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Les voyages du Petit Poucet

… un conte des frères Grimm

… illustré par Hermann Stockmann


Texte et illustrations dans le domaine public.


Un tailleur avait un fils, qui était petit et pas plus gros qu’un pouce, c’est pourquoi on l’appelait le Petit Poucet. Il était très courageux et un beau jour dit à son père :

« Père, je dois aller voir le monde.

— Tu as raison, mon fils, répondit le vieil homme, qui prit une longue aiguille à repriser et fit fondre dessus une noisette de cire.  Voilà : tu as maintenant une épée pour aller sur les chemins ».



Le petit tailleur voulut prendre un repas avant de s’en aller, et sauta dans la cuisine pour voir ce que sa maman avait préparé. Le repas était servi, et le bol était sur la cuisinière. Il demanda :

« Maman, qu’y-a-t-il à manger aujourd’hui ?

— Regarde par toi-même » dit sa mère.

Alors, le Petit Poucet sauta sur la cuisinière et regarda dans le plat. Mais comme il tendit son cou trop loin, la vapeur provenant de la nourriture l’emporta et le fit monter dans la cheminée. Il s’éleva pendant un moment, porté par la vapeur jusqu’à ce qu’enfin il retombe sur terre.



Le petit tailleur voyagea alors dans le monde entier, et finit par aller travailler chez un patron, mais la nourriture n’y était pas assez bonne.

« Maîtresse, si vous ne me donnez pas des repas plus consistants, déclara le Petit Poucet, je m’en irai écrire à la craie sur la porte de votre maison : trop de pommes de terre, et pas assez de viande. Adieu Monsieur le roi de la pomme de terre !

— Que veux-tu de plus, sauterelle ? » répondit la femme qui, en colère, saisit un torchon et voulut le frapper.

Le petit tailleur se glissa prestement sous un dé à coudre, jeta un coup d’œil par en-dessous et lui tira la langue. Elle souleva le dé, voulut l’attraper mais le Petit Poucet sauta dans un repli du torchon. La maîtresse le déplia ; le petit bonhomme se réfugia dans une anfractuosité de la table.

« Hé oh ! » dit-il en sortant sa tête, et quand elle commença à le frapper, il sauta dans le tiroir. Cependant, elle réussit finalement le chasser de la maison.



 Le petit tailleur reprit son voyage, et arriva dans une grande forêt, où il rencontra une bande de voleurs qui avaient l’intention de voler le trésor du roi. Quand ils virent le petit tailleur, ils pensèrent :

« Un petit garçon comme ça peut se glisser dans un trou de serrure et la crocheter… »



« Holà ! , s’écria l’un d’eux, toi, Goliath le géant, veux-tu entrer dans la Salle du Trésor pour nous ? Tu pourrais t’y faufiler et nous jeter l’argent ».



Le Petit Poucet réfléchit un certain temps, accepta finalement, puis partit avec eux vers la Salle du Trésor. Il l’examina ensuite de haut en bas, pour voir s’il y avait une fissure. Il ne lui fallut pas longtemps pour en apercevoir une assez large pour le laisser passer. Il était sur le point d’y pénétrer, quand une des deux sentinelles qui se tenaient devant la porte le remarqua et dit à l’autre :

« Il y a une vilaine araignée qui rampe par ici. Je vais la tuer.

— Laisse cette pauvre bête ! répondit l’autre. Elle ne t’a rien fait ».



Le Petit Poucet s’introduisit alors en toute sécurité, par la fissure, dans la Salle du Trésor, ouvrit la fenêtre sous laquelle se tenaient les voleurs et jeta les pièces d’or les unes après les autres. Alors qu’il était en pleine activité, il entendit le roi qui venait inspecter son magot. Il se glissa à la hâte dans une cachette. Le roi remarqua que plusieurs pièces manquaient, mais il ne pouvait pas imaginer qu’on en ait volé, car les serrures et les verrous étaient intacts et tout semblait bien gardé. Avant de s’en aller, il dit aux sentinelles :

« Soyez aux aguets, quelqu’un en veut à mon argent ! »



Quand le Petit Poucet reprit son travail, ils entendirent l’argent remuer : gling, gling, gling. Les gardes se précipitèrent pour attraper le voleur, mais le petit tailleur, qui les avait entendus venir, et qui était encore plus rapide qu’eux, sauta dans un coin et se couvrit d’une pièce, de telle sorte qu’aucune partie de son corps n’était visible. Il se moqua des sentinelles et leur cria :

« Je suis là ! »

Les gardes coururent vers lui, mais il avait déjà sauté dans un autre coin, sous une autre pièce et leur criait :

« Hé, je suis là ! »

Les gardiens se précipitèrent, mais le Petit Poucet s’était depuis longtemps réfugié sous une troisième pièce, et leur criait :

« Hé, je suis là ! »

Il se moqua ainsi d’eux pendant longtemps jusqu’à ce qu’ils soient si fatigués qu’ils s’en allèrent.

Petit à petit, il jeta toutes les pièces. Il lança la dernière de toutes ses forces en sautant prestement sur elle et s’envola ainsi par la fenêtre.



Les voleurs le complimentèrent longuement :

« Tu es un vaillant guerrier, veux-tu être notre chef ? »

Le Petit Poucet refusa, et leur dit qu’il voulait d’abord voir le monde. Ils divisèrent alors le butin, mais le petit tailleur ne demanda qu’une seule pièce, car il ne pouvait pas en transporter davantage. Puis il attacha son épée, salua les voleurs et prit la route.

Il alla tout d’abord travailler chez divers patrons mais il n’aimait pas cela ; il se fit finalement embaucher comme valet dans une auberge. Cependant, les femmes de chambre ne l’appréciaient pas car il pouvait voir ce qu’elles faisaient, sans qu’elles-mêmes puissent s’en rendre compte. Il avait rapporté à son maître et à sa maîtresse ce qu’elles avaient volé à la cuisine, pour leur propre compte.

« Attends, tu vas nous le payer ! » dirent-elles, et elles convinrent entre elles de lui jouer un mauvais tour.




Peu après, alors qu’une des femmes de chambre fauchait le pré, le Petit Poucet gambadait parmi les herbes. L’ayant repéré, la femme le faucha rapidement avec l’herbe, lia le tout dans un grand tissu et le jeta secrètement aux vaches. Parmi elles, il y en avait une grande noire qui l’avala d’un coup sans le blesser.



Mais il n’aimait pas l’endroit où il était tombé, car il faisait assez sombre et il n’y avait même pas une bougie. Quand la vache alla se faire traire, il cria :

« Plitsch, platsch, ploutsch !… Le seau n’est-il pas plein ? »

Mais le bruit de la traite ne lui permettait pas d’être entendu. Plus tard, le maître de la maison vint dans la grange et dit :

« Demain, cette vache doit être tuée. »

Le Petit Poucet était si effrayé qu’il s’écria d’une voix claire : « Laissez-moi d’abord sortir, je suis enfermé à l’intérieur de cette vache ! »

Le maître avait très bien entendu, mais ne savait pas d’où venait la voix.

« Où es-tu ? demanda-t-il.

— Dans la noire ! » répondit-il, mais le maître ne comprit pas ce que cela signifiait et s’en alla.

Le lendemain matin, la vache fut abattue. Heureusement, le Petit Poucet n’eut aucune égratignure, ni au découpage ni au hachage mais il se retrouva tout de même dans la chair à saucisses. Et quand le boucher vint et commença son travail, Petit Poucet cria de toutes ses forces : « Ne coupez pas trop profondément ! Ne coupez pas trop profondément ! Je suis au milieu ! » Personne n’entendit, à cause du bruit du hachoir. Le pauvre Petit Poucet était maintenant en grande difficulté, mais la difficulté aiguise l’esprit, et il sauta si adroitement entre les lames qu’aucune d’entre elles ne le toucha, et il réussit à sauver sa peau.


Cependant, il n’avait toujours pas réussi à en sortir, il n’eut pas d’autre solution que d’être plongé dans un boyau avec des morceaux de lard. L’endroit était un peu étroit. Il fut ensuite suspendu dans la cheminée pour être fumé, où il s’ennuya énormément pendant fort longtemps. Enfin, en hiver, il fut décroché parce que la saucisse devait être offerte à un client. Lorsque l’hôtesse la coupa en tranche, il prit soin de ne pas trop étirer le cou afin de ne pas être coupé, enfin il saisit le bon moment, se fraya un passage et sauta.



Le petit tailleur ne voulut pas rester plus longtemps dans cette maison où il était aussi mal traité, et reprit immédiatement son voyage. Mais cette liberté ne dura pas longtemps. Dans la campagne, il croisa un renard sur le chemin, qui l’avala alors qu’il était perdu dans ses pensées.

« Holà, Monsieur Renard ! s’écria le petit tailleur. C’est moi qui suis coincé dans votre gorge, rendez-moi ma liberté !

— Tu as raison, répondit le renard. Si je te mangeais, j’aurais l’impression de ne rien avoir dans l’estomac. Mais si tu me promets les poulets qui sont dans la basse-cour de ton père, je te laisserai partir.

— De tout mon cœur, répondit le Petit Poucet, je vous promets que vous aurez tous les poulets que vous désirez ».



Alors, le renard le laissa sortir et le porta lui-même jusqu’à la maison. Quand le père revit son fils, il donna ses poulets au renard, de bon gré.

«  En compensation, je t’apporte une belle pièce ! déclara le Petit Poucet, qui lui remit la pièce qu’il avait gagnée au cours de ses voyages.

— Oh, c’est inutile ! Ton père t’aime beaucoup plus que tous les poulets de la basse-cour ! » répondit celui-ci en le serrant dans ses bras.



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