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    Le loup et les brebis, Delphis de La Cour

    Photo du rédacteur: LucienneLucienne
    Cette fable, publiée en 1865, a obtenu une Primevère d'Argent.
    Gustave Doré

    Gravure de Gustave Doré



    Un vieux loup, qui flairait un mouton d’une lieue,

    Infirme, ayant de moins une patte et la queue,

    Allait boitant, un soir, et rôdant au hasard.

    Il avait l’épaule couverte

    D’une peau de brebis qui semblait encor verte ;

    Dans ce manteau, la nuit, il se drapait sans art

    Pour aller à la découverte

    D’une ferme. Il crut voir la bergerie ouverte :

    « Oh ! La bonne aubaine ! dit-il.

    Comme je vais m’en donner à cœur joie ! »

    Le croquant, en esprit, tenait déjà sa proie.

    Il s’approcha d’un air subtil ;

    Les moutons prenaient l’air par une claire-voie

    Qui semblait fermée avec soin :

    « Hé ! Bonjour, mes amis ! s’écria-t-il de loin.

    Que le Ciel en paix vous conserve

    Et vous donne les jours qu’il me tient en réserve !

    Le fourbe eût invoqué tous les saints au besoin.

    — Mes aïeux vous ont fait la guerre ;

    En me voyant rassurez-vous ;

    À mes parents je ne ressemble guère

    Et l’on ne m’entend pas hurler avec les loups ;

    Comme vous à bêler je m’essayais naguère.

    Depuis longtemps atteint d’un rhumatisme, hélas !

    J’ai pris ce pardessus, ayant froid, étant las :

    Au fond des bois je n’ai pas de repaire,

    Je n’ai jamais égorgé de troupeau ;

    J’ai, pour tout bien, recueilli cette peau

    Dans la succession de défunt mon grand-père.

    Afin d’expier, de mon mieux

    Les vieux péchés de mes aïeux,

    Je m’en vais à Saint-Loup faire un pèlerinage.

    Nous ne sommes pas tous maudits

    Car un de nos parents est dans le paradis.

    J’ai tant marché que je suis tout en nage.

    Il s’arrêta ; puis, d’un air doucereux :

    Oui, je n’appartiens plus à la gent qui dévore,

    Dit-il. Je me suis fait comme vous herbivore.

    Ce foin que j’entrevois me paraît savoureux ;

    Passez-m’en quelques brins, car la faim me tourmente.

    Oh ! dit-il en mâchant avec un air glouton,

    Plus on mange et plus la faim augmente ;

    L’herbe décidément vaut mieux que le mouton.

    Le traître mâchait moins de foin que de paroles.

    — Mangez, messire Loup, disaient les brebis folles.

    L’animal près de lui regardant d’un air fin :

    — Voilà, dit-il, de quoi rassasier ma faim.

    Mais que vois-je là-bas ? Oh ! la bonne litière !

    On la mangerait au besoin.

    Pour dormir près de vous, il ne me faut qu’un coin,

    Resterai-je dehors pendant la nuit entière ?

    Si votre cœur n’est pas d’airain,

    Ouvrez, mes bons agneaux, au pauvre pèlerin !

    Un vieux Bélier, couché près de la crèche,

    S’écria : — N’ouvrez pas, c’est moi qui le défends.

    Défiez-vous du loup, ô mes enfants ;

    Cette peau de brebis me paraît toute fraîche.

    Ouvrir ! Il serait mort qu’il faudrait hésiter ;

    On en a vu ressusciter !

    — Que nous contez-vous-là, grand-père !

    S’écriaient les agneaux,

    C’était bon autrefois.

    Entrez ! Mais entrez donc, compère !

    Faut-il vous le dire deux fois ? »

    C’était trop d’une, hélas ! Gare la boucherie !

    Le loup est dans la bergerie !

    « Oh ! Qu’il fait chaud ici, dit le fourbe en entrant,

    Et comme on y sent l’herbe verte !

    Pour faire évaporer ce parfum pénétrant,

    Si nous laissions la porte ouverte ? »

    Aussitôt fait que dit : qu’arriva-t-il ? Vingt loups,

    Quand le faux pèlerin disait ses patenôtres,

    Surprirent les moutons et les croquèrent tous.


    Qui laisse entrer un loup ouvre la porte aux autres.


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