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Le coucou de Noël


Ce post est la suite de CELUI-CI.


J'offre gracieusement toutes mes traductions inédites illustrées. Vous pouvez télécharger le recueil d'où est extrait ce conte, sur la page :



Il y avait autrefois un village, qui était construit au milieu d’une lande désolée, dans le Nord du pays. Tous ses habitants étaient pauvres, car leurs champs étant stériles, les villageois n’avaient que très peu à vendre. Mais les plus pauvres d’entre eux étaient deux frères, nommés Finaud et Faraud, qui faisaient profession de cordonniers, et qui ne possédaient, à eux deux, qu’une chaumière. Les murs de celle-ci étaient faits de torchis et de clayonnages de bois. Sa porte était basse, et toujours ouverte, car il n’y avait pas de fenêtre. Son toit ne protégeait pas bien de la pluie. En fin de compte, son seul élément de confort était une large cheminée, dans laquelle les deux frères ne pouvaient pas faire de feu digne de ce nom, faute de bois en quantité suffisante. Ils travaillaient là, dans une amitié toute fraternelle, bien qu’avec peu de soutien.

Les gens du village ne faisaient pas de folies en ce qui concerne les chaussures ; et il y avait de meilleurs cordonniers que Finaud et Faraud. Les personnes médisantes disaient qu’il n’existait pas de chaussures en si mauvais état qu’ils ne l’aient pas rendu pire par leurs réparations. Les deux frères parvenaient malgré tout à gagner leur vie, en cumulant leur travail de cordonnerie, le produit d’un petit champ d’orge et d’un jardin attenant à leur étal. Jusqu’au jour funeste où un nouveau cordonnier s’installa au village. Il venait de la capitale, et, selon ses dires, avait réparé les souliers de la reine et de la princesse. Ses poinçons étaient affûtés, ses instruments flambant neufs. Il installa son étal dans une maison neuve, pourvue de deux fenêtres. Les villageois s’aperçurent vite qu’une seule de ses reprises en valait deux des frères. En bref, tout l’ouvrage délaissa Finaud et Faraud, pour aller au nouveau cordonnier. La saison avait été froide et humide, et leur orge ne donna rien. Les choux du jardin ne pommèrent pas. Les deux frères se trouvèrent donc particulièrement démunis cet hiver. Quand vint Noël, ils n’avaient rien d’autre pour festoyer qu’une miche de pain d’orge, un vieux bout de jambon, et un peu de bière, qu’ils avaient brassée eux-mêmes. Pire encore, l’épaisseur de la neige les avait empêchés de ramasser du bois pour le feu.

Leur cahutte se dressait à la sortie du village, et au-delà, s’étendait la lande lugubre, toute blanche et silencieuse. Cette lande avait été autrefois une forêt : on y trouvait encore de larges racines des anciens arbres, détachées du sol, et délavées par la pluie et le vent. Une de ces racines, une souche rugueuse et tordue, se dressait à côté de leur porte, la neige n’en recouvrant que la moitié. Finaud dit à son frère :

« Devons-nous rester assis dans le froid, à Noël, avec cette grande racine à côté de nous ? Coupons-la en morceaux pour faire du feu. Le travail nous réchauffera.

— Non, répondit Faraud. Il ne faut pas couper de bois à Noël. De plus, cette souche est si dure qu’aucune hache n’en viendra à bout.

— Dure ou pas, nous devons avoir du feu, répliqua Finaud. Allons, mon frère, viens m’aider à la rentrer ! Nous avons beau être pauvres, personne au village n’aura une aussi belle bûche de Noël que la nôtre ! »

Faraud aimait bien cette idée, et dans l’espoir d’avoir une belle bûche pour Noël, les deux frères luttèrent et s’éreintèrent, jusqu’au moment où, à force de pousser et de tirer, la large et vieille racine se retrouva en sécurité dans l’âtre. Elle se mit à crépiter et à flamboyer, dans des braises rougeoyantes. Pleins d’allégresse, les deux cordonniers s’assirent avec leur bière et leur bout de jambon. La porte était fermée, parce qu’au dehors, il n’y avait rien d’autre qu’un clair de lune glacé au-dessus de la neige. Mais la cabane, au sol jonché de branches de sapin, et décorée de houx, offrait un spectacle très gai, alors que les flammes rougeâtres projetaient une vive lueur, qui réchauffait leurs cœurs.

« Souhaitons-nous bonne fortune et longue vie, mon frère ! dit Finaud. J’espère que tu voudras bien trinquer avec moi, et que nous n’aurons jamais pire Noël que celui-ci. Mais, qu’est-ce-que c’est que cela ? »

Finaud posa sa choppe, et les deux frères abasourdis, entendirent les mots : « Coucou ! Coucou ! » monter de la souche en flammes, aussi clairement que le chant de cet oiseau sur la lande, un matin de mai.

« C’est un mauvais présage, dit Faraud, qui tremblait de peur.

— Peut être pas » répondit Finaud.

Et d’une cavité profonde que le feu n’avait pas encore atteinte, sur un côté de la souche, sortit un grand coucou gris, qui vint se poser sur la table, à leurs côtés.

« Honorables gens, en quelle saison sommes-nous ?

— C’est Noël, se contenta de répondre Finaud.

— En ce cas, joyeux Noël à vous, dit le coucou. Un soir, durant l’été dernier, je suis allé me coucher dans le trou de cette vieille souche, et je ne me suis réveillé qu’au moment où la chaleur de votre feu m’a fait croire que l’été était de retour. Puisque vous avez brulé mon logis, permettez-moi de rester dans votre cabane jusqu’à l’arrivée du printemps. Je n’ai besoin que d’un petit coin pour dormir, et quand je m’envolerai pour mes voyages, l’été prochain, je vous rapporterai un cadeau en remerciement de votre peine.

— Restez, et soyez le bienvenu, dit Finaud, tandis que Faraud se demandait toujours s’il y avait quelque chose à craindre. Je vais vous construire un petit nid bien chaud sous ce toit de chaume. Mais vous devez être affamé après ce long sommeil ! Voici une tranche de pain d’orge. Allons, venez nous aider à fêter Noël ! »

Le coucou mangea le pain, et but de l’eau à la carafe brune, car il ne voulait pas de bière, puis s’envola vers un petit nid douillet que Finaud lui avait aménagé sous le toit de la chaumière.

Faraud dit qu’il craignait que tout ceci ne leur portât malheur.

Cependant, alors que le coucou dormait, les jours passèrent, et il oublia ses peurs. La neige fondit, et de fortes pluies s’abattirent. Le froid céda peu à peu, les jours rallongèrent. Et un beau matin ensoleillé, les deux frères furent réveillés par le chant du coucou, les avertissant que le printemps était arrivé.

« Je vais partir en voyage, dit l’oiseau, de par le monde, pour annoncer aux hommes que le printemps est là. Il n’existe pas de pays où les arbres bourgeonnent et où les fleurs éclosent, qui n’entende mon chant avant qu’une année ne se soit écoulée. Donnez-moi une autre tranche de pain d’orge comme provision de voyage. Et dites-moi quel présent vous désirez que je vous rapporte à mon retour, à la fin du douzième mois. »

Faraud aurait dû être contrarié de voir son frère couper une tranche de pain aussi épaisse, leur stock de farine d’orge étant mince, mais son esprit était occupé à réfléchir à quel cadeau il serait avisé de demander. Enfin, il lui vint une idée lumineuse.

« Cher Maître Coucou, dit-il, un grand voyageur tel que vous, qui visite le monde entier, doit connaître tous les endroits où on peut trouver des diamants et des perles. L’un d’entre eux, d’une taille raisonnable, porté dans votre bec pourrait aider deux pauvres hommes tels que mon frère et moi, à se procurer quelque chose de meilleur que du pain d’orge pour votre prochaine venue.

— Je ne connais rien aux perles ou aux diamants, répondit le coucou. Ils se cachent au cœur des rochers, et dans le sable des rivières. Je ne connais que ce qui pousse sur la terre.

Il existe deux arbres, près du puits qui se trouve à l’autre bout du monde. On appelle l’un des deux l’Arbre d’Or, car ses feuilles sont faites de ce métal. Chaque hiver, elles tombent dans le puits, comme une pluie de pièces de monnaie ; je ne sais pas ce qu’il advient d’elles. Et quant à l’autre, il est toujours vert, comme un laurier. Certains l’appellent l’Arbre de Sagesse, d’autres l’Arbre de Joie. Ses feuilles ne tombent jamais. Mais ceux qui en possèdent une, gardent le cœur léger dans l’adversité, et sont aussi heureux dans une chaumière que dans un palais.

— Oh, cher Maître Coucou, ramène-moi une feuille de cet arbre ! dit Finaud.

— Allons, mon frère, ne sois pas stupide, dit Faraud. Pense aux feuilles d’or ! Honorable Maître Coucou, ramène-moi une feuille de l’Arbre d’Or ! »

Avant que l’un des deux frères ait pu ajouter un mot, le coucou avait pris son envol par la porte grande ouverte, lançant son chant printanier au-dessus des prés et des landes.

Cette année, les deux frères furent plus pauvres que jamais. Personne ne leur confiait le moindre soulier à réparer. Le nouveau cordonnier racontait, plein de mépris, qu’il leur conseillait de devenir ses employés. Finaud et Faraud auraient quitté le village, s’ils n’avaient dû abandonner leur champ d’orge, leur potager, et une certaine jeune fille appelée Boucleblonde, que les deux cordonniers courtisaient depuis sept ans, sans jamais avoir pu connaître sa préférence.

Parfois, Boucleblonde semblait préférer Finaud, parfois elle souriait à Faraud. Mais ce n’était jamais un sujet de querelle entre les deux frères. Ceux-ci semaient leur orge, plantaient leurs choux, et du fait qu’ils n’avaient plus d’ouvrage de cordonnerie, se louaient dans les champs des riches villageois pour gagner leur maigre pitance. Les saisons arrivaient, puis s’en allaient. Le printemps, l’été, les moissons et l’hiver, se succédaient comme depuis le début du monde. À la fin, les deux frères étaient devenus si pauvres et leurs vêtements si déchirés, que Boucleblonde jugea qu’ils ne méritaient plus son attention. Des voisins de longue date négligèrent de les inviter aux mariages ou aux fêtes, et ils en étaient venus à penser que le coucou les avait oubliés. Quand, au lever du jour, un 1er avril, ils entendirent un bec dur cogner à leur porte, et une voix crier :

« Coucou ! Coucou ! Laissez-moi entrer : j’apporte des cadeaux ! »

Finaud se précipita pour ouvrir, et le coucou entra, portant d’un côté de son bec une feuille d’or, plus grande que tout ce qu’on pouvait voir dans le Nord du pays, et de l’autre côté, une feuille ressemblant à celle d’un laurier, quoique d’un vert un peu plus brillant.

« Voici, dit-il, en donnant la feuille d’or à Faraud, et la feuille verte à Finaud. Le voyage a été long, depuis l’autre côté du monde. Donnez-moi une tranche de pain d’orge, car je dois annoncer la venue du printemps aux habitants du Nord. »

Faraud ne lésina pas sur l’épaisseur de la tranche, bien que celle-ci fût coupée dans leur dernière miche de pain. Il n’avait jamais eu autant d’or en main, et ne pouvait s’empêcher de jubiler aux dépens de son frère :

« Regarde combien mon choix fut habile, dit-il, en tendant la grande feuille d’or. Quant à la tienne, elle pourrait avoir été arrachée à n’importe quelle haie ! Je me demande si un oiseau un tant soit peu intelligent se serait donné la peine de la transporter de si loin !

— Honorable Maître Cordonnier, cria le coucou, vos conclusions sont bien hâtives et bien impertinentes. S’il se trouve que votre frère est déçu de son choix, comme je fais le même voyage chaque année, et du fait de votre accueil si hospitalier, ce ne sera pas un souci pour moi de vous rapporter à chacun la feuille qu’il désire.

— Cher Coucou, s’écria Faraud, ramène-moi une de celles en or ! »

Et Finaud, levant les yeux de la feuille verte qu’il contemplait comme un joyau de la couronne, dit :

« Assure-toi de me ramener une feuille de l’Arbre de Joie. »

Le coucou s’envola.

« C’est la fête des imbéciles ! Et ça devrait être ton anniversaire ! dit Faraud. A-t-on déjà vu un homme laisser s’échapper une telle occasion de devenir riche ? Tes feuilles de joie te seront d’une grande utilité quand tu seras pauvre et en guenilles ! »

Il continua sur ce ton, mais Finaud lui rit au nez, en lui rappelant les vieilles maximes d’autrefois, qui parlaient de tous les soucis qui allaient de pair avec la richesse. À la fin, Faraud se mit en colère, jura que son frère n’était pas fait pour vivre avec une personne convenable, telle que lui-même, et prenant ses poinçons, ses instruments, et sa feuille d’or, quitta la chaumière et s’en fut tout raconter aux villageois.

Ceux-ci furent stupéfaits de la bêtise de Finaud, et charmés par le bon sens de Faraud, surtout quand ce dernier leur montra la feuille d’or, et leur dit que le coucou lui en ramènerait une nouvelle chaque printemps. Le nouveau cordonnier voulut s’associer avec lui sur le champ. Les personnes de haut rang lui confièrent des chaussures à réparer. Boucleblonde lui sourit gracieusement, et dans le courant de l’été, ils se marièrent. On donna un grand banquet de mariage, auquel tout le village dansa, à l’exception de Finaud, qui ne fut pas invité, car la mariée ne pouvait pas supporter son manque d’ambition. Son frère le considérait comme la honte de la famille.

Il est vrai que tous ceux qui étaient au courant de l’histoire pensaient que Finaud avait perdu la raison. Nul n’accepta de lui tenir compagnie, si ce n’est un rétameur boiteux, un petit mendiant, et une vieille femme, qu’on prenait pour une sorcière, du fait de sa vieillesse et de sa laideur.

Quant à Faraud, il se mit en ménage avec Boucleblonde, dans une petite maison située à proximité de celle du nouveau cordonnier, et presque aussi jolie. Son travail donnait satisfaction à tous. Il portait une veste rouge pendant ses journées libres, et dégustait une oie grasse au dîner, à l’occasion de chaque mariage. De son côté, Boucleblonde avait une robe pourpre ornée de beaux rubans bleus. Mais ni l’un ni l’autre n’étaient satisfaits, parce que pour acheter toutes ces richesses, la feuille d’or avait due être découpée en petits morceaux, dont on s’était séparés l’un après l’autre. Et le dernier morceau était parti avant que le coucou n’en ramène une nouvelle.

Finaud habitait dans la vieille chaumière, et cultivait le potager. - Faraud étant l’aîné, il avait conservé le champ d’orge -. Chaque jour, sa veste partait davantage en lambeaux, et la maison était plus que jamais la proie des intempéries. Mais les gens remarquaient qu’il n’avait jamais l’air triste ou amer. Et le plus étonnant était qu’à partir du moment où ils lui tinrent compagnie, le rétameur se montra plus tendre avec le pauvre âne sur lequel il parcourait le pays. Le mendiant cessa ses tours de malice. Et la vieille femme ne gronda plus jamais, ni son chat, ni aucun enfant.

Chaque 1er avril, le coucou frappait à leurs portes, avec une feuille d’or pour Faraud, et une feuille verte pour Finaud. Boucleblonde aurait voulu le recevoir avec les honneurs, en lui offrant du pain de froment et du miel, car elle avait en tête le projet de le convaincre de ramener deux feuilles au lieu d’une. Mais le coucou prenait son envol pour aller manger du pain d’orge chez Finaud. Il disait qu’il n’était pas une compagnie digne de ce nom pour des gens d’un tel rang, et qu’il préférait son bon vieux petit nid, dans lequel il sommeillait si douillettement, des fêtes jusqu’au printemps.

Faraud dépensait les feuilles d’or. Finaud conservait les feuilles de joie. Je ne pourrais dire combien d’années s’écoulèrent ainsi. Jusqu’au jour où un certain seigneur, qui était propriétaire du village, s’en vint aux alentours. Son château se dressait sur la lande. Il était solide et ancien, avec de hautes tours et des douves profondes. Toutes les terres qu’on pouvait apercevoir depuis la tourelle la plus haute appartenaient à ce seigneur. Mais il n’y avait pas mis les pieds depuis vingt ans. Et il n’y serait certainement jamais venu, s’il n’avait souffert de mélancolie. La cause de son chagrin était la suivante. Il avait occupé à la Cour le poste de premier ministre, et à ce poste, possédait les faveurs du roi. Mais quelqu’un avait rapporté à l’héritier du trône qu’il avait évoqué irrespectueusement le fait que les orteils princiers étaient déformés, et au roi qu’il avait jugé que ce dernier ne prélevait pas suffisamment d’impôts. En conséquence, le seigneur des terres du Nord avait été destitué de son poste, et renvoyé chez lui. Il était de retour depuis plusieurs semaines, et d’une humeur massacrante. Les serviteurs se plaignaient que rien ne lui convenait, et les villageois portaient leurs vêtements les plus usés, de crainte qu’il n’augmentât leurs loyers.

Un jour, à l’époque des moissons, sa seigneurie croisa par hasard Finaud, qui ramassait du cresson dans l’eau d’un ruisseau au bord d’un champ. Il engagea la conversation avec le cordonnier.

Comment cela se peut-il, nul ne peut le dire. Mais le fait est qu’après une heure de conversation, le seigneur retrouva le moral. Il oublia son poste perdu, les ennemis qu’il avait à la Cour, les impôts royaux et les orteils princiers. Il se mit à mener grand train, allant à la chasse, à la pêche, et donnant de grands festins au château, à l’occasion desquels les voyageurs étaient conviés à faire halte, et les pauvres gens étaient les bienvenus. Cette étrange histoire se répandit dans toutes les contrées du Nord. Et de nombreuses personnes firent le déplacement jusqu’à la cabane du cordonnier. Des hommes riches, qui avaient perdu leur fortune. Des hommes pauvres, que leurs amis avaient quittés. Des femmes belles autrefois, qui avaient pris de l’âge. Des hommes d’esprit, qui n’étaient plus dans l’air du temps. Tous venaient converser avec Finaud. Et quelles qu’aient été leurs infortunes, tous rentraient chez eux consolés.

Les riches le couvrirent de cadeaux, les pauvres de remerciements. L’état des vêtements de Finaud s’améliora. Il mangeait du jambon avec ses choux. Et les villageois commencèrent à se dire qu’en fin de compte, il n’était pas si fou que cela.

Sa renommée avait désormais atteint la capitale, et même la Cour. Là, se trouvaient un grand nombre de gens mécontents, qui gravitaient autour du roi. Ce dernier souffrait lui-même, d’une grosse baisse de moral, depuis qu’une princesse du voisinage, dont la dot était constituée de sept îles, avait refusé d’épouser son fils aîné. On envoya donc à Finaud un messager royal, porteur d’une cape de velours, d’un anneau de diamant, et de l’ordre de se présenter à la Cour sur le champ.

« Demain, nous sommes le 1er avril, dit Finaud. Deux heures après le lever du soleil, je viendrai avec vous. »

Le messager fut logé pour la nuit au château, et le coucou se présenta à l’aube, avec la feuille de joie.

« La Cour est un bien bel endroit, dit-il au cordonnier quand ce dernier lui eut appris où il se rendait, mais je ne peux pas y aller. Les courtisans poseraient des collets, et chercheraient à me capturer. Fais bien attention aux feuilles que je t’ai rapportées, et donne-moi une tranche de pain d’orge en guise d’adieu. »

Finaud était désolé à l’idée de ne plus revoir le coucou, même si le temps passé en sa compagnie avait été fort bref. Il lui donna une tranche de pain d’orge si large et si épaisse, qu’elle aurait brisé le cœur de Faraud, autrefois. Puis ayant cousu les feuilles dans la doublure de son pourpoint de cuir, il prit avec le messager, le chemin de la Cour.



Son arrivée là-bas causa un grand émoi. Tous se demandaient ce que le roi pouvait bien trouver à un homme d’aspect si commun. Mais à peine sa Majesté eut-elle conversé avec le cordonnier durant une demi-heure, que la princesse et ses sept îlots furent oubliés, et que des ordres furent données pour organiser un banquet dans la grande salle, où tous ceux qui le souhaitaient, étaient les bienvenus. Plus ils parlaient avec Finaud, plus les princes de sang royal, les grands seigneurs, leurs épouses, les ministres d’Etat, et les juges de paix, sentaient leurs esprits s’apaiser. À tel point que de grands changements se produisirent à la Cour. Les seigneurs en venaient à perdre le souvenir de leurs méchancetés, et les dames de leurs jalousies. Les princes et les ministres devenaient amis, et les juges se montraient intègres.

Quant à Finaud, on lui avait affecté une chambre au palais, et une place à la table du roi. Un tel lui offrait de riches vêtements, un autre de coûteux bijoux. Mais au milieu de tout ce luxe, il continuait à porter son pourpoint de cuir, que les serviteurs du palais trouvaient particulièrement usé. Un jour, l’attention du roi ayant été attirée sur ce point par le premier page, celui-ci lui demanda pour quelle raison il ne le donnait pas à un mendiant. Le cordonnier répondit :

« Haut et puissant monarque, ce pourpoint était à moi avant que je ne connaisse le velours et la soie. Je le trouve plus confortable qu’un vêtement de cérémonie. De plus, il sert mon humilité, en étant le constant rappel des jours où il faisait office pour moi, de tenue de fête. »

Le roi trouva ce discours très sage, et ordonna que désormais, personne ne trouvât rien à redire au pourpoint de cuir.

Les choses se déroulaient ainsi, jusqu’au jour où la nouvelle de la bonne fortune de son frère arriva à Faraud, dans sa maison sur la lande. On était au 1er avril, et le coucou venait de lui amener deux feuilles d’or, étant donné qu’il n’en apportait plus pour Finaud.

« Imagine un peu ça ! dit Boucleblonde. Nous autres, passons notre vie dans ce désert perdu, et Finaud fait fortune à la Cour, grâce à deux ou trois feuilles vertes ! Que diraient-ils en voyant nos feuilles d’or ? Faisons nos bagages, et rendons-nous au palais royal. Je suis certaine que le roi fera de vous un seigneur, et de moi, une dame de compagnie, sans parler de tous les beaux habits et de tous les cadeaux qu’il nous offrira. »

Faraud trouva l’idée excellente, et ils s’apprêtèrent à faires leurs bagages.

Mais ils s’aperçurent vite que leur maison ne renfermait peu de choses dignes d’être amenées à la Cour. Boucleblonde n’envisageait pas un instant d’y apporter ses bols de bois, ses cuillères ou ses hachoirs. Faraud pensait qu’il valait mieux laisser derrière lui ses poinçons et ses autres instruments, car sans eux, nul ne pourrait deviner qu’il était cordonnier. Ils se contentèrent donc de revêtir leurs habits du dimanche. Boucleblonde prit son miroir, et Faraud sa choppe de bière, qui possédait un fin rebord en argent. Et chacun transportant une feuille d’or dissimulée avec précaution, de manière à être invisible, le couple se mit en route, plein d’espoir.

Je ne puis dire combien de temps ils marchèrent. Mais le soleil était haut et chaud, quand à midi, ils pénétrèrent dans un bois, tous deux à la fois affamés et assoiffés.

« Si j’avais su que le palais était si éloigné, dit Faraud, j’aurais emmené le reste de pain d’orge que nous avons laissé dans le placard.

— Mon époux, dit Boucleblonde. Vous ne devriez pas avoir des pensées aussi mesquines. Qui peut bien avoir l’idée de manger du pain d’orge sur le chemin du palais royal ? Reposons-nous plutôt sous cet arbre, et vérifions si nos feuilles d’or sont en sécurité. »

En jetant un coup d’œil à leurs feuilles, et tout en discutant de leurs grisantes perspectives, Faraud et Boucleblonde ne s’aperçurent pas qu’une vieille femme, très maigre, venait de sortir en se faufilant, de derrière l’arbre. Elle avait dans une main un long bâton, et dans l’autre, un grand cabas.

« Honorable seigneur, honorable dame, dit-elle. Je devine au son de vos voix, que vous êtes des personnes de haut rang, bien que ma vue ne soit plus très bonne, ni mon ouïe des plus perçantes. Auriez-vous la courtoisie de me dire où je peux trouver de l’eau, afin de diluer le contenu d’une bouteille d’hydromel, que je transporte dans mon cabas, et qui est trop fort à mon goût ? »

Tout en parlant, la vieille femme sortit une grande gourde de bois, d’un modèle que les bergers utilisaient autrefois, toute enveloppée de feuilles d’arbre, et possédant une petite tasse assortie, attachée à son anse.

« Vous me ferez peut être l’honneur d’y goûter ? Il est fabriqué à partir d’un miel de la meilleure qualité. J’ai également du fromage à la crème, et une miche de pain de froment, si cela convient à des personnes d’un rang tel que le vôtre. »

Après un tel discours, il est certain que Faraud et Boucleblonde allaient condescendre à ce repas. Ils étaient désormais persuadés que leur apparence avait un petit quelque chose d’aristocratique. De plus, ils étaient affamés. Après avoir rapidement recouvert les feuilles d’or, ils assurèrent la vieille femme de leur modestie, en dépit des châteaux et des terres qu’ils avaient laissés derrière eux, dans le Nord du pays : ils l’aideraient bien volontiers à alléger le poids de son cabas. On eut du mal à convaincre la vieille femme de s’asseoir avec eux, car elle refusait, par simple déférence. Et le temps que le cabas fût à moitié vidé, Faraud et Boucleblonde étaient fermement convaincus de présenter un aspect indéniablement aristocratique. Cela n’était pas seulement le résultat de l’habile discours qui leur avait été servi. La vieille femme était en réalité, une sorcière des forêts, appelée Bec de Sucre. Elle passait son temps à fabriquer de l’hydromel, qui mélangé à des plantes et des sortilèges bizarres, avait le pouvoir d’endormir profondément tous ceux qui le buvaient, et de les faire rêver les yeux grand ouverts. Elle avait deux fils, qui étaient des lutins. Le premier se nommait Cafard, le second Ricochet. Où que se rende leur mère, ils n’étaient pas loin derrière. Et quiconque buvait de l’hydromel, était sûr d’être détroussé par les deux canailles.

Faraud et Boucleblonde étaient assis, adossés au vieil arbre. Le cordonnier tenait dans sa main un bout de fromage, alors que sa femme serrait un quignon de pain. Leurs yeux et leurs bouches étaient grand ouverts : ils rêvaient aux fastes de la Cour. La vieille femme se mit alors à crier, d’une voix stridente :

« Ohé ! Mes fils ! Venez ici chercher le butin ! »

À peine avait-elle parlé, que deux petits lutins jaillirent d’un fourré voisin.

« Espèces de fainéants ! Qu’avez-vous donc fait aujourd’hui, pour gagner notre pitance ?

— Je suis allé à la ville, dit Cafard. Il n’y avait rien pour nous là-bas. Les temps sont durs : les gens vaquent si gaiement à leurs occupations, depuis l’arrivée de ce maudit cordonnier ! Mais j’ai un pourpoint de cuir, qu’un page a jeté par une fenêtre. Cela ne vaut pas grand-chose, mais je l’ai amené pour te montrer que je ne reste pas sans rien faire. »

Il jeta à terre le pourpoint de Finaud, dans lequel étaient cachées les feuilles de joie, et qu’il portait sur son petit dos comme un paquet.

Comment Cafard avait-il pu entrer en possession de ce pourpoint ?

Il faut tout d’abord savoir que la forêt n’était pas très éloignée de la capitale, dans laquelle Finaud était tenu en haute estime. Les choses se passaient bien pour le cordonnier, jusqu’au jour où le roi jugea qu’il était inconvenant pour un homme de cette qualité de ne pas avoir de domestique. En conséquence, afin de bien marquer la préférence royale envers Finaud, sa Majesté lui envoya à titre de serviteur, un de ses propres pages. Il s’appelait Pacotille, et bien qu’il ne fût que le septième des pages royaux, personne à la Cour ne possédait de plus hautes ambitions. Rien ne l’intéressait qui ne brillât d’un éclat d’or ou d’argent. Et sa grand-mère craignit qu’il n’attentât à ses jours, pour avoir été nommé page d’un cordonnier.

Quant à Finaud, si quelque chose devait le perturber, c’était bien cette dernière marque de la prévenance royale. Car le brave homme avait tellement l’habitude de se débrouiller seul, que le page le gênait continuellement. Mais les feuilles de joie vinrent à son secours. Et au grand étonnement de sa grand-mère, Pacotille s’adapta merveilleusement à son nouvel emploi. Certains disaient cependant, que c’était parce que Finaud ne lui donnait rien d’autre à faire que de jouer au ballon à longueur de journée sur les pelouses du palais.

Une chose cependant, chagrinait le cœur de Pacotille : le pourpoint de cuir de son maître. Sans ce pourpoint, il était persuadé que les gens oublieraient que Finaud avait été cordonnier. Le page dépensa beaucoup d’énergie pour montrer à son maître à quel point il était passé de mode à la Cour. Mais ce dernier lui fit le même discours qu’au roi. À la fin, un beau matin, ne trouvant rien de mieux à faire, le page se leva avant son maître, et jeta le pourpoint de cuir par la fenêtre de derrière, dans une ruelle où Cafard le ramassa pour le rapporter à sa mère.


« Quelle saleté ! dit la vieille femme. À quoi cela peut-il bien nous être utile ? »

Pendant ce temps, Ricochet avait dérobé toutes choses de valeur à Faraud et Boucleblonde : le miroir, la choppe au rebord en argent, la veste rouge de l’époux, la cape chatoyante de sa compagne, et par-dessus tout, les feuilles d’or. Celles-ci réjouirent tant Bec de Sucre et ses fils, qu’ils jetèrent par amusement le pourpoint de cuir sur le cordonnier endormi, avant de regagner leur cabane, au fin fond de la forêt.

Le soleil se couchait, quand Faraud et Boucleblonde s’éveillèrent. Ils avaient rêvé qu’ils étaient un grand seigneur et sa dame, vêtus de velours et de soie, en train de festoyer en compagnie du roi dans la grande salle du palais. Ils s’aperçurent horrifiés, que leurs feuilles d’or, ainsi que tous leurs autres biens de valeur, avaient disparu. Faraud s’arrachait les cheveux, en promettant de régler son compte à la vieille femme. Boucleblonde se lamentait douloureusement.

C’est alors que Faraud, qui n’avait plus de veste, et qui ressentait le froid, enfila le pourpoint de cuir, sans même se demander qui l’avait posé là. À peine l’eût-il boutonné qu’un changement s’opéra en lui. Il adressa à Boucleblonde des paroles si gaies, qu’au lieu de se lamenter, elle fit résonner la forêt de ses rires. Ils s’employèrent à construire ensemble une cabane de branches, dans laquelle Faraud alluma un feu, à l’aide du briquet qu’il avait apporté, tout comme sa pipe, en cachette de Boucleblonde. Car selon elle, on ne voyait pas de telles choses à la Cour. Au pied d’un vieux chêne, ils trouvèrent un nid de faisans, et firent une omelette. Puis ils se couchèrent sur une motte d’herbes longues, qu’ils avaient ramassées, et des rossignols chantèrent toute la nuit dans les vieux arbres, au-dessus d’eux.

C’est ainsi que Faraud et Boucleblonde vécurent dans la forêt, jour après jour, agrandissant et embellissant leur cabane, se nourrissant de baies et des œufs des oiseaux sauvages, sans accorder une pensée à leurs feuilles perdues, ou à leur voyage à la Cour.

Pendant ce temps là, Finaud s’était réveillé, et mis à la recherche de son pourpoint. Pacotille, bien entendu, dit qu’il n’était au courant de rien. Tout le palais fut fouillé, et chaque serviteur interrogé, jusqu’à ce que les courtisans finissent par se demander pourquoi on faisait tant d’histoires à propos d’un vieux pourpoint de cuir. Ce même jour, tout redevint comme avant. Il y eut des disputes parmi les seigneurs, et des jalousies parmi leurs épouses. Le roi dit que ses sujets ne payaient pas suffisamment d’impôts, la reine désira davantage de bijoux. Les domestiques reprirent leurs anciennes chamailleries, et en inventèrent quelques nouvelles. Finaud lui-même se sentit d’humeur particulièrement maussade, et de moins en moins à sa place. Des nobles demandèrent quelle pouvait être la place d’un cordonnier à la table du roi. Et sa Majesté ordonna qu’il soit recherché un précédent dans les archives du Quotidien du Palais.

Le cordonnier était bien trop sage pour avouer tout ce qu’il avait perdu en égarant son pourpoint. Mais s’étant familiarisé avec les usages de la Cour, il proclama une récompense de cinquante pièces d’or à celui qui pourrait lui donner des nouvelles du vêtement. À peine ceci fût-il connu, que les porches et les cours du château se remplirent d’hommes, de femmes, et d’enfants, certains portant des pourpoints de cuir, de toutes formes et de toutes couleurs, et d’autres rapportant ce qu’ils avaient vu ou entendu dans leurs pérégrinations autour du palais. Il en sortit tant d’histoires se rapportant à des gens connus, que les seigneurs et leurs épouses se précipitèrent au devant du roi, en accusant Finaud de répandre des calomnies. Sa Majesté, qui avait eu entre-temps la confirmation auprès des archives, qu’aucun précédent tel que celui-ci n’avait jamais été observé, promulgua un décret bannissant à jamais le cordonnier de la Cour, et confisquant tous ses biens au profit de Pacotille.

À peine cet édit royal était-il publié, que le page était déjà en pleine possession des riches appartements, des habits coûteux, et de tous les autres présents qu’avaient faits les courtisans à Finaud. Ce dernier, n’ayant même plus cinquante pièces d’or à offrir, fut bien content de s’échapper par la fenêtre de derrière. Il craignait en effet les nobles, qui avaient juré de se venger de lui, et le peuple, qui se préparait à lui jeter des pierres parce qu’il l’avait trompé au sujet du pourpoint.

La fenêtre par laquelle Finaud se laissa tomber, le long d’une corde solide, était celle d’où Pacotille avait jeté le pourpoint. Alors que le cordonnier en sortait, la nuit étant presque tombée, un pauvre bûcheron, portant d’une lourde cargaison de fagots de bois, s’arrêta, stupéfait, pour le regarder.

« Qu’y-a-t-il donc, mon ami ? demanda Finaud. N’avez-vous jamais vu auparavant quelqu’un sortir en douce par la fenêtre de derrière ?

— Eh bien, répondit le bûcheron, la derrière fois que je suis passé ici, un pourpoint de cuir est tombé de cette même fenêtre. Et je jurerais que vous en êtes le propriétaire.

— C’est bien moi, dit le cordonnier. Et pouvez-vous me dire la direction qu’a prise ce pourpoint ?

— Alors que je continuais mon chemin, dit le bûcheron, un lutin qu’on appelle Cafard l’a ramassé, et a couru vers la forêt rejoindre sa mère.

— Mon cher ami, dit Finaud, en enlevant le dernier de ses vêtements de prix, une cape vert gazon, à la lisière d’or, je vous ferai cadeau de ceci si vous vous mettez à la poursuite de ce lutin, et si vous me ramenez mon pourpoint.

— Ce ne serait pas une bonne idée de rapporter ces fagots dans la forêt, dit le bûcheron. Mais si vous voulez revoir votre pourpoint, vous trouverez le chemin du bois au bout de cette ruelle. » Et il s’éloigna péniblement.

Déterminé à retrouver son pourpoint, et certain que ni la foule ni le peuple ne pourraient l’attraper là-bas, Finaud se mit en route, et fut bientôt entouré d’arbres de haute taille. Mais il ne put apercevoir de lutin. La nuit tombait de plus en plus, et le bois était sombre et touffu. Mais ici et là, la clarté de la lune éclairait les allées. De grands hiboux voletaient tout autour de lui, et les rossignols chantaient. Il continuait sa route, espérant trouver un endroit pour s’abriter. Le rougeoiement d’un feu, au travers d’un buisson, finit par le guider jusqu’à la porte d’une chaumière basse. Elle était entrouverte, comme s’il n’y avait rien eu à craindre aux alentours, et à l’intérieur, il aperçut Faraud, son frère, qui ronflait sur un lit de foin, au pied duquel reposait son propre pourpoint de cuir. Boucleblonde, dans un corsage de roseaux tressés, était assise près du feu, en train de faire griller des œufs de faisans.

« Bonsoir, Madame » dit Finaud en s’approchant.

Malgré la clarté du feu, la vie à la Cour avait tellement changé son beau-frère, que Boucleblonde ne le reconnut pas. Elle répondit sur un ton bien plus courtois qu’elle n’en avait l’habitude :

« Bonsoir Monsieur. D’où venez-vous donc à une heure aussi tardive ? Mais ne parlez pas trop fort, car mon excellent époux s’est épuisé à fendre du bois, et il fait un petit somme avant de dîner, comme vous pouvez le voir.

— Souhaitons-lui un bon repos, répondit Finaud, devinant qu’elle ne l’avait pas reconnu. Je viens de la Cour, pour une journée de chasse, et je me suis perdu dans la forêt.

— Asseyez-vous, et partagez notre repas, dit Boucleblonde. Je vais mettre sur le feu quelques œufs de plus. Racontez-moi des nouvelles de la Cour. Il m’est arrivé d’en rêver, il y a longtemps, quand j’étais jeune et stupide.

— Vous n’y êtes jamais allée ? demanda Finaud. Une personne aussi belle que vous, y ferait s’émerveiller les dames.

— Vous êtes bien aimable, répondit Boucleblonde. Mon mari a un frère là-bas. Nous avons quitté notre village dans la lande, pour chercher fortune à la Cour, nous aussi. Mais à l’entrée de la forêt, une vieille femme nous a ensorcelés, avec de beaux discours et des boissons fortes. Nous nous sommes endormis, avec des rêves de grandeur. À notre réveil, tout nous avait été dérobé : mon miroir, ma cape rouge, la veste des dimanches appartenant à mon mari. Et à la place de tout cela, les voleurs avaient laissé ce vieux pourpoint de cuir. Il le porte depuis, et n’a jamais été aussi gai de sa vie, bien que nous vivions dans cette misérable cabane.

— Il est vrai qu’il est bien râpé, ce pourpoint, dit Finaud en soulevant le vêtement, et en vérifiant que c’était bien le sien, les feuilles y étant toujours cousues dans la doublure. Il serait bon pour la chasse, cependant. Votre mari serait heureux de s’en séparer, en échange, disons, de cette belle cape. »

Il retira son par-dessus vert gazon, et enfila le pourpoint, à la grande satisfaction de Boucleblonde, qui courut secouer son mari, en disant :

« Mon époux ! Mon époux ! Réveille-toi pour voir quel joli marché je viens de conclure ! »

Faraud émit un dernier ronflement, marmonna quelque chose au sujet du lit trop dur. Puis il se frotta les yeux, leva un regard étonné sur son frère, et dit :

« Finaud ? C’est vraiment toi ? Alors, est-ce-que la Cour t’a plu ? Y-as-tu fait fortune ?

— Certainement mon frère, répondit Finaud, au moment exact où j’ai récupéré mon bon vieux pourpoint de cuir. Allons, viens ! Régalons-nous de ces œufs, et reposons-nous cette nuit. Demain, nous reviendrons dans notre vieille chaumière, au sortir du village sur la lande, là où le coucou de Noël venait nous apporter des feuilles d’arbres. »

Faraud et Boucleblonde furent tous deux d’accord. Dans la matinée, ils firent ensemble le voyage de retour, et retrouvèrent la vieille chaumière, abimée par l’usure et les intempéries. Les voisins accoururent, pour avoir des nouvelles de la Cour, et pour savoir s’ils avaient fait fortune. Chacun fut stupéfait de les retrouver tous les trois plus pauvres que jamais, mais en somme heureux de rentrer. Finaud ressortit les poinçons et autres instruments qu’il avait cachés dans un recoin. Faraud et lui reprirent leur ancien métier, et dans toutes les terres du Nord, il n’y avait jamais eu de tels cordonniers.



Ils réparaient les souliers des seigneurs et de leurs dames, aussi bien que ceux des pauvres gens. Tous en étaient satisfaits. Leur clientèle s’élargit de jour en jour.

Et tous ceux qui se sentaient trahis, mécontents ou malchanceux, reprirent l’habitude de venir chez eux, comme autrefois, avant que Finaud ne parte pour la Cour.

Les riches leur offraient des présents, les pauvres des services.

Nul ne sait comment, la maison elle-même se transforma. Du chèvrefeuille en fleurs en recouvrit le toit. À sa porte, poussèrent des bouquets de roses rouges et blanches. Et de plus, le coucou de Noël revenait toujours, le 1er avril, pour apporter trois feuilles de l’Arbre de Joie, car Faraud et Boucleblonde ne voulaient plus entendre parler de feuilles d’or.

Voilà ce qu’il en était, aux dernières nouvelles que j’ai eues en provenance du Nord du pays.


« Oh, maman, quelle jolie maison pour l’été cette chaumière ferait pour moi ! dit la princesse Gourmandine.

— Nous devrions la faire venir ici » répondit la reine Javotte.

Le fauteuil resta silencieux.

Mais une dame et deux messieurs, vêtus de satin brun et de brodequins couleur moutarde, d’un style qu’on n’avait jamais vu à la Cour, se levèrent pour dire :


« C’est notre vie, qui vient d’être racontée. »


« Je n’ai pas entendu d’histoire aussi passionnante, dit le roi Bonnemine, depuis que mon frère Ruseald nous a quittés, pour aller se perdre dans la forêt. Vermeille, mon septième page, va chercher pour cette petite fille une paire de souliers rouges avec des boucles dorées. »

Le septième page ramena sur le champ, de la réserve royale, une paire de souliers de satin rouge, avec des fermoirs en or. Fleur des Neiges n’en n’avait jamais vu de pareils. Elle remercia joyeusement le roi, fit une révérence, et s’asseyant dans le fauteuil, dit :


« Fauteuil de ma grand-mère, emmène-moi à la plus miteuse des cuisines ! »


Le fauteuil se mit cérémonieusement en marche sur le champ, faisant l’admiration de la noble assemblée.

Cette nuit là, la fillette fut autorisée à dormir sur la paille, près de la cheminée. Le lendemain, on lui donna du lait pour accompagner les bas morceaux que le cuisinier lui jetait. Le fastueux banquet se poursuivait, au son de la musique. Les récriminations du peuple également, mais sans fond sonore.

Le soir venu, le roi Bonnemine se sentit à nouveau fort déprimé. L’ordre fut donné à Fleur des Neiges par le premier de cuisine, qu’elle et son fauteuil se présentent dans la plus haute des salles de banquet, le roi désirant écouter une nouvelle histoire.

Fleur des Neiges se lava le visage, épousseta son fauteuil, et fit le trajet assise, comme la fois précédente, au détail près qu’elle portait désormais ses souliers rouges. La reine Javotte et sa fille avaient l’air plus morose que jamais. Cependant, quelques personnes présentes notèrent aimablement la révérence de la fillette, et furent ravis quand celle-ci posa sa tête sur le coussin, en disant :


« Fauteuil de ma grand-mère, raconte-moi une histoire. »


« Écoutez donc, dit une voix claire sortant de sous le coussin, l’histoire de Dame Émeraude. »



Si vous voulez connaître la suite, elle est publiée ICI !




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