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Photo du rédacteurLucienne

Le dernier soir de l'année, Henri de Régnier

Extrait du recueil Les Médailles d’argile, 1903

Illustration de Ernst Ludwig Kirchner

Fatalité, par Jan Toorop - 1893



La haute lampe

Brûle sur la table en silence,

Droite parmi les livres lus

Où ma tête s’est inclinée ;

Je n’entends plus,

Mélancolique et vigilante,

Passer et rôder par la chambre

La vieille Année.

 

Elle s’est faite humble, patiente et grave

En sa grise robe d’hiver,

Pour s’asseoir près de l’âtre clair

Où se chauffent ses mains baissées ;

Elle s’est faite douce et grave

Avec des pas légers qui semblent

Marcher à travers mes pensées

Sur de la cendre.

 

Les corbeilles d’été et les paniers d’automne

Sont là, pendus au mur, et parfois

L’osier craque, le vent frissonne

Aux roseaux du vase où se sèchent

Leurs tiges et leurs feuilles, et parfois

Je tressaille et j’écoute

Et je la vois,

Immobile en sa robe grise

Sans que jamais murmure sa bouche

Plus rien des chansons désapprises

Qu’elle chantait dans l’été riant

En tressant brin à brin,

Avec ses mains,

L’osier souple et le jonc pliant

Et le saule qui se redresse

Et cingle et qu’on tourne en corbeilles.

 

Seul son rouet ronfle et bourdonne

Avec un bruit lointain d’abeilles

Qui s’enfle, s’approche et recule.

Et monotone

Semble filer du crépuscule.

 

L’horloge haute

En sa maison d’écaille et de buis

Ajoute une heure à l’heure qui fuit

Et le temps va de l’une à l’autre

Jusqu’à minuit.

 

Alors la silencieuse Année, assise

À l’âtre en sa robe rose et grise

Se lève et rallume le feu qui s’éteint ;

Une grande flamme d’espoir

Monte et rougit le pavé noir

Et réchauffe ses mains glacées,

Et je crois voir,

Au seuil déjà du temps qui vient,

Son visage nouveau sourire à mes pensées.

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