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Le lutin qui n’aimait plus Noël

… d'Ethel Calvert Phillips
...illustrations d'Elmer Boyd Smith

Traduction inédite du conte 'The brownie who found Christmas', issu du recueil 'The Santa Claus Brownies', paru en1920.

Cette œuvre est publiée sous licence CC-BY-NC-ND - libre partage - attribution - pas d'utilisation commerciale - pas de modification -.


Le Roi Chat par Tohukiro Kawai

Image réalisée par Intéligence Artificielle, Playground


Zébulon en avait assez de Noël…

 « Je n’arrive pas croire une telle chose ! déclara le Père Noël.

— Moi non plus…, répondit Zébulon, en secouant la tête jusqu’à ce que la pointe de son bonnet rouge se mette à osciller. Mais c’est la vérité, Père Noël. J’en suis fatigué ! »

Zébulon était un des lutins du Père Noël. Mais pas n’importe lequel ! Il était également le plus doué d’entre eux, selon les propres mots de ce dernier - et celui-ci était le mieux placé pour le savoir… -

Tout au long de l’année, Zébulon restait assis dans le Palais des Neiges, tout au sommet du Pôle Nord, à fabriquer des jouets : des jouets pour les garçons, pour les filles, mais aussi pour les bébés… Et personne d’autre que lui, le plus habile parmi les lutins, n’aurait pu fabriquer des jouets aussi jolis et aussi charmants. Il n’y avait pas le moindre doute à ce sujet !



Nous étions quelques jours avant Noël. Tous les autres lutins s’étaient rassemblés dans un coin de l’atelier, chuchotant tout bas à propos de ce que Zébulon venait de dire.


Le Palais des Neiges, où habitait le Père Noël, était situé au sommet du Pôle Nord.


« Imaginez un peu ! Zébulon en a assez de Noël ! Qui aurait pu penser cela ? dit la petite Câline, à qui on confiait la fabrication des jouets miniature, en raison de sa patience et de sa douceur. Pour ma part, je pense que les poupées de Zébulon sont les plus belles de toutes ! Leurs yeux sont les plus bleus, leurs joues sont les plus roses, et leurs lèvres ont le plus doux des sourires. Non, je ne vois pas comment Zébulon pourrait se lasser de Noël.

— Il dit qu’il n’aime plus les jouets, dit Pepito. Pourtant, je n’ai jamais vu d’ours en peluche aussi soyeux et adorables, que ceux qu’il a fabriqués cette année

— Comme tu as raison ! approuva le lutin Tramontane, dont la spécialité était de fabriquer des cordes à sauter, des patins à roulettes et des cerfs-volants. On a tout de suite envie de se blottir contre leur douce fourrure, et le moindre petit chagrin fond comme neige en avril.


L’atelier du Père Noël.


— Je pense qu’il est le meilleur fabricant de jouets d’entre nous ! murmura la mignonne fée Hermione, en désignant du doigt le coin où Zébulon était assis tout seul. Comme il a l’air triste ! Autrefois, on le voyait de plus en plus heureux à l’approche de Noël. Il fredonnait en travaillant, et nous souriait de façon si bienveillante, que cela nous mettait tous de bonne humeur, en dépit de tout le travail qu’il restait à accomplir !

— C’est tout à fait vrai ! approuva Jingle, qui était aussi joyeux que le nom qu’il portait. Avant, il adorait ça : les jouets, les chocolats, et les sapins décorés. Mais ce n’est plus le cas… Il dit que les enfants d’aujourd’hui ne pensent plus qu’aux jouets qu’ils vont recevoir. Il dit qu’il a perdu la joie de Noël…

— Perdu la joie de Noël ?! s’exclama Bambou, le petit lutin d’atelier - C’était lui qui ramassait les épingles, enfilait les aiguilles, et retrouvait les ciseaux pour tous ses camarades -. Peut-être que je peux la lui retrouver ! Je vais me mettre à sa recherche sur-le-champ ! Croyez-moi, je ne m’arrêterai que lorsque j’aurai mis la main dessus. Tout, plutôt que de voir le pauvre Zébulon si triste !

— Non, je sais ce qu’il faut faire ! s’écria Chocolatine, la fée chargée de la fabrication des pâtisseries et des bonbons. Je vais fabriquer un dessert spécial pour Zébulon. Il l’aimera tellement, qu’il oubliera son chagrin. Je vais vous dire ce que je vais mettre à l’intérieur.

Et Chocolatine commença à réciter tout bas, alors que les autres lutins faisaient cercle pour écouter.

— Du sucre glace, de la cannelle, du chocolat au lait, de la crème à la vanille, des amandes… »



Mais le lutin appelé Crapule s’éclipsa, et se dirigea vers le petit banc sur lequel Zébulon s’était assis, la tête dans ses mains. Il lui demanda gentiment :

« Qu’est-ce qui ne va pas, Zébulon ? On dirait que tu as perdu ton meilleur ami.

— C’est le cas, répondit le lutin sans même relever la tête. C’est même pire : j’ai perdu Noël. Je n’aime plus Noël.

— Quel est le problème, avec Noël ? demanda Crapule. Les années passées, tu étais celui d’entre-nous qui l’aimait le plus.

— Je le sais bien, répondit Zébulon. Mais c’est fini. Je suis fatigué des jouets, des cadeaux, et des sapins. La seule pensée d’une guirlande me fait frissonner de la tête aux pieds.

— Bonté divine ! dit Crapule en fronçant un peu les sourcils. La situation est grave… Ce dont tu as besoin, c’est de te changer, les idées ! Pourquoi ne demandes-tu pas au Père Noël de te permettre de l’accompagner durant sa tournée, la nuit de Noël ?

— Cela ne servirait à rien, marmonna Zébulon, en secouant lentement la tête. Tu te souviens qu’il a toujours dit que s’il prenait un seul lutin, il devrait les prendre tous ; et que s’il nous prenait tous, nous ferions tellement de bruit que nous réveillerions les enfants dans leur lit. Et puis, de toute façon, je ne veux pas y aller ! Il n’y aurait que des jouets, des jouets, et encore des jouets ! De nos jours, les enfants ne pensent plus qu’à cela : combien de jouets ils vont encore recevoir ? Non, cher ami, conclut Zébulon, la voix un peu tremblante. J’en ai assez de tout cela…

— Je ne suis pas certain que tous les enfants reçoivent autant de jouets que tu le dis… répondit Crapule. Si tu accompagnais le Père Noël, tu te rendrais compte que certains enfants ont très peu de cadeaux.

— Tu crois ?... Moi, je ne le pense pas. Imagine un peu : le traîneau est rempli à ras-bord de jouets, à destination de millions d’enfants… Comme je te l’ai dit : j’en ai assez des jouets… Vois-tu, cette année, je n’en ai fabriqué qu’un seul que j’aime vraiment, et c’est Mademoiselle Annabelle…

— Ah oui, Annabelle… » murmura Crapule.

Et il s’éloigna, sans dire un mot de plus.

Annabelle était une grande poupée. Zébulon l’avait fabriquée pour une petite fille malade. Voici comment les choses s’étaient déroulées. Au début du mois de décembre, le Père Noël avait reçu une lettre de la grand-mère de la fillette, dans laquelle elle disait qu’elle aimerait que sa petite fille reçoive une grande poupée pour Noël, pour la récompenser du grand courage dont elle avait fait preuve durant l’année. Immédiatement, le Père Noël avait transmis cette lettre à son meilleur ouvrier, et Zébulon avait entrepris la fabrication de Mademoiselle Annabelle.

Il était tellement las des cheveux blonds et bouclés, des robes brillantes, des nœuds compliqués et des chaussures à brides, qu’il ne donna rien de tout cela à Annabelle. Il se dit :

« Peut-être que la petite fille est également fatiguée de tout ce tralala. Peut-être aimerait-elle une poupée toute simple, dont elle ne pourra pas abîmer les vêtements, même en jouant beaucoup avec elle ».

Mademoiselle Annabelle reçut donc de jolis yeux et des joues roses, bien entendu, mais aussi deux longues tresses, attachées simplement par un petit nœud de velours. Et elle fut vêtue de bas marron, qui ne se tachaient pas facilement, et de chaussures en cuir, avec une robe toute de laine solide, toute droite, pour qu’elle ne s’abîme pas avec le temps. La robe avait des poches : dans l’une d’elles se trouvait un minuscule mouchoir, et dans l’autre une bourse miniature.

Oh ! Zébulon s’y entendait quand il s’agissait de fabriquer des jouets ! Et il y avait quelque chose, dans Mademoiselle Annabelle, qui faisait que tout le monde l’avait tout de suite adorée. Le Père Noël était certain que la petite fille et sa grand-mère l’aimeraient beaucoup aussi.

Après avoir quitté Zébulon, Crapule se mit à la recherche de Mademoiselle Annabelle. Il la trouva assise sur le rebord de la fenêtre, cachée par un rideau, en train de regarder les rennes s’ébattre dans la neige.


La préparation du traîneau


Crapule se glissa lui aussi derrière le rideau, et demanda à la poupée si elle avait entendu la conversation qu’il venait d’avoir avec Zébulon. Oui, Mademoiselle Annabelle en avait entendu chaque mot. Alors, Crapule lui posa une question bizarre :

« Annabelle, sais-tu ce qu’est un caprice ?

— Non, répondit celle-ci, je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose.

— Eh bien, un caprice, expliqua Crapule, dont le visage restait impassible, mais dont les yeux pétillaient d’amusement, c’est quand tu obliges les autres à faire ce que tu veux en criant et en pleurant bien fort. Parfois, il faut aller jusqu’à se coucher par terre et donner des coups de pied en l’air. Dis-moi, Annabelle, crois-tu pouvoir faire cela ?

— Oh oui, répondit promptement Mademoiselle Annabelle. Cela a l’air assez simple. Je suis certaine que j’en serais capable.

— Alors, écoute-moi » dit Crapule.

Et il se pencha pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Quand il eut terminé, tous deux se mirent à rire et à glousser en se faisant des clins d’œil. Ils avaient un secret, et vous allez bientôt le connaître…

On était à la veille de Noël, en fin d’après-midi : le moment le plus chargé de toute l’année, au Palais des Neiges, situé à l’extrémité du Pôle Nord.

Le grand traîneau du Père Noël était garé devant la porte ; les huit petits rennes tout harnachés se tenaient bien sagement devant. Les lutins entraient et sortaient continuellement du palais, pour ranger dans le traîneau les jouets sur lesquels ils avaient travaillé pendant une longue, très longue année. Tout d’abord, on apporta les trains miniatures, les voitures et les vaisseaux spatiaux, qui étaient les jouets les plus fragiles. Puis, Jingle sortit en trombe, les bras chargés d’ours en peluche et de doudous de toutes sortes. Chocolatine titubait sous son chargement de bonbons : plus de cinquante sortes différentes.



Très doucement, Câline disposa ses poupées, les rangeant soigneusement dans des coins chauds et confortables. Crapule dévala les marches, traînant deux chevaux à bascule, leurs crinières et leurs queues se balançant dans l’air glacial. Zébulon, aidé de Farfelu, étaient partout à la fois : rattachant une bicyclette à l’arrière du traîneau, remettant dans sa boite un cube de bois égaré.

Ainsi, petit à petit, le traîneau se remplit. La pile de jouets était de plus en plus haute. Il était de plus en plus difficile de trouver une place pour chacun. Quand tout fut terminé, Zébulon se tint près des rennes, caressant leur doux museau velouté.

Le Père Noël venait d’enfiler ses gants : il était temps de partir. Soudain, Crapule, dont le visage était devenu très rouge, s’écria :

« Attendez ! Où est Mademoiselle Annabelle ? Nous avons oublié Annabelle ! »

Tous les lutins se regardèrent, effarés : c’était vrai, tout à fait vrai ; ils avaient oublié Mademoiselle Annabelle ! Crapule, aussi rapide que l’éclair, se précipita dans le palais pour en ressortir en courant, tenant la poupée entre ses mains.

« Je l’ai trouvée ! s’écria-t-il. Elle se cachait derrière le rideau, sur le rebord de la fenêtre. Mais regardez, Père Noël, elle pleure ! »

Et c’était la pure vérité : la poupée était en pleurs. Le petit mouchoir qu’elle avait tiré de la poche de sa robe était trempé, de grosses larmes coulaient sur ses jolies joues roses et le bout de son petit nez en pointe était tout rouge.

Les lutins, et le Père Noël lui-même, étaient interloqués : une poupée qui pleure, cela ne s’était jamais vu ! Selon la tradition, les jouets étaient toujours heureux, la veille de Noël, attendant avec impatience leur nouvelle maison, là où le Père Noël allait les déposer.

« Que se passe-t-il, Annabelle ? demanda le Père Noël de sa voix la plus aimable.



— J’ai peur ! J’ai très peur ! sanglota la poupée. Je ne veux pas monter dans le traîneau toute seule. Je veux que Zébulon m’accompagne. Je le veux, je le veux, je le veux !

— Mais tu ne seras pas seule, dit le Père Noël, surpris. Je t’avais réservé une belle place, tout à côté de l’ours polaire en peluche. Il te tiendra la main

Mais Annabelle secoua la tête, et se mit à hurler plus fort.

— Non, non ! Je veux Zébulon ! Si Zébulon ne vient pas, je ne viens pas non plus ! »

Elle se jeta alors à terre, et balança ses pieds en l’air de toutes ses forces. Les lutins étaient tous consternés ! Tous, sauf Crapule, qui alla se cacher derrière le traîneau, en se pinçant très fort le nez pour ne pas rire. Le Père Noël, quant à lui, restait indécis. De plus, l’heure tournait, et il commençait à se faire tard.

« Miséricorde ! dit-il en se frottant le nez de sa main gantée de fourrure. Je ne sais pas si c’est une bonne idée d’offrir à une petite fille qui vient d’être malade, une poupée avec un caractère aussi épouvantable ! Bon… Zébulon ! Peut-être devrais-tu sauter dans le traîneau pour nous accompagner… Il faut nous mettre en route, ou nous allons prendre du retard. La nuit promet d’être longue.

— Oui, maître ! » répondit Zébulon.

La pensée d’accompagner le Père Noël dans sa tournée autour du monde venait soudainement de lui couper le souffle. Il aida Mademoiselle Annabelle à se relever, et ensemble, ils grimpèrent rapidement dans le traîneau.


Le traîneau s’élance, au coucher du soleil.


Le Père Noël prit les rênes, fit claquer son fouet, les lutins poussèrent trois grands cris de joie, et le traîneau s’élança. Annabelle continuait à se comporter de façon bien étrange. Elle s’essuya les yeux et sourit à Zébulon, sans montrer la moindre honte d’avoir fait un tel caprice, alors même que l’ours en peluche lui jetait un regard méprisant. Puis elle cacha son visage au creux de l’épaule de Zébulon, et se mit à rire tout bas.

Le traîneau filait désormais sur le sol gelé, dans la froide lumière des rayons de lune. La voûte du ciel scintillait d’étoiles ; et à perte de vue, on n’apercevait que de la neige. Ils pénétrèrent dans une forêt sombre, imprégnée d’une lourde senteur de pins. De temps à autre, ils rencontraient une maison : le traîneau faisait alors halte sur son toit ; le Père Noël descendait par la cheminée, puis remontait, reprenait sa place dans le traîneau, et repartait. Les rennes semblaient voler, leurs sabots effleurant à peine le sol. Il y eut ensuite un village, puis une ville. Et partout, les enfants étaient couchés dans leurs petits lits, endormis dans l’obscurité ou à la lueur d’une veilleuse.



Tous avaient préparé la venue du Père Noël ; mais pas tous de la même façon. L’un avait accroché une chaussette près de la cheminée ; un autre avait déposé un petit sabot de bois devant la porte de sa chambre ; un autre encore avait placé une petite bougie à la fenêtre, pour le guider. Mais le Père Noël savait toujours exactement ce qu’il devait faire, et quels cadeaux il devait laisser à chacun. Le traîneau pénétra enfin dans une grande ville, où de nombreuses fenêtres allumées scintillaient dans la lumière givrée des étoiles. Ils s’arrêtèrent devant une petite maison de briques rouges : c’était ici qu’habitait la petite fille à laquelle Annabelle était promise.



« Je sais que tu vas la rendre heureuse, lui dit Zébulon en l’embrassant sur sa jolie joue rose. En retour, Annabelle passa ses deux bras autour du cou de Zébulon.

— Je suis tellement contente que tu aies pu venir avec nous cette nuit, murmura-t-elle. Je suis certaine que tu vas retrouver, ce soir, la joie de Noël ! »

Puis Annabelle descendit dans la cheminée, en compagnie du Père Noël, jusqu’à la paisible chambre d’enfant où sommeillait la fillette, rêvant à la grande poupée qu’elle espérait trouver le lendemain.



Le traîneau repartit. Zébulon, un peu ému, vint se blottir contre le Père Noël. Ils survolaient à présent l’océan, agité par de violentes bourrasques. De grosses vagues grises venaient se briser sur les coques de grands navires, qui avançaient silencieusement sur l’eau noire et glacée. À bord de ces navires, il y avait des enfants. Pensez-vous que le Père Noël les avait oubliés ? Certainement pas ! En passant, il jeta sur le pont de chacun des bateaux, de grands sacs de jute remplis de jouets, afin qu’aucun enfant ne se réveille le matin de Noël sans le moindre cadeau.

La distribution se déroulait sans incident. Elle semblait ne jamais devoir se terminer. Le traîneau s’arrêtait continuellement, desservant des fermes isolées, de hauts immeubles, des demeures princières et des masures. Le Père Noël était si occupé, que Zébulon avait fini par s’emparer des rênes.

« C’est merveilleux, non ? lui lança le Père Noël, en affichant un large sourire. Il n’y a rien de tel au monde que la nuit de Noël ! Qu’en penses-tu, Zébulon ? »

Et son visage s’éclairait d’une telle joie en se tournant vers lui, que le petit lutin eut honte de lui confier ce qu’il ressentait vraiment. Il enfouit son nez dans la chaude cape de fourrure du Père Noël, et se contenta de marmonner quelque chose qui ressemblait à : « Tous ces jouets… Il y a trop de jouets… »

Mais le Père Noël l’entendit, et comprit ce qu’il voulait dire. Il n’adressa plus la parole à son lutin, mais le regarda fixement lorsqu’ils s’arrêtèrent devant la porte d’une maison modeste, dans laquelle le Père Noël déposa seulement une petite boite de cubes en bois.

« D’accord ! dit Zébulon. Peut-être bien que tous les enfants n’ont pas beaucoup de jouets, mais ils ont tous quelque chose. Et moi, les jouets, j’en ai assez ! »

Le Père Noël ne répondit rien, et poursuivit sa route dans la campagne blanche, toujours plus loin, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une seule maison en vue.

« Où allons-nous comme cela ? se demanda Zébulon. Il n’y a plus rien, par ici ; on est au milieu de nulle part. »

Ils arrivèrent enfin à une petite cabane en bois, à moitié enfouie dans la neige. Il y avait de la lumière à la fenêtre, bien qu’on soit au milieu de la nuit.

« Quelqu’un décore avec retard son arbre de Noël, je suppose, pensa le lutin. Encore des guirlandes, encore de jolies boules brillantes… Ce n’est jamais fini… »

Mais à sa grande surprise, le Père Noël ne s’arrêta pas. Il ne contenta de ralentir, et très doucement, souleva Zébulon entre ses mains et le déposa dans la neige.

« Je dois te laisser un moment ; attends-moi. Si je ne me trompe pas, il y a ici quelque chose pour toi. Je reviendrai te chercher dans peu de temps. »

Et, avant que Zébulon ait eu le temps d’ouvrir la bouche, il fouetta ses rennes, et le traîneau repartit en trombe, disparaissant parmi les sapins enneigés.

Le petit lutin remonta péniblement le sentier qui menait à la porte de la cabane, et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Comme nous le savons, il s’attendait à voir un arbre de Noël, scintillant de guirlandes et de boules de toutes sortes et de toutes les couleurs. Il pensait voir de chaussettes, bien rangées autour de la cheminée, des bouquets de houx et des branches de gui. Mais dans la pièce qu’il avait sous les yeux, il n’y avait pas le moindre signe qu’on fût à la veille de Noël.



C’était une chambre nue, avec un lit dans un coin et une vieille cuisinière, qui occupait un des murs. Il y avait là trois enfants, tous complètement éveillés, alors que partout ailleurs, les petits garçons et les petites filles étaient déjà endormis.

Les trois enfants étaient en chemise de nuit, tous sauf une, la plus grande : une fille. Ils avaient jeté sur leurs épaules des bouts de châles et des écharpes pour se tenir chaud ; mais malgré cela, leurs petits nez étaient rouges de froid, et ils soufflaient sans cesse sur leurs doigts. Ils ne quittaient pas du regard le fourneau de la cuisinière, et les plus petits s’amusaient à inspirer fortement :

« Cela sent bon ! Elles sont prêtes ! Elles sont prêtes ! »

Puis ils se mirent à sautiller sur place, si gaiement qu’ils firent tomber leurs châles, et que l’aînée dut passer dans leur dos pour les couvrir à nouveau. Zébulon voyait très bien tout cela, car il avait le nez collé contre la vitre.

« Il doit y avoir une dinde de Noël dans le four, se dit-il. Mais quelle drôle d’heure pour la faire cuire ! Et où est leur sapin ? Où sont leurs parents ? »

Intrigué, il ne pouvait détacher son regard des enfants.

« Je vais bientôt connaître leurs noms… pensa-t-il. La plus grande s’appelle Louise, car les autres enfants crient toujours : ‘Oh, Louisette, regarde ceci ou donne-moi cela !’ »

Zébulon souffla sur la vitre, pour la réchauffer de son haleine, et la frotta avec sa manche. Il comprit vite que le petit garçon s’appelait Nicolas, et la plus petite des filles, Emma.

« Il me tarde qu’ils ouvrent la porte du four, pour voir ce qu’il y a à l’intérieur. »

Les enfants ne cessaient de demander :

« Oh, Louisette, regarde dans le four ! Regarde si elles ne sont pas prêtes ! »


.

Au bout d’un moment, la fillette se mit à rire :

« Reculez ! dit-elle. Je vais voir. »

Et quand elle dit : « C’est prêt ! », les enfants poussèrent des cris de joie et tapèrent dans leurs mains.

« Qu’est-ce que cela peut bien être ? se demandait Zébulon, accroché au rebord de la fenêtre, les yeux ronds comme des soucoupes. Ce doit être quelque chose de délicieux… »

Mais ce que Louise sortit soigneusement du four, et disposa sur la table, ce furent… trois petites pommes cuites ! Zébulon faillit tomber de son perchoir sous l’effet de la surprise. Il se retint à temps, mais fit quelque chose de bien pire : il éternua ! Un éternuement bruyant, qui s’entendit jusque dans la pièce. Bien entendu, tous les enfants se précipitèrent à la fenêtre pour voir ce qui se passait. Lorsqu’ils virent un petit garçon, de la taille d’un lutin, blotti derrière la vitre, ils supplièrent leur sœur de les autoriser à le laisser entrer.

Zébulon fut donc invité à pénétrer dans la petite pièce, embaumée par l’odeur de cannelle qui se dégageait des trois petites pommes.

« C’est Louise qui les a préparées pour nous ! » dit fièrement Nicolas.

D’une certaine manière, en promenant son regard dans la petite pièce dépouillée, Zébulon ne détestait plus autant que quelques heures auparavant l’idée d’offrir à Noël des jouets aux enfants. Il lui semblait tout à fait étrange de ne pas voir autour de lui un joli sapin décoré, de petites pantoufles bien rangées devant la cheminée, et de petites têtes brunes ou blondes, reposant sur de douillets oreillers.

Louise devina ses pensées. Elle dit :

« Voyez-vous, lutin, nos parents travaillent tous les deux, ce soir. C’est moi qui m’occupe des petits. Ils voulaient être avec nous, mais cela n’a pas pu se faire. Il n’y a pas eu beaucoup d’argent à la maison, cette année. Alors, papa et maman nous ont dit que les cadeaux seront pour Noël prochain. Mais j’ai eu l’idée de fabriquer un joli dessert pour les enfants. Ce sera aussi amusant que des jouets ! »

Zébulon restait silencieux. Il pensait aux innombrables jouets qu’il avait fabriqués cette année-là, dans le Palais des Neiges du Père Noël, au sommet du Pôle Nord, au traîneau rempli à ras bord de cadeaux qui feraient demain la joie des enfants. Et de tout son généreux petit cœur de lutin, il aurait souhaité en mettre trois de côté, même choisis parmi les plus petits, pour pouvoir les offrir ce soir à ces enfants-là.


Le matin de Noël


« Oh ! gémit Zébulon en lui-même. J’ai dit que j’en avais assez des jouets, que les enfants d’aujourd’hui ne pensaient qu’au nombre de jouets qu’ils allaient recevoir. Mais ceux-ci n’en ont pas un seul, pas un seul pour Noël. Comment ai-je pu penser de telles choses ?

Il sentit alors que quelqu’un tirait le bout de sa manche.

C’était Emma qui lui tendait sa pomme toute dorée.

— Tenez, dit-elle. Je voudrais vous la donner, parce que vous n’avez rien du tout pour Noël. Moi, je partagerai avec Nicolas. Il m’a dit qu’il était d’accord. Prenez-la, c’est pour vous. »

Zébulon prit la petite assiette ; il avait presque envie de pleurer. Mais tout à coup, son visage se transforma. Il s’écria :

« Chut !! »

Reposant son assiette sur la table, il courut ouvrir la porte. Il regarda dehors, écoutant avec attention. Non, il ne s’était pas trompé : au loin, on pouvait distinguer les grelots du traîneau du Père Noël, qui tintaient dans la nuit. Le son était faible, mais tout à fait clair. Il se retourna, et dit aux enfants étonnés, qui se tenaient en rang devant lui :

« Vite ! Vite ! Si vous deviez recevoir un cadeau, là, tout de suite, lequel choisiriez-vous ? Qu’est-ce qui vous ferait le plus plaisir ? Dites-le-moi !

Il ne leur fallut pas plus d’une minute pour répondre.

— Un vaisseau spatial ! s’écria Nicolas.

— Une grande poupée ! dit Emma en souriant.

 Et toi, que désires-tu ? demanda Zébulon à Louise.

— Je voudrais… un journal pour écrire tout ce que je veux dedans. Un de ceux qui ferment, avec une petite clef.

Zébulon hocha la tête : il avait tout ce qu’il fallait pour se mettre au travail immédiatement. Il se dirigea vers la porte ; mais soudain, il se retourna :

— Vous ne devez pas me regarder !

Il venait de se rappeler que ce serait réellement terrible si un seul de ces enfants jetait un coup d’œil au dehors, et aperçût, ne serait-ce que brièvement, le Père Noël et son traîneau.

— Vous ne devez pas regarder ! Promettez-le-moi !

— Nous nous cacherons les yeux, promit Louise. Venez, les enfants. Tournons-nous du côté du lit. »

Les enfants se mirent donc en rang le long du lit, leurs petits châles serrés autour de leurs épaules, leurs orteils et leurs talons roses apparaissant de la manière la plus comique qui soit. Ils ne savaient pas de quoi il s’agissait, bien entendu, mais c’était vraiment Noël : quelque chose d’amusant et d’excitant, et ils aimaient cela !

Zébulon se précipita hors de la maison pour accueillir le Père Noël, qui arrivait les bras chargés de cadeaux.

« Oui, oui, je sais déjà tout, dit-il en souriant, de petits glaçons tremblotant au bout de sa barbe. Tiens, aide-moi. Voici le vaisseau spatial de Nicolas : il est même télécommandé, avec des lumières qui clignotent. Voici la poupée d’Emma. C’est toi qui l’a fabriquée, Zébulon : c’était une de tes plus réussies. Et voici un très joli journal pour Louise, avec une boite à secrets assortie. À présent, des chocolats pour tous ! Voilà, déposons tout cela à la porte. Et n’oublie pas ces couvertures, Zébulon : je les ai sorties à leur intention ; elles sont à l’arrière du traîneau.

— Des couvertures ? demanda le lutin. Personne ici n’a demandé de couvertures.

— Oh si, répliqua le Père Noël. Leur maman l’a fait. Avec un petit manteau tout neuf pour chaque enfant. »

Zébulon ouvrit de grands yeux, en fixant le Père Noël. Il se disait que personne, non personne, n’en savait aussi long que cet adorable vieux monsieur…

Quand tout fut soigneusement déposé devant la porte, Zébulon cria aux enfants :

« Maintenant, vous pouvez regarder ! »

Puis d’un bond, il sauta dans le traîneau, quasiment vide à présent, qui démarra en trombe, filant comme une flèche vers le Palais des Neiges, alors que les premiers rayons de soleil levant apparaissaient à l’horizon. Les cris de joie des enfants qui découvraient leurs cadeaux furent les seuls bruits qu’ils entendirent, avant de quitter définitivement la forêt encore endormie. Zébulon se pencha hors du traîneau et agita la main ; mais bien entendu, aucun des enfants ne pouvait plus le voir.

« Trop de jouets… beaucoup trop de jouets… Qu’en dis-tu, maintenant, Zébulon ? demanda le Père Noël en regardant le lutin, qui se tenait à ses côtés.

Celui-ci sourit, et répondit :

— J’avais tort, Père Noël. Dès que nous serons rentrés, je commencerai à fabriquer ceux que nous offrirons à ces petits enfants l’année prochaine. Mais la plus belle chose, voyez-vous, c’est que j’ai retrouvé Noël, dit Zébulon. Oh oui, j’ai retrouvé la joie de Noël… »

Et le petit lutin ferma les yeux avec ravissement.

 



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