... de Charles Perrault
Texte intégral
Avec des illustrations de Frankie Merlier
Seul le texte de ce conte est dans le domaine public.
Il était une fois un pauvre bûcheron
Qui, las de sa pénible vie,
Avait, disait-il, grand envie
De s’aller reposer aux bords de l’Achéron,
Représentant, dans sa douleur profonde,
Que, depuis qu’il était au monde,
Le ciel cruel n’avait jamais
Voulu remplir un seul de ses souhaits.
Un jour que, dans le bois, il se mit à se plaindre,
À lui, la foudre en main, Jupiter apparut.
On aurait peine à bien dépeindre
La peur que le bonhomme en eut.
« Je ne veux rien, dit-il, en se jetant par terre,
Point de souhaits, point de tonnerre,
Seigneur, demeurons but à but.
— Cesse d’avoir aucune crainte.
Je viens, dit Jupiter, touché de ta complainte,
Te faire voir le tort que tu me fais.
Écoute donc : je te promets,
Moi, qui du monde entier suis le souverain maître,
D’exaucer pleinement les trois premiers souhaits
Que tu voudras former, sur quoi que ce puisse être.
Vois ce qui peut te rendre heureux,
Vois ce qui peut te satisfaire.
Et, comme ton bonheur dépend tout de tes vœux,
Songes-y bien avant que de les faire. »
À ces mots, Jupiter dans les cieux remonta.
Et le gai bûcheron, embrassant sa falourde,
Pour retourner chez lui, sur son dos la jeta.
Cette charge jamais ne lui parut moins lourde.
« Il ne faut pas, disait-il en trottant,
Dans tout ceci rien faire à la légère.
Il faut, le cas est important,
En prendre avis de notre ménagère.
« Çà, dit-il, en entrant sous son toit de fougère,
Faisons, Fanchon, grand feu, grand chère,
Nous sommes riches à jamais.
Et nous n’avons qu’à faire des souhaits. »
Là-dessus, tout au long, le fait il lui raconte.
À ce récit, l’épouse, vive et prompte,
Forma dans son esprit mille vastes projets.
Mais, considérant l’importance
De s’y conduire avec prudence :
« Blaise, mon cher ami, dit-elle à son époux,
Ne gâtons rien par notre impatience,
Examinons bien entre nous
Ce qu’il faut faire en pareille occurrence.
Remettons à demain notre premier souhait.
Et consultons notre chevet.
— Je l’entends bien ainsi, dit le bonhomme Blaise,
Mais va tirer du vin derrière ces fagots. »
À son retour, il but ; et, goûtant à son aise,
Près d’un grand feu, la douceur du repos,
Il dit, en s’appuyant sur le dos de sa chaise :
« Pendant que nous avons une si bonne braise,
Qu’une aune de boudin viendrait bien à propos ! »
À peine acheva-t-il de prononcer ces mots,
Que sa femme aperçut, grandement étonnée,
Un boudin fort long, qui, partant
D’un des coins de la cheminée.
S’approchait d’elle en serpentant.
Elle fit un cri dans l’instant.
Mais, jugeant que cette aventure
Avait pour cause le souhait
Que, par bêtise toute pure,
Son homme imprudent avait fait.
Il n’est point de pouille et d’injure
Que, de dépit et de courroux,
Elle ne dit au pauvre époux.
« Quand on peut, disait-elle, obtenir un empire,
De l’or, des perles, des rubis,
Des diamants, de beaux habits.
Est-ce alors du boudin qu’il faut que l’on désire ?
— Eh bien ! J’ai tort, dit-il. J’ai mal placé mon choix,
J’ai commis une faute énorme,
Je ferai mieux une autre fois.
— Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l’orme.
Pour faire un tel souhait, il faut être bien bœuf ! »
L’époux, plus d’une fois, emporté de colère,
Pensa faire tout bas le souhait d’être veuf.
Et peut-être, entre nous, ne pouvait-il mieux faire.
« Les hommes, disait-il, pour souffrir sont bien nés !
Peste soit du boudin, et du boudin encore !
Plût à Dieu, maudite pécore,
Qu’il te pendît au bout du nez » !
La prière aussitôt du ciel fut écoutée.
Et, dès que le mari la parole lâcha,
Au nez de l’épouse irritée
L’aune de boudin s’attacha.
Ce prodige imprévu grandement le fâcha.
Fanchon n’était pas laide. Elle avait bonne grâce,
Et, pour dire sans fard la vérité du fait,
Cet ornement en cette place
Ne faisait pas un bon effet,
Si ce n’est qu’en pendant sur le bas du visage,
Il l’empêchait de parler aisément.
Pour un époux, merveilleux avantage,
Et si grand, qu’il pensa, dans cet heureux moment,
Ne souhaiter rien davantage !
« Je pourrais bien, disait-il à part soi,
Après un malheur si funeste,
Avec le souhait qui me reste,
Tout d’un plein saut me faire roi.
Rien n’égale, il est vrai, la grandeur souveraine.
Mais encore faut-il songer
Comment serait faite la reine,
Et dans quelle douleur ce serait la plonger,
De l’aller placer sur un trône
Avec un nez plus long qu’une aune.
Il faut l’écouter sur cela,
Et qu’elle-même elle soit la maîtresse
De devenir une grande princesse,
En conservant l’horrible nez qu’elle a,
Ou de demeurer bûcheronne
Avec un nez comme une autre personne,
Et tel qu’elle l’avait avant ce malheur-là. »
La chose bien examinée,
Quoiqu’elle sût d’un sceptre et la force et l’effet,
Et que, quand on est couronnée,
On a toujours le nez bien fait.
Comme au désir de plaire il n’est rien qui ne cède,
Elle aima mieux garder son bavolet
Que d’être reine et d’être laide.
Ainsi le bûcheron ne changea point d’état.
Ne devint point grand potentat,
D’écus ne remplit point sa bourse.
Trop heureux d’employer son souhait qui restait,
Faible bonheur, pauvre ressource,
À remettre sa femme en l’état qu’elle était.
MORALITÉ
Bien est donc vrai qu’aux hommes misérables,
Aveugles, imprudents, inquiets, variables,
Pas n’appartient de faire des souhaits.
Et que peu d’entre eux sont capables
De bien user des dons que le ciel leur a faits !
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