… de Marie Colmont
Texte dans le domaine public.
Gerda Muller a illustré ce conte pour Flammarion. Il faut savoir que les albums du Père Castor illustrés par Gerda Muller appartiennent, depuis 2017, au Patrimoine Mondial de l’Unesco, dans le registre « Mémoire du monde ».
Elle s’appelait Marie-Olga, mais on disait Marlaguette, pour faire plus court et aussi plus gentil.
Un jour qu’elle était allée cueillir des champignons dans les bois, une grosse bête sauta sur elle et l’emporta pour la manger. Une grosse bête grise, avec des oreilles pointues, une gueule rouge : bref, un loup. Elle se débattait, Marlaguette, dans la gueule du loup, et le loup qui courait toujours, en était tout gêné.
Si bien qu’en arrivant à sa caverne, il se cogna le front à la roche qui en faisait le toit.
« Hou là ! Hou ! Cria-t-il en tombant de côté.
Marlaguette tomba aussi, mais elle se releva vite.
— Bien fait ! Bien fait ! » cria-t-elle en faisant la nique au loup.
Mais le loup ne bougeait plus. Il avait l’air bien malade, avec une grosse bosse au front, une écorchure et un petit peu de sang qui en coulait.
Maintenant, Marlaguette le regardait et sa colère tombait. « Pauvre petit loup ! » dit-elle. Il est bien blessé !
Alors elle tira son mouchoir, alla le tremper dans la source qui chantait tout près, et fit un beau pansement sur la tête du loup. Puis elle ramassa des feuilles et des mousses, et sur ce petit matelas doux roula le grand corps. Même, elle planta une large feuille de fougère tout auprès pour lui servir de parasol. Comme elle faisait cela, le loup revint à lui. Il entrouvrit un œil, puis le referma. Il se garda bien de bouger, d’abord parce qu’il avait grand mal à la tête, et puis parce que c’était tout nouveau pour lui d’être dorloté, et, ma foi, pas désagréable.
Marlaguette s’en alla sur la pointe des pieds et courut chez elle ; elle n’habitait pas loin de là, dans une petite cabane à la lisière des bois. Elle fit un grand pot de tisane et revint le porter au loup, avec une petite tasse pour le faire boire.
Ce ne fut pas commode. Les grandes dents du loup cognaient contre la tasse, et sa grande langue laissait échapper la moitié du liquide. Pour tout dire aussi, il n’aimait pas la tisane. Lui qui se régalait de viande crue, avec du bon jus saignant qui ruissèle le long des babines, cette camomille l’écœurait.
« Bouh ! Que c’est fade ! geignait-il en lui-même.
Mais Marlaguette disait :
— Allons, bois, vilain loup, d’une voix si douce qu’il n’y avait qu’à obéir.
Elle le soigna comme ça pendant huit jours. Puis elle l’emmena faire une petite promenade, en marchant tout doucement pour ne pas le fatiguer.
— Cra ! Cra ! cria le geai en sautillant devant eux. Il te croquera, Marlaguette.
— Ah ! Tu crois ça ? dit le loup. Attrape ! »
Et il se lança en avant pour croquer le geai, mais il était tout faible encore et manqua son coup. Le deuxième jour, comme il se promenait, bien sage à côté de la petite fille, le geai :
« Cra ! Cra ! Marlaguette, il te croquera !
— Menteur ! » cria le loup.
Et pour le punir, il se lança en avant, et cette fois il croqua le geai.
Qui fut bien furieuse ? Marlaguette. Elle donna au loup une sérieuse fessée et ne lui parla plus de toute la promenade, et quand ce fut l’heure de rentrer chez elle, elle ne lui serra pas la patte.
« Je ne le ferai plus » dit le loup en reniflant, le cœur gros.
Il avait l’air si repentant qu’elle lui pardonna.
De fait, à partir de ce jour, il ne mangea plus une seule bête vivante. Dans la forêt, cela se sut vite. Les oiseaux ne s’envolèrent plus quand il passait sur les chemins ; et les petites souris vinrent caracoler jusque sous son nez. Il en avait l’eau à la bouche, mais il trottait sagement à côté de Marlaguette, les yeux fixés sur son doux petit visage, pour échapper à la tentation.
Mais alors, qu’est-ce qu’il mangeait ? Des framboises, des myrtilles, des champignons, des herbes, du pain que lui portait Marlaguette…
Hélas ! À ce régime il s’anémia. Un loup n’est pas végétarien ; il faut qu’il mange de la viande, son estomac est fait pour ça. Ce fut un vieux bucheron qui le dit à Marlaguette :
« Il est en train de mourir, ton ami le loup. »
Marlaguette pleura beaucoup, et puis elle réfléchit toute une nuit, et puis au matin elle dit au loup :
« Je te délie de ta promesse. Va vivre au fond des bois comme vivent tous les loups. »
Alors la grande bête grise s’en fut sur ses pattes maigres et elle croqua un merle, et un lapereau, et trois musaraignes qui prenaient le frais au bord de leur trou. En peu de temps, le loup redevint fort et beau. Mais il ne tuait maintenant que lorsqu’il avait faim et jamais plus il ne mangea de petit enfant.
Parfois, de loin, entre les branches, il voyait passer la robe claire de Marlaguette et cela lui faisait à la fois plaisir et tristesse.
Et Marlaguette regardait souvent vers le fond des bois, avec son doux sourire, songeant à cette grande bête de loup qui, pour l’amour d’elle, avait accepté pendant des jours de mourir de faim…
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