Illustration de Milo Winter
Le poète latin Horace, dans ses Satires, écrites entre 35 et 29 avant Jésus-Christ, reprit cette historiette morale, attribuée en premier à Ésope : « Le rat des champs et le rat de maison ». Elle inspira également Jean de La Fontaine, pour une ses fables les plus célèbres.
Version d’Horace (traduit par Jules Janin) :
Comme il y avait, de longue date, entre le rat de ville et le rat des champs une hospitalière amitié, le rat des champs invita son camarade à le visiter dans son trou.
C’était un rat économe, et dur à soi-même, et pourtant, à l’occasion, il savait relâcher ses principes. Ainsi, le voilà qui prodigue à son hôte, avoine et pois, ainsi que toutes les provisions qu’il avait péniblement amassées : des grains de raisin du dernier automne, et du lard quelque peu rongé, mais fort présentable, enfin tout ce qui pouvait affriander ce convive superbe et dédaigneux, qui touche à tout sans rien manger. Lui cependant, le maître de céans, se tenait modestement sur sa paille, et, se contentant de quelque grain d’orge ou d’ivraie : il laissait au citadin tout ce qu’il avait de meilleur.
Illustration de Don Daily
Tout à coup le rat de ville prit la parole :
« Heu ! fit-il. Quelle idée avez-vous, mon cher, de vivre ainsi de misère, dans ce désert inaccessible ? Ne seriez-vous pas content de planter là ces rocs et ces bois, pour la ville et ceux qui l’habitent ? Laissez-vous faire, et m’en croyez : s’il est vrai qu’ici-bas, grands et petits, nous soyons tous mortels, et que nul n’échappe à son sort, profitons de l’heure présente, et vivons heureux, en songeant à la brièveté de la vie».
À ces mots qui lui semblaient sans réplique, on vit le rat des champs bondir hors de sa masure, et voilà nos deux trotte-menu gagnant la ville en toute hâte, afin de se glisser à la faveur de la nuit et de quelque fente oubliée, sous ses formidables remparts.
Illustration de Don Daily
À minuit donc, nos deux compagnons étaient campés au beau milieu d’une maison splendide. Tout d’abord, ils admirèrent ces lits d’ivoire, dont la blancheur est rehaussée par la pourpre des tentures. Il y avait eu, la veille, en ce logis un grand souper, et les reliefs seuls suffisaient à charger de vastes corbeilles.
Illustration de Don Daily
Le rat de ville installe aussitôt son rustique ami sur la pourpre, et courant çà et là, comme un maître d’hôtel, en habit de combat, il offre à son hôte en suivant l’ordre des services, les morceaux les plus délicats !
« Tâtez-moi de ceci, j’y ai goûté ! » disait-il.
Cependant, alors que le rustre, à demi vautré sur le meilleur coussin, se réjouissait de sa fortune et faisait bonne chère, un brutal fracas de portes envahit cette quiétude. Et nos deux rats, hors des lits sur lesquels ils se carraient, de courir par toute la salle, éperdus et morts de peur, poursuivis par des dogues affreux qui remplissent la maison de leurs aboiements !
« Décidément, s’écria le rat des champs, voilà une vie étrange et qui ne me va guère ! Adieu ! J’habite un mauvais gîte, au fond d’un vieux bois, j’en conviens ; j’y vis de peu, c’est vrai, mais j’y vis en sûreté ! »
Version de Jean de La Fontaine :
Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D’une façon fort civile,
À des reliefs d’ortolans.
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis :
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête,
Pendant qu’ils étaient en train.
À la porte de la salle
Ils entendirent du bruit ;
Le rat de ville détale,
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre ;
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre !
Et maintenant, en musique !
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