Le perroquet volage
- Lucienne
- 7 mai
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 mai
... de Charles Bennett
Vous trouverez ci-dessous la traduction intégrale inédite du conte humoristique The faithless parrot, publié en 1858 par l’écrivain britannique Charles Bennett (1828 - 1867).
Bennett fut un dessinateur talentueux et prolifique. Il est ici l’auteur à la fois du texte des illustrations.
Traduction de Lucienne-Livres en Liberté-Texte sous licence Creative Commons CC-BY-NC-ND

Il était une fois une petite chatte écaille de tortue et un joli chiot blanc. Les deux compères vivaient heureux ensemble, dans une belle maison. La première s’appelait Thelma et son compagnon, Fido.
Avec le temps, le joli chien tomba amoureux de sa petite amie. Il attendit un moment favorable pour lui faire part de son affection. Cette occasion se présenta un jour où Thelma, une de ses pattes en l’air, pencha la tête d’un côté, ferma à moitié les yeux, et sembla un instant ne plus penser à rien. Alors Fido, qui était allongé de tout son long à côté de la cheminée, la regarda fixement et poussa un doux gémissement en disant :
« Oh, Thelma, je suis tombé amoureux de toi !
— Vraiment ? répondit prudemment la chatte, qui voulait cacher son inquiétude.
— Mais oui ! poursuivit le petit chien, un peu blessé par sa froideur. C’est bien de toi que je suis tombé amoureux. Et moi, est-ce que je te plais, Thelma ? »
Mais celle-ci ne répondit pas, pas même en ronronnant ! Et ce n’est que lorsqu’elle lui jeta un regard timide du coin de l’œil gauche, qu’il devina à quel point elle l’appréciait. Rendu audacieux par cette petite marque d’estime, il s’approcha tranquillement et s’assit à ses côtés, allant même jusqu’à l’entraîner dans le jardin devant la maison, où ils s’amusèrent à regarder les passants, à travers les grilles qui donnaient sur la rue.
« Bon, se disait Fido, je ne doute pas qu’elle finira par m’aimer, avec le temps. D’autant plus que j’ai grand espoir de devenir plus grand avant le printemps. »
Mais un matin, Thelma rentra d’une visite qu’elle avait faite à sa mère, accompagnée d’un visiteur. Le nouveau venu ne tarda pas à se mettre à l’aise, pressant la patte de Thelma contre son cœur en l’appelant « la plus belle », sans accorder la moindre attention au pauvre Fido, qui restait assis dans un coin. À vrai dire, le petit chien était très contrarié, et se mit à grogner assez méchamment. Ce d’autant plus, qu’à sa grande consternation, Thelma écoutait toutes ces sottises avec grand plaisir. Il ne voyait pas de quel droit l’impudent étranger avait pu venir là sans y être prié : il avait beau se parer de plumes rouges et vertes, arborer un chapeau à larges bords, et balancer une canne à tête d’or, Fido ne le trouvait pas très séduisant !
Mais Thelma était charmée de son apparence et de son allure : ses plumes étaient si jolies, il parlait tant de langues, criait d’une voix si forte, et avait visité tant de pays, que la petite chatte se souciait désormais comme d’une guigne du fidèle Fido, réservant tous ses sourires pour Monsieur Paolo.

« Charmante Thelma, lui disait celui-ci, vous devez oublier les petits morveux tels que ce Fido. Ecoutez-moi plutôt, je suis un voyageur, je parle cinq langues, j’ai un palais fait de barreaux en or, à l’intérieur duquel se trouve un perchoir digne d’un roi, je perçois une pension journalière de pain, de lait et de noix de Barcelone : tout cela, je vais le partager avec vous ! Demain, nous irons ensemble faire un tour dans le champ voisin de la maison. Au revoir, ma mie, mon petit Chat Botté !»
Et il s’en alla en lui baisant la main. Le pauvre Fido gémissait !

Les jours se succédaient. La minette négligeait de plus en plus le petit chien. Elle se promenait avec Monsieur Paolo, le couvait du regard, et semblait seulement heureuse quand il était là. Le pauvre Fido, fidèle à son premier amour, était désespéré ; il était devenu très maigre, et son beau pelage touffu, qu’il avait gardé jusqu’ici beau et propre, était sale et en loques. Il envisageait même de quitter définitivement son logis et de partir sur les chemins.
Un soir, juste après la tombée de la nuit, alors qu’il errait seul et triste aux alentours, repassant dans son esprit son projet de fugue, il se retrouva tout à coup dans le jardin voisin. Il entendit distinctement des voix.
« Croyez-moi, je suis un voyageur ! Je parle cinq langues ; j’ai un palais fait de barreaux d’or, à l’intérieur duquel se trouve un perchoir digne d’un roi ; on me verse tous les jours une pension de pain, de lait et de noix, et je vais partager tout cela avec vous ! Demain, nous nous envolerons ensemble pour une excursion sur le grand chêne du champ d’à côté !
— C’est la voix de Monsieur Paolo ! pensa Fido. Ce doit être ce perroquet ! »
Et, bien sûr, tel était bien le cas. Ce dernier faisait une cour assidue à la vieille Mme Corbeau, la veuve du vilain Jacques Corbeau, qui, au terme d’une longue vie de rapines et d’avarice, avait laissé derrière lui une grande fortune. La vieille veuve semblait très heureuse des chaleureuses attentions de Monsieur Paolo, et sans doute pensait-elle que chaque mot qu’il disait était vrai. Elle le couvait du regard, et regrettait de n’avoir pas mis un bonnet de mousseline propre, car cela aurait pu la faire paraître plus jeune…

Quant à Fido, comprenant tout l’intérêt qu’il pouvait tirer de la situation, il se rua à l’intérieur de la maison.
« Thelma ! s’écria-t-il. Imagine un peu que ce coquin de Paolo, qui prétend t’aimer si fort, est en train en ce moment même de faire la cour à la veuve Corbeau ! Viens vite ! Tu pourras le voir de tes propres yeux.
— N’importe quoi ! répondit Thelma. Je n’en crois pas un mot. »
Ce n’est qu’après beaucoup de supplications, que Fido la convainquit de sauter par-dessus le mur, et d’écouter.
Paolo et la vieille Corbeau se courtisaient toujours, le perroquet tentant de savoir, en amadouant la vieille dame, combien elle avait de côté et où elle cachait ses trésors. Madame Corbeau était sur le point de tout lui révéler, lorsque Thelma, incapable de se contenir, se précipita sur Paolo et lui griffa le bec.
« Méchant perroquet ! lui cria-t-elle, n’avais-tu pas promis de m’épouser et de m’emmener dans ton palais tout en or ?

— Tout en or !? s’écria Madame Corbeau. Restez, madame, qu’est-ce qu’il vous a dit d’autre ? Vous a-t-il promis du pain, du lait, et des noix ?
— Oui, il l’a fait, il l’a fait, il l’a fait ! continua la chatte, en griffant, encore et encore l’infidèle oiseau. Et si jamais vous revenez près de chez nous, reprit-elle, je vous arracherai toutes les plumes que vous avez sur le dos !

— Espèce de fourbe, lui asséna la veuve Corbeau avant de tourner de l’aile, je ne veux plus entendre parler de vous ! »
Après ce coup du sort, jamais le perroquet ne put relever la tête. Son beau palais doré s’avéra être un simple perchoir en cuivre, sur lequel il fut confiné pendant longtemps, invité à grignoter ses noix tout seul, afin de réfléchir à ses mensonges… Madame Corbeau vécut très âgée, mais ne se remaria jamais… Quant à Thelma, elle n’avait pu s’empêcher d’admirer la constance de Fido. Lorsqu’au printemps suivant, celui-ci eut beaucoup grandi et se vit offrir un joli collier rouge, la minette découvrit qu’elle l’aimait vraiment beaucoup ! Jamais ils ne se séparèrent !

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