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Cendrillon ou la petite pantoufle de verre

... de Charles Perrault


Texte intégral

Illustré par Svetozar Ostrov


Le texte et la couverture de ce conte sont dans le domaine public.


cendrillon - edmond dulac

Illustration de couverture par Edmond Dulac



Il était une fois un gentilhomme qui épousa, en secondes noces, une femme, la plus hautaine et la plus fière qu’on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le mari avait, de son côté, une jeune fille, mais d’une douceur et d’une bonté sans exemple : elle tenait cela de sa mère, qui était la meilleure personne du monde.

Les noces ne furent pas plutôt faites, que la belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur. Elle ne pouvait souffrir les bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la maison. C’était elle qui nettoyait la vaisselle et les escaliers, qui frottait la chambre de madame et celles de mesdemoiselles ses filles. Elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs étaient dans des chambres parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu’à la tête. La pauvre fille supportait tout avec patience et n’osait s’en plaindre à son père, qui l’aurait grondée, parce que sa femme le gouvernait entièrement.


cendrillon - svetozar ostrov

Lorsqu’elle avait terminé son ouvrage, elle allait se mettre au coin de la cheminée, et s’asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu’on l’appelait communément dans le logis « Cendrillon ». Cependant Cendrillon, malgré ses méchants habits, restait cent fois plus belle que ses sœurs, quoique vêtues très magnifiquement.


cendrillon - svetozar ostrov

Il arriva que le fils du roi donna un bal, et qu’il invita toutes les personnes de qualité. Nos deux demoiselles furent également invitées, car elles faisaient grande figure dans le pays. Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les coiffures qui leur siéraient le mieux. Nouvelle peine pour Cendrillon, car c’était elle qui repassait le linge de ses sœurs et qui amidonnait leurs manchettes. On ne parlait que de la manière dont on s’habillerait.


cendrillon - svetozar ostrov

« Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre.

— Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire. Mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or et ma barrière de diamants, qui n’est pas des plus indifférentes. »

On envoya chercher la bonne coiffeuse, pour dresser les cornettes à deux rangs, et on fit acheter des mouches de la bonne faiseuse.

Elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait bon goût. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, et s’offrit même à les coiffer, ce qu’elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient :

« Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au bal ?

— Hélas, mesdemoiselles ! Vous vous moquez de moi. Ce n’est pas là ce qu’il me faut.

— Tu as raison, on rirait bien, si on voyait une ‘Cendrillon’ aller au bal ! »

Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers. Mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien.


Elles furent près de deux jours sans manger, tant elles étaient transportées de joie. On rompit plus de douze lacets, à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles étaient toujours devant le miroir. Enfin l’heureux jour arriva. On partit, et Cendrillon les suivit des yeux, le plus longtemps qu’elle put.

Lorsqu’elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa marraine, qui la vit tout en pleurs, lui demanda ce qu’elle avait.

« Je voudrais bien … Je voudrais bien…

Elle pleurait si fort qu’elle ne put achever. Sa marraine, qui était une fée, lui dit :

— Tu voudrais bien aller au bal, n’est-ce pas ?

— Hélas, oui ! dit Cendrillon en soupirant.

— Eh bien ! Si tu te montres bonne fille, dit sa marraine, je t’y ferai aller.

Elle la mena dans sa chambre, et lui dit :

— Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille. »


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Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu’elle put trouver, et la porta à sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au bal. Sa marraine la creusa et, n’ayant laissé que l’écorce, la frappa de sa baguette. La citrouille fut aussitôt changée en un beau carrosse tout doré.

Ensuite elle alla regarder dans la souricière, où elle trouva six souris, toutes en vie. Elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la souricière, et, à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de sa baguette. La souris était aussitôt changée en un beau cheval, ce qui fit un bel attelage de six chevaux, d’un beau gris de souris pommelé.


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Comme elle était en peine de quoi elle ferait un cocher :

« Je vais voir, dit Cendrillon, s’il n’y a pas quelque rat dans la ratière, nous en ferons un cocher.

— Tu as raison, dit sa marraine, va voir. »

Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats. La fée en prit un d’entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe. L’ayant touché, il fut changé en un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues.

Ensuite elle lui dit :

« Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir. Apporte-les-moi. »


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Elle ne les eut pas plutôt apportés, que sa marraine les changea en six laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse, avec leurs habits chamarrés, et qui s’y tenaient attachés comme s’ils n’eussent fait autre chose de toute leur vie.


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La fée dit alors à Cendrillon :

« Eh bien ! Voilà de quoi aller au bal : n’es-tu pas contente ?

— Oh, si ! Mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits ? »

Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps, ses habits furent changés en des habits d’or et d’argent, tout chamarrés de pierreries. Elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en carrosse. Mais sa marraine lui recommanda, sur toutes choses, de ne pas passer minuit, l’avertissant que, si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards, et que ses beaux habits reprendraient leur première forme.


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Elle promit à sa marraine qu’elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Puis elle partit, ne se sentant pas de joie. Le fils du roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande princesse qu’on ne connaissait point, courut la recevoir. Il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence. On cessa de danser, et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler cette inconnue. Le roi même, tout vieux qu’il était, ne lassait pas de la regarder, et de dire tout bas à la reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si aimable personne. Toutes les dames étaient attentives à considérer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, des semblables, pourvu qu’il se trouvât des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles.


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Le fils du roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite la prit pour la mener danser. Elle dansa avec tant de grâce, qu’on l’admira encore davantage. Elle alla s’asseoir auprès de ses sœurs et leur fit mille gentillesses. Elle leur fit partager des oranges et des citrons que le prince lui avait donnés, ce qui les étonna fort car elles ne la connaissaient point.


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Pendant qu’elles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts. Elle fit aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s’en alla le plus vite qu’elle put. Dès qu’elle fut arrivée, elle alla trouver sa marraine, et, après l’avoir remerciée, elle lui dit qu’elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au bal.


Comme elle était occupée à raconter à sa marraine tout ce qui s’était passé au bal, les deux sœurs frappèrent à la porte. Cendrillon leur alla ouvrir.

« Que vous avez mis longtemps à revenir ! » leur dit-elle en baillant, en se frottant les yeux, et en s’étirant, comme si elle n’eût fait que de se réveiller. Elle n’avait cependant pas eu envie de dormir, depuis qu’elles s’étaient quittées.

« Si tu étais venue au bal, lui dit une de ses sœurs, tu ne t’y serais pas ennuyée. Il est venu la plus gentille princesse, la plus gentille qu’on puisse jamais voir. Elle nous a fait mille civilités. Elle nous a donné des oranges et des citrons. »

Cendrillon ne se sentait pas de joie. Elle leur demanda le nom de cette princesse. Mais elles lui répondirent qu’on ne la connaissait pas, que le fils du roi donnerait toutes choses au monde pour savoir qui elle était. Cendrillon sourit et leur dit :

« Elle était donc bien gentille ? Mon Dieu ! Que vous êtes heureuses ! Ne pourrais-je point la voir ? Hélas ! Mademoiselle Javotte, prêtez-moi votre robe jaune, que vous mettez tous les jours.

— Vraiment ? dit mademoiselle Javotte. Prêter ma robe à une vilaine Cendrillon comme toi ! Il faudrait que je fusse bien folle. »

Cendrillon s’attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait été grandement embarrassée, si sa sœur eût bien voulu lui prêter son habit.


Le lendemain, les deux sœurs allèrent au bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus parée que la première fois. La jeune demoiselle ne s’ennuyait point et oublia ce que sa marraine lui avait recommandé. De sorte qu’elle entendit sonner le premier coup de minuit, lorsqu’elle ne croyait point qu’il fût encore onze heures.


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Elle se leva, et s’enfuit aussi légèrement qu’aurait fait une biche. Le prince la suivit. Elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa bien soigneusement. Cendrillon arriva chez elle, bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchants habits. Rien ne lui étant resté de sa magnificence, qu’une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu’elle avait laissée tomber.

On demanda aux gardes de la porte du palais s’ils n’avaient point vu sortir une princesse : ils dirent qu’ils n’avaient vu sortir personne qu’une jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l’air d’une paysanne que d’une demoiselle.


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Quand les deux sœurs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elles s’étaient encore bien diverties, et si la belle dame y avait été. Elles lui dirent que oui, mais qu’elle s’était enfuie, lorsque minuit avait sonné, et si promptement qu’elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde. Le fils du roi l’avait ramassée, et qu’assurément il était fort désireux de connaître la personne à qui appartenait la petite pantoufle.


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Elles dirent vrai. Car, peu de jours après, le fils du roi fit publier, à son de trompe, qu’il épouserait celle dont le pied entrerait exactement dans la pantoufle.


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On commença à l’essayer aux princesses, ensuite aux duchesses, et à toute la Cour, mais inutilement. On l’apporta chez les deux sœurs, qui firent tout leur possible pour y faire entrer leur pied, mais elles ne purent en venir à bout. Cendrillon, qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant :

« Que je voie si elle ne m’irait pas ! »

Ses sœurs se mirent à rire et à se moquer d’elle. Le gentilhomme qui faisait l’essai de la pantoufle, ayant regardé attentivement Cendrillon, dit que cela était très juste, et qu’il avait l’ordre de l’essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et, approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu’il y entrait sans peine, et qu’elle y était juste comme de cire. L’étonnement des deux sœurs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa poche l’autre petite pantoufle, qu’elle mit à son pied. Là-dessus arriva la marraine, qui, ayant donné un coup de baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.


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Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la personne qu’elles avaient vue au bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu’elles lui avaient fait subir. Cendrillon les releva et leur dit, en les embrassant, qu’elle leur pardonnait de bon cœur, et qu’elle les priait de l’aimer bien toujours. On la mena chez le jeune prince, parée comme elle était, et, peu de jours après, il l’épousa. Cendrillon, qui était bonne, fit loger ses deux sœurs au palais, et les maria, dès le jour même, à deux grands seigneurs de la cour.


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MORALITÉ

La beauté pour le sexe est un rare trésor.

De l’admirer jamais on ne se lasse.

Mais ce qu’on nomme bonne grâce

Est sans prix et vaut mieux encore.

C’est ce qu’à Cendrillon fit avoir sa marraine,

En la dressant, en l’instruisant,

Tant et si bien qu’elle en fit une reine.

- Car ainsi sur ce conte on va moralisant -.

Belles, ce don vaut mieux que d’être bien coiffées.

Pour engager un cœur, pour en venir à bout,

La bonne grâce est le vrai don des fées.

Sans elle on ne peut rien, avec elle on peut tout.


AUTRE MORALITÉ

C’est sans doute un grand avantage,

D’avoir de l’esprit, du courage,

De la naissance, du bon sens,

Et d’autres semblables talents,

Qu’on reçoit du ciel en partage.

Mais vous aurez beau les avoir,

Pour votre avancement ce seront choses vaines,

Si vous n’avez, pour les faire valoir,

Ou des parrains, ou des marraines.

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