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L’escargot et le rosier

… de Hans Christian Andersen

Texte dans le domaine public. Illustration : Pixabay



Le jardin était entouré d’une haie de noisetiers et au-dehors, s’étendaient des champs et des prés. Au milieu du jardin fleurissait un rosier, et sous le rosier vivait un escargot. Et qu’y avait-il dans l’escargot ? Eh bien, lui-même.

« Attendez un peu que mon temps arrive ! disait-il. Je ferai des choses bien plus grandioses que de fleurir, porter des noisettes ou donner du lait comme des vaches et des moutons.

— À vrai dire, j’attends de vous de grandes choses, approuva le rosier. Mais puis-je vous demander, quand les ferez-vous ?

— Je prends mon temps, répondit l’escargot. Vous êtes toujours si pressé. Attendre est plus excitant. »

Un an plus tard, l’escargot était presque au même endroit sous le rosier, et se réchauffait au soleil. Le rosier eut beaucoup de boutons cette année-là, qui devinrent des fleurs toujours fraîches et toujours nouvelles. L’escargot s’avança. Tout est exactement comme l’année dernière. Aucun progrès nulle part. Le rosier a toujours ses roses, cela ne va pas plus loin.

L’été passa, l’automne aussi, et le rosier avait toujours ses boutons et ses fleurs ; et il en eut jusqu’à la première neige. Le temps devient froid et pluvieux. Le rosier se pencha et l’escargot se cacha sous la terre. Puis, une nouvelle année commença et réapparurent et les petites roses et l’escargot.

« Vous êtes déjà vieux, Monsieur le rosier, dit-il, vous devrez bientôt penser à dépérir. Vous avez déjà donné au monde tout ce que vous pouviez. Que cela ait servi à quelque chose est une autre question, je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir. Mais il est évident que vous n’avez rien fait du tout pour votre épanouissement personnel, sans quoi vous auriez produit bien mieux que cela. Vous mourrez bientôt, et vous ne serez plus que branches nues.

— Vous m’effrayez, dit le rosier. Je n’y ai jamais réfléchi.

— Évidemment, vous ne vous livrez jamais à la réflexion. N’avez-vous jamais essayé de comprendre pourquoi vous fleurissiez et comment seulement cela se produit ? Pourquoi cela se passe ainsi et pas autrement ?

— Non, répondit le rosier. Je fleurissais joyeusement, car je ne pouvais pas faire autrement. De la terre montait en moi une force, et une force me venait aussi d’en haut, je sentais un bonheur toujours neuf, toujours grand, et c’est pourquoi je devais toujours fleurir. C’était ma vie, je ne pouvais pas faire autrement.

— Vous avez mené une vie bien facile, dit l’escargot.

— En effet, tout m’a été donné, acquiesça le rosier, mais vous avez reçu encore bien davantage ! Vous êtes de ces natures qui réfléchissent et méditent, et vous avez un grand talent qui, un jour, étonnera le monde.

— Ce n’est absolument pas dans mes intentions, répondit l’escargot. Le monde ne m’intéresse pas. En quoi me concerne-t-il ? Je me suffis amplement.

— Mais nous tous, ne devrions-nous pas donner aux autres le meilleur de nous-mêmes ? Apporter ce que nous pouvons ? Je sais, je ne donne que mes roses, mais vous ? Que donnez-vous au monde ?

— Ce que j’ai donné ? Ce que je lui donne ? Je crache sur le monde ! Il ne sert à rien ! Je me fiche de lui ! Vous, continuez à faire éclore vos roses, de toute façon vous ne savez pas mieux faire. Que le noisetier donne ses noisettes, les vaches et les brebis leur lait, ils ont tous leur public. Moi, je n’ai besoin que de moi.

Et l’escargot rentra dans sa coquille, et la referma sur lui.

— C’est bien triste, regretta le rosier. Moi, j’ai beau faire, je ne peux pas rentrer en moi, il faut toujours que je forme des boutons et que je les fasse éclore. Les pétales tombent et le vent les emporte. J’ai vu pourtant une femme déposer une petite rose dans son missel, une autre de mes roses a trouvé sa place sur la poitrine d’une belle jeune fille et une autre reçut des baisers d’un enfant heureux. Cela m’a fait bien plaisir, un vrai bonheur. Voilà mes souvenirs, ma vie ! »


Et le rosier continua à fleurir dans l’innocence, et l’escargot à somnoler dans sa petite maison, car le monde ne le concernait pas. Des années et des décennies passèrent. L’escargot et le rosier devinrent poussière dans la poussière. Même la petite rose dans le missel se décomposa… Mais dans le jardin, fleurirent de nouveaux rosiers, et à leurs pieds grandirent de nouveaux escargots ; ils se recroquevillaient toujours dans leurs maisons, et ils bavaient… Le monde ne les concernait pas.

Allons-nous relire cette histoire une nouvelle fois ?... Elle ne sera pas différente.









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