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La veillée de Noël du petit Wigg

… illustré par Jenny Nyström et Ottilia Adelborg


Ce merveilleux conte traditionnel suédois a été publié en 1871, sous le titre Lille Viggs äventyr på julafton.

Texte et illustrations dans le domaine public.


La veillée de Noël du petit Wigg

Illustration de Jan Brett


La neige durcie étincelait sur l’immense lande, plantée de bruyères, où l’on n’apercevait qu’une seule habitation, une petite chaumière grise. « Quelle triste demeure ! » se disaient les quelques voyageurs qui passaient par là.

C’est qu’en vérité, l’endroit était bien désert : des broussailles et des cailloux, des buissons secs et des pins rabougris, voilà tout ce qui s’offrait aux regards, même pendant l’été.

Mais la chaumière était très confortable à sa façon. Faite en solide bois de chêne, elle offrait un abri sûr contre le froid et le vent. La cheminée s’élevait, droite et large, au-dessus du toit couvert de mousse qui, pendant l’été, ressemblait à du velours vert émaillé de fleurs jaunes et rouges. Dans le petit enclos, croissaient alors des pommes de terre, des carottes et des choux, et, le long de la palissade, s’épanouissaient des pavots et des roses ; sur le devant de la maisonnette, grimpait un pommier sauvage ; tout contre, était un banc en bois peint. À la fenêtre, pendait un rideau, toujours d’une blancheur éclatante.

La cabane et le petit enclos étaient la propriété de la mère Gertrude, qui y demeurait avec un jeune garçon, nommé Wigg.


La veillée de Noël du petit Wigg par Ottilia Adelborg

Illustration d'Ottilia Adelborg


Le matin, de très bonne heure, la mère Gertrude était sortie pour aller faire des emplettes au village le plus proche. Le soleil allait se coucher et elle n’était pas encore de retour. Wigg était tout seul. Ni bruit de pas, ni bruit de grelots n’avaient troublé le silence qui régnait sur la vaste étendue blanche. La journée avait semblé bien longue au pauvre petit. Avec quelle impatience il attendait la mère Gertrude, qui devait rentrer avec une miche, un pain d’épices et une chandelle à trois branches, car c’était la veille de Noël !

Il s’approcha de la fenêtre, dont les quatre vitres étaient couvertes de fleurs dessinées par la glace. En soufflant sur les carreaux, et en les frottant avec sa main, il parvint à voir à l’extérieur ; mais la vieille femme n’arrivait toujours pas. Le soleil se coucha, et les nuages à l’horizon prirent peu à peu une magnifique teinte pourprée, tandis qu’une lueur rose pâle se répandait sur les bruyères enneigées. Bientôt, toutes les couleurs se fondirent en un ton froid, rouge violacé, et le firmament s’obscurcit.

À l’intérieur de la chaumière, il faisait quasiment nuit. Wigg alla jusqu’à la cheminée, où quelques braises prêtes à s’éteindre brillaient faiblement sous la cendre. Il régnait un silence tel, que toutes les fois que ses sabots frappaient le plancher, il lui semblait qu’on devait les entendre dans toute l’étendue de la lande. Il s’assit devant le foyer, se demandant comment serait fait ce pain d’épices, que la mère Gertrude devait ramener. Il aurait aussi aimé savoir si les oiseaux réveillonnaient…


Il serait bien difficile de dire combien de temps Wigg était resté assis de la sorte, quand il entendit un bruit de grelots. Il courut à la fenêtre, aplatit son nez contre la vitre pour voir qui arrivait : certainement, ce ne pouvait être que la mère Gertrude !

Toutes les étoiles brillaient et scintillaient de leur plus bel éclat. Dans le lointain, quelque chose de noir filait sur la neige. Cette chose s’approchait toujours davantage, et toujours plus fort retentissait le tintement joyeux des grelots.

« Un traîneau ! Un traîneau ! s’écria Wigg. Il ne suit pas la grande route, il se dirige droit à travers la bruyère… »



 Jenny Nyström

Illustration de Jenny Nyström


Wigg savait bien par où passait la grande route, lui qui, en été, cueillait des airelles rouges et faisait des excursions à des kilomètres aux alentours. Quel plaisir ce serait d’aller en traîneau, au son de tels grelots, et de conduire soi-même l’attelage !

À peine Wigg eut-il exprimé ce désir, que l’équipage se trouva devant la chaumière et s’arrêta juste sous la fenêtre. C’était un traîneau attelé de quatre chevaux, plus petits que des poulains. Ils s’étaient arrêtés, car celui qui les conduisait avait tiré les rênes, mais ils ne paraissaient pas se soucier de reprendre haleine, bien au contraire ; ils hennissaient, secouaient leur crinière et lançaient en piaffant la neige tout autour d’eux.

« Ne fais pas le polisson, Rapide ! Reste tranquille, Éveillé ! Sois sage, Élégant ! Gare à toi, si tu bouges, Dégourdi ! » cria le personnage assis dans le traîneau.

Wigg n’avait jamais vu d’homme comme celui-là. Mais il faut avouer qu’il n’avait pas encore vu beaucoup de monde. C’était un petit vieillard, fait tout juste pour de tels chevaux. Son visage était sillonné de rides, et sa longue barbe ressemblait à la mousse qui croissait sur le toit de la chaumière.

« Bonsoir, petit galopin, dit-il. Y a-t-il quelqu’un à la maison ?

— Vous voyez bien qu’il y a quelqu’un, puisque j’y suis, moi, répondit Wigg.

— Tu as raison ; mais c’est qu’il ne fait pas très clair chez toi, quoique ce soit la veille de Noël.

— J’aurai une flambée de Noël et une chandelle à trois branches, quand la mère sera de retour.

— Oh, oh ! La mère Gertrude n’est pas encore rentrée, fit ironiquement le petit homme. Tu es donc seul, et tu seras seul une bonne heure encore !... Dis-moi, n’as-tu pas peur ?

— Non, je suis un petit gars suédois ! répondit Wigg.

La mère Gertrude lui avait appris à répondre comme cela.

— Un petit gars suédois ! répondit le vieillard en frottant ses gants de peau et en retirant sa pipe de sa bouche. Sais-tu qui je suis ?

— Je ne te connais pas ! Et toi, est-ce que tu me connais ?

Le vieillard ôta son bonnet fourré, fit une profonde révérence, et dit :

— J’ai l’honneur de parler à Wigg, le preux chevalier de la bruyère, qui vient tout au plus de mettre sa première culotte, le héros qu’une barbe de sapeur n’effraierait pas. Tu es Wigg, et moi je suis le bonhomme Noël. Aurais-je par hasard l’honneur d’être connu de toi ?

— Ah ! Tu es le bonhomme Noël !... Alors tu es un brave vieux !... La mère m’a souvent parlé de toi.

— Merci du compliment. Mais sur ce point, les opinions sont partagées... Eh bien, Wigg, veux-tu venir avec moi faire une promenade en traîneau ?

— Si je veux !... Mais je n’ose pas... Si la mère revenait et que je sois absent...

— Je te promets que tu seras de retour avant elle. ‘Un homme tient sa parole, et une vieille, sa besace’, dit le proverbe. Allez, viens ! »

En un saut, Wigg fut dehors. Mais qu’il faisait froid, et que le petit garçon était légèrement vêtu ! Sa petite veste de laine était si étroite ! Et ses sabots avaient de nouveau troué aux talons les bas, tant de fois raccommodés par la mère Gertrude. Cependant, le petit homme ferma la porte de la chaumière, souleva Wigg pour le faire monter dans le traîneau, arrangea la couverture autour de lui, lui souffla la fumée de sa pipe dans le nez, ce qui le fit éternuer bien fort ; puis un claquement de fouet... et, en route !



 Ottilia Adelborg

Rapide, Éveillé, Élégant et Dégourdi franchirent l’espace comme l’éclair. Les grelots d’argent retentissaient sur les bruyères, comme si toutes les cloches du ciel eussent été mises en branle.

« Me serait-il permis de conduire ? demanda Wigg.

— Non, tu n’es pas encore de force à cela » dit le petit homme.

Bientôt, ils laissèrent la lande derrière eux, et se trouvèrent dans la forêt sombre dont la mère Gertrude lui avait parlé, où les arbres sont si hauts qu’on dirait les étoiles suspendues à leurs branches. Entre les arbres, brillaient de temps à autre les fenêtres d’une habitation. Le petit homme arrêta son attelage devant une ferme.

Entre deux pierres du soubassement, apparut une tête aux yeux étincelants, qui se fixèrent sur le petit homme. C’était la couleuvre familière, qui s’inclinait en manière de salutation courtoise.

Pour toute réponse, le petit homme souleva son bonnet fourré et demanda :

« Couleuvre, couleuvre à la queue tortillée, dis-moi ce que vaut la maison !

La couleuvre répondit :

— Du foyer le travail est l’hôte. Un cheval, et trois belles vaches.

— Un cheval et trois vaches, couleuvre, ma mie, ce n’est pas beaucoup, dit le petit homme, mais cela augmentera, puisque la femme et le mari sont travailleurs. Ils ont commencé les mains vides, et ce qu’ils possèdent, ils l’ont bien gagné ; sans compter qu’ils ont avec cela leurs vieux parents à nourrir. Comment soignent-ils leurs vaches ?

— Les bêtes sont allègres et grassettes.

— Encore un mot, couleuvre, que dis-tu des enfants de la maison ?

— Fille jolie et bambin joyeux. Le garçon est d’humeur un peu sauvage ; mais la fillette est douce et sage !

— Ils auront des étrennes ! Bonsoir, et bonne nuit de Noël, couleuvre à la queue tortillée !

— Bonsoir, mon cher petit homme » répondit la couleuvre en cachant sa tête.

Derrière le siège du traîneau, se trouvait un coffre. Le petit homme l’ouvrit et en retira divers objets : un abécédaire et un canif pour le bambin ; un dé et un livre de psaumes pour la fillette ; des écheveaux de fil, un peigne à tisser et une navette pour la mère ; un almanach et un coucou pour le père ; des bésicles pour le grand-père et la grand-mère. En outre, il prit à pleines mains quelque chose que Wigg ne pouvait voir.

— Ce sont des souhaits et des bénédictions » dit le petit homme.

Cela dit, il se glissa avec Wigg dans la chaumière. Toute la famille était assise devant le feu pétillant, et le père lisait à haute voix. Le petit homme déposa silencieusement et sans être aperçu ses présents à la porte, et retourna avec Wigg au traîneau, puis ils se remirent en route à travers la forêt.


 Jenny Nyström

La seconde fois que le petit homme s’arrêta, ce fut près de la grange d’une ferme. On entendait dans la grange un bruit sourd et mesuré, comme celui des fléaux ; mais ce bruit était presque couvert par celui d’un ruisseau qui se querellait avec les cailloux et les racines des sapins.


La veillée de Noël du petit Wigg par Ottilia Adelborg

Le petit homme ouvrit la porte de la grange. Wigg aperçut deux petits êtres bien extraordinaires, aux sourcils touffus, aux joues rondes et enfantines, coiffés d’un bonnet rouge pointu, et vêtus d’une jaquette grise ; ils battaient le grain et s’évertuaient si bien, à la lueur d’une lanterne, que la poussière volait tout autour d’eux.

Le petit homme les salua de la tête et leur dit :

« Lutins, lutins familiers, battez-vous encore en grange ?

Les lutins répondirent en balançant leurs fléaux :

— Que le fléau fasse tic tac ; le tas est gros, la meule immense.

— Mais la veille de Noël, on peut bien s’accorder un peu de repos, dit le petit homme.

Les lutins répondirent :

— La graine est dure, la miche est ronde ; chaque heure, chaque minute a de l’or dans la bouche.

— Mais vous vous souvenez bien du lieu et de l’heure où nous devons nous rencontrer ?

— Tantôt, chez le vieux de la montagne. Au revoir, petit homme ! » dirent les lutins, le saluant à leur tour.

Le petit homme ouvrit le coffre, remplit ses mains d’étrennes de Noël et courut chez le père, la mère et les enfants de la ferme. Parmi les présents, se trouvait un fusil de soldat, car tout homme doit en avoir un pour la défense de sa patrie.

C’est ainsi qu’ils s’en allèrent de chaumière en chaumière, de ferme en ferme. La maison qui intéressa le plus vivement le petit Wigg fut le presbytère, dans lequel il jeta un coup d’œil par la fenêtre. Là, était assis le vieux pasteur que Wigg connaissait bien, car cet excellent homme s’était souvent rendu à la chaumière de la bruyère, posant la main sur la tête de l’enfant pour encourager ses progrès en lecture. Wigg connaissait également la vieille épouse du pasteur, et les jolies demoiselles, qui étaient si bonnes pour la mère Gertrude.


 Ottilia Adelborg

Le petit homme aimait aussi beaucoup le presbytère, où les gens étaient si bienveillants entre eux, et si doux envers les animaux, voulant, disaient-ils, qu’hommes et bêtes fussent heureux !


La veillée de Noël du petit Wigg par Ottilia Adelborg

En continuant leur course, ils rencontrèrent dans le bois un lutin, qui marchait d’un air triste et découragé.

« Où vas-tu, cousin ? demanda le petit homme.

— J’use mes souliers en quête d’un nouveau logis.

— Pourquoi donc ?

— Parce que le père est un ivrogne, la mère une désordonnée ; les enfants sont toujours sales, hypocrites et paresseux.


 Jenny Nyström

— Essaye d’y rester encore une année ; peut-être parviendras-tu à changer leur manière de vivre, à ramener la paix dans ce ménage et un peu de prospérité dans leurs affaires.

— J’y resterai puisque tu le désires… » répondit le lutin.

Mais il s’en retourna bien tristement.

 Jenny Nyström

 Ottilia Adelborg

Le petit homme s’arrêta ensuite devant l’habitation d’un ministre. C’était une grande maison, dont toutes les fenêtres étaient éclairées.

« Ici, il y a beaucoup d’étrennes à donner, dit-il en ouvrant son coffre. Wigg fut ébloui de toutes les belles choses qu’il aperçut : des étoffes de soie et de velours, des épingles, des broches, des médaillons, des bracelets et des colliers ; l’or, l’argent, les pierres précieuses étincelaient, puis parmi toutes ces belles choses une étoile d’or, destinée à orner l’habit du maître de la maison.

Le petit homme mit un pépin de pomme dans la poche de la jaquette de Wigg, ce qui le rendit invisible, sauf pour son compagnon. Ils montèrent ainsi le grand escalier. Le bonhomme présenta les cadeaux, qui furent reçus froidement, à l’exception de l’étoile ; quand il l’offrit en disant que ce don venait du roi en personne, le ministre se leva et s’inclina. Puis il entra dans la pièce la plus proche, où il pensait que personne ne le verrait, et se tint devant le miroir, en épinglant l’étoile sur sa poitrine. Il dit : « À présent, tous mes souhaits sont exaucés ! J’ai atteint l’objectif de toute ma vie ! Voilà ce que vous obtenez quand vous êtes un enfant gentil ! »


 Jenny Nyström

Wigg demanda à son compagnon :

« C’est un enfant ?

— Oui, bien entendu » répondit le petit bonhomme.

Ils arrivèrent ensuite au château royal.

« Ici, dit le petit homme, je ne laisserai que quelques présents, pour le fils du roi. Après, nous irons chez mon roi à moi, le vieux de la montagne, puis nous nous rendrons chez la mère Gertrude, de la bruyère. »

Encore une fois, le coffre fut ouvert, et ce que Wigg découvrit surpassa tout ce qu’il, avait déjà vu. Sur un grand plateau d’argent, se trouvaient des milliers de guerriers à pied et à cheval. Quand on touchait un ressort, ils présentaient les armes, marchaient tantôt à droite, tantôt à gauche ; les chevaux se cabraient et les cavaliers se battaient à grands coups de sabre. Sur un autre plateau représentant la mer, on voyait des navires de guerre ; à l’aide d’un même ressort, les canons tiraient contre une forteresse, qui répondait avec ses pièces de rempart.

Mais le troisième plateau était le plus remarquable, car on y voyait de petites fermes en grand nombre, entourées de champs et de prairies, avec des centaines de personnes à l’intérieur et à l’extérieur, toutes si petites qu’on ne pouvait les voir vraiment distinctement qu’à travers une loupe. Moissonneurs, meuniers, forgerons, tisserands, tailleurs, cordonniers, maçons, charpentiers,… tous dans un travail assidu. On voyait des épouses préparer le repas, et faire signe à leurs enfants qui jouaient, de venir se mettre à table. Mais on voyait également des enfants pâles et affamés et des mères en deuil, qui n’avaient presque rien à leur donner à manger.

Les bras chargés de ces jouets merveilleux, le petit bonhomme courut vers le fils du roi.

« Mon prince, dit-il, ne regardez pas seulement ici les soldats et les navires de guerre ! Regardez aussi ces travailleurs ! Et lorsque vous deviendrez roi, que votre but premier soit d’augmenter la richesse du peuple et de réduire ses souffrances ! Le grand juge vous le dira au jour dernier : ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Le bonhomme fut bientôt revenu dans le traîneau. Rapide, Éveillé, Élégant et Dégourdi reniflèrent. L’équipage démarra à une vitesse vertigineuse. Le petit homme dit : « Nous devons faire une dernière halte. »

Ils arrivèrent à un autre bâtiment, encore plus grand, où il y avait également de la lumière provenant de nombreuses fenêtres.

« Chez qui sommes-nous ? demanda Wigg.

— Tu le sauras dans une vingtaine d'années, mais pas maintenant » répondit son compagnon de voyage, l’air un peu contrarié. Il ouvrit son coffre et en sortit quelques livres, avec de très belles couvertures.

« Ils sont magnifiquement reliés, dit-il, mais qu’est-ce que leur apparence par rapport à leur contenu ? Ils contiennent les pensées les plus nobles que les hommes aient conçues. Je ne pouvais pas imaginer meilleurs cadeaux, pour le monsieur et la dame qui vivent ici. »

Wigg dut attendre dans le traîneau pendant que le petit bonhomme entrait. Des choses les plus étranges qu’il vit là-bas, il n’en dit rien au petit garçon. Mais je les connais, et je peux vous les confier. Il vit un enfant, du même âge que Wigg, à propos duquel il prédit qu’il serait son ami fidèle, et son courageux compagnon dans les épreuves. Et dans un berceau, il vit une toute petite fille, dont la bouche était comme un bouton de rose. Il prédit qu’un jour, Wigg lui demanderait de bien vouloir devenir sa femme, et qu’elle en serait heureuse.

Le traîneau repartit, se dirigeant tout droit vers une forêt sombre.

« Où allons nous maintenant ? demanda Wigg.

— Chez le vieux de la montagne, répondit le petit homme.

Wigg demeurait sérieux.

— Le coffre est vide, non ? demanda-t-il, après quelques moments de silence.

— À peu près, répondit le petit homme en rallumant sa pipe.

— Chacun a reçu ses étrennes… N’en as-tu pas aussi pour moi ?

— Je ne t’ai pas oublié. Ton cadeau est au fond du coffre.

— J’aimerais le voir.

— Tu peux attendre jusqu’à ce que tu sois rentré chez ta mère.

— Non ! J’aimerais le voir tout de suite, dit Wigg avec impatience.

— Eh bien, voilà ! fit le petit homme en sortant du coffre une paire d’épaisses chaussettes de laine.

— Oh, rien que ça ? soupira Wigg avec tristesse.

— Ne sont-elles pas les bienvenues ? Les tiennes sont trouées.

— La mère aurait pu les raccommoder… Tu as offert au fils du roi de si belles choses, et aux autres des joujoux si amusants ! Tu aurais bien pu m’en donner un aussi. »

Le petit homme ne répondit pas, mais remit les chaussettes dans le coffre, et tira sur sa pipe de plus grandes bouffées qu’auparavant. Il avait l’air grave, lui aussi.

Ils continuèrent leur route en silence. Wigg boudait ; il enviait au fils du roi ses jolis cadeaux, et maudissait les chaussettes de laine. Le bonhomme fumait, soufflant la fumée dans l’air glacé. Mais les sapins murmuraient, les oiseaux gazouillaient et la neige craquait sous les pieds des chevaux. À la lisière de la forêt, un feu-follet accourut afin d’éclairer leur route. C’était presque inutile, car le scintillement des étoiles sur la neige durcie donnaient une lumière suffisante.


C’est ainsi qu’ils arrivèrent à une montagne taillée à pic. Là, ils sautèrent en bas du traîneau. Le petit homme donna un pain d’avoine à chacun de ses chevaux ; puis il frappa sur la paroi rocheuse, qui s’ouvrit. Il prit Wigg par la main, et tous deux entrèrent par l’ouverture. Mais bientôt l’enfant fut saisi d’une grande frayeur. Dans l’obscurité la plus profonde, on n’apercevait que les yeux ardents des vipères et des crapauds venimeux, qui se tortillaient et rampaient sur les rebords humides des rochers.

« Je veux retourner chez la mère ! cria Wigg.

— Toi ? Un petit gars suédois ? fit le petit homme avec ironie.

Alors Wigg se tut.

— Que dis-tu de ce crapaud-là ? demanda le petit homme, après qu’ils eurent fait quelques pas, en lui montrant un monstre vert, accroupi sur une pierre et fixant ses yeux ronds sur le pauvre Wigg.


La veillée de Noël du petit Wigg par Ottilia Adelborg

— Il est bien laid.

— C’est toi qui l’as amené ici !

— C’est moi qui l’ai amené ici ? s’exclama Wigg.

— Oui, vraiment. Tu as envié au fils du roi ses présents, et tu as méprisé le cadeau que je te faisais de bon cœur. À chaque mauvaise pensée qui naît dans l’esprit de tout homme demeurant dans les environs, un crapaud ou une vipère entre par la crevasse.

— J’ai eu tort » dit Wigg, que la honte et surtout la peur envahissaient.

Ils firent de grands détours et pénétrèrent au cœur de la montagne. Peu à peu, on commença à apercevoir de la lumière. Wigg fut profondément étonné de se trouver à l’entrée d’une salle immense, étincelante de lumière, dont les parois étaient en cristal de roche. Tout autour, étaient alignés de petits lutins portant des flambeaux.

Au fond de la salle, le roi de la montagne siégeait sur son trône d’or massif. Il était revêtu d’une cape d’amiante, parsemée de pierres précieuses. Sa fille, vêtue d’une robe d’argent, était assise près de lui, sur un trône moins haut. Son visage, d’une ravissante beauté, était d’une pâleur extrême. Au milieu de la salle, pendait une balance gigantesque, tout autour de laquelle circulaient des lutins, qui mettaient quelque chose, tantôt sur l’un des plateaux, tantôt sur l’autre.

Devant le trône du roi, se tenait une masse innombrable de farfadets, venus de toutes les fermes et de toutes les chaumières situées à plusieurs lieues à la ronde ; ils racontaient tout ce que les hommes, dont ils habitaient les demeures, avaient pensé, dit et fait dans le courant de l’année. Pour chaque bonne pensée et pour chaque bonne action qu’ils relataient, les lutins plaçaient des poids d’or sur l’un des plateaux, et pour chaque mauvaise pensée ou chaque mauvaise action qui était signalée, ils déposaient sur l’autre une vipère ou un crapaud.

« Écoute, Wigg, dit tout bas le petit homme, la princesse est bien malade. Elle mourra si elle ne sort pas bientôt de la montagne, car il lui faut respirer l’air pur, contempler les étoiles, et se réchauffer aux rayons d’or du soleil. Elle se meurt d’ennui. Mais elle ne pourra sortir de la montagne que la veille de Noël, quand la balance du bien se sera abaissée jusqu’à terre, et que la balance du mal se sera élevée jusqu’au ciel. Malheureusement, tu vois qu’en ce moment les plateaux sont presque en équilibre. »

À peine le petit homme avait-il dit cela, qu’il fut à son tour appelé à rendre des comptes. Il avait bien des choses à dire, presque toutes bonnes. Les lutins plaçaient un grand nombre de poids d’or sur le plateau du bien, à mesure que le petit homme avançait dans son rapport ; et ce plateau devenait sensiblement plus lourd que l’autre.

Mais Wigg était comme sur des charbons ardents, car il tremblait d’entendre prononcer son nom. Il tressaillit et devint rouge, puis pâle, quand le petit homme se mit enfin à parler de lui. Ce qu’il dit de lui et de l’épisode des chaussettes de laine, je ne veux pas le répéter par amour pour le cher petit ; mais je ne puis cacher que l’un des nains mit sur le plateau du mal le grand crapaud vert que Wigg avait vu lors de son entrée dans la grotte, et que ce crapaud pesait bien lourd.


La veillée de Noël du petit Wigg par Ottilia Adelborg

Les yeux de tous les assistants, sauf ceux du petit homme, qui portait son regard ailleurs, se fixèrent sur Wigg. Ceux du roi et des lutins étaient si sévères ou si tristes, ceux de la princesse étaient si doux et si désolés, que Wigg, n’osant lever les yeux, se couvrit le visage de ses deux mains.

Alors le petit homme raconta comment la mère Gertrude avait adopté le petit Wigg, orphelin de père et de mère ; il dit qu’elle tressait des nattes et fabriquait des balais qu’elle vendait à l’unique marchand du village, pour procurer de la nourriture à l’enfant, qu’elle cousait et raccommodait ses habits ; il dit combien elle était heureuse de l’avoir, ayant bon cœur, et de santé florissante, ses doux et beaux yeux lui pardonnant volontiers ses espiègleries. Ce matin même, malgré le froid, elle était allée bien loin, jusqu’au village, seulement pour le réjouir, le soir venu, d’une chandelle à trois branches et d’un gâteau de pain d’épices.



Pendant que le petit homme parlait, les lutins mettaient de pesants poids d’or sur le plateau du bien : le vilain crapaud vert sauta à terre et disparut dans la crevasse ; les yeux de la belle princesse s’emplirent de larmes et Wigg se mit à sangloter tout haut…

Il sanglota si fort qu’il s’éveilla. La salle du trône et tout ce qui s’y trouvait avait disparu. Il se vit couché dans son petit lit de la chaumière. Un magnifique feu de Noël pétillait dans l’âtre, et la mère Gertrude se penchait sur lui en disant :

« Mon pauvre petit garçon, tu es resté longtemps seul dans l’obscurité ; mais je n’ai pu rentrer plus tôt, car le chemin est long. Enfin ! J’apporte une chandelle à trois branches, une miche et un pain d’épices, sans compter une galette que demain tu donneras aux petits moineaux. Et tiens, ajouta la mère Gertrude, voici une paire de chaussettes de laine que je t’ai tricotée pour Noël, car tu en as bien besoin, petit brise-fer. Et voici aussi une paire de bottines, pour que tu puisses mettre tes sabots de côté pendant les fêtes. »


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Wigg désirait depuis longtemps une paire de bottines ; aussi les examina-t-il de tous côtés d’un air joyeux ; mais il examina encore plus attentivement les chaussettes de laine ; il leur trouvait une grande ressemblance avec celles qu’il avait vues dans le coffre du petit homme ! Il passa ses bras autour du cou de la mère Gertrude en lui disant :

« Merci, mère, pour les chaussettes et pour les bottines, mais surtout pour les chaussettes ! »

On mit la marmite sur le feu, une nappe fut étendue sur la table et la chandelle à trois branches fut allumée. Wigg mit ses chaussettes neuves et ses bottines pour courir dans la chambre. De temps à autre, il s’arrêtait devant la fenêtre et regardait du côté de la lande, comme pour y chercher la trace du traîneau, car il ne savait au juste que penser du voyage qu’il avait fait.


Au dehors, mille étoiles scintillaient dans la nuit silencieuse. Et dans la chaumière des bruyères, régnaient la chaleur du foyer et la chaleur du cœur.

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