jusqu’à sa propre grotte.

    « J’espère que tu me pardonneras… dit le Démon d’un ton suppliant. Je ne suis pas vraiment une mauvaise personne, tu sais ; je crois même que j’accomplis beaucoup de bien, dans ce monde…

    Il ouvrit alors une porte à l’arrière, laissant entrer un flot de soleil, et le Père Noël respira l’air frais avec gratitude.


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    — Je ne t’en veux pas, dit-il au Démon d’une voix douce, et je suis certain que, sans toi, le monde serait un endroit bien lugubre… Alors, bonne journée, Démon, et surtout, joyeux Noël ! »

    Sur ces mots, il sortit dans la claire lumière du matin, et un instant plus tard, il prenait la route, en sifflotant doucement tout bas, en direction de sa propre maison, dans la Vallée Radieuse.

    Une immense armée, composée des créatures les plus curieuses qu’on puisse imaginer, marchait sur la neige en direction de la montagne. Il y avait d’innombrables trolls de la forêt, aussi rudes et noueux que les branches des arbres qu’ils habitaient. Ils étaient accompagnés des délicats esprits des champs, chacun portant l’emblème de la fleur ou de la plante qu’il représentait. Derrière eux, suivait une foule d’elfes et de gnomes ; et le cortège était survolé par au moins mille adorables fées. Cette armée merveilleuse était conduite par Cecily, Rafferty, Douglas et Fabian : c’étaient eux qui l’avaient constituée pour libérer le Père Noël, et se venger des Démons qui avaient osé l’éloigner de ses enfants bien-aimés.

    - Et, malgré leur apparente bienveillance, sachez que ces petits immortels étaient armés de pouvoirs qui se seraient révélés terribles pour ceux qui avaient encouru leur colère. Malheur aux Démons des cavernes, s’ils avaient croisé le chemin de cette redoutable armée ! -

    Mais, venant à la rencontre de ses fidèles amis, voici qu’apparut la silhouette imposante du Père Noël. Sa barbe blanche flottait au vent et ses yeux étincelaient de plaisir, en voyant la preuve de l’amour et de la vénération qu’il avait fait naître au fond du cœur de ces puissantes créatures immortelles. Et tandis qu’ils se rassemblaient autour de lui, en sautant de joie pour fêter son retour sain et sauf, il les remercia chaleureusement pour leur soutien. Après avoir embrassé affectueusement Cecily, Rafferty, Douglas et Fabian, il leur dit :

    « Il est inutile de poursuivre les démons… Ils ont leur place dans le monde, et ne pourront jamais être anéantis.

    - C’est cependant bien dommage, néanmoins… - » ajouta-t-il tout bas.

    Ainsi, les elfes, les trolls, les esprits et les fées escortèrent tous le vieil homme jusqu’à son château, et le laissèrent là, discuter des événements de la nuit avec ses petits assistants.

    Cecily, après s’être rendue invisible, avait déjà survolé le monde, en ce matin de Noël radieux, pour voir comment allaient les enfants ; et, au moment où elle revint, Douglas venait de raconter au Père Noël comment ils avaient effectué la tournée de distribution des jouets.

    « Nous nous sommes bien débrouillés ! s’écria la fée d’une voix triomphante. Les enfants sont globalement contents de leurs cadeaux. Cependant, il ne faudrait pas que ce genre de désagrément se reproduise trop souvent, car nous ne serons peut-être pas aussi chanceux la prochaine fois… »

    Elle avoua alors les quelques erreurs qui avaient été commises, et qu’elle n’avait découvertes qu’au cours de sa tournée d’inspection. Le Père Noël envoya sur-le-champ un joli déguisement de chevalier à Antoine, et un beau vélo rouge à Léa ; de sorte que même ces deux déçus furent satisfaits.

    Quant aux cruels Démons, ils furent remplis d’amertume lorsqu’ils découvrirent que leur plan ingénieux de capture du Père Noël n’avait abouti à rien. En effet, personne, en ce lumineux jour de fête, ne semblait être en colère ou jaloux, bien au contraire… Et la bienveillance habitait le cœur de chacun.


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