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Le corbeau, Edgar Poe

Ce long poème, publié en 1845, a peut-être pour sujet la plongée dans la folie...
... Traduction personnelle, inspirée de celle de Charles Baudelaire
... Illustrations de Gustave Doré

Texte et illustrations (sauf première et dernière) dans le domaine public.


Illustration de DreaDIllustrations, sur Deviant Art
DreaDIllustrations, sur Deviant Art


Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,

Over many a quaint and curious volume of forgotten lore,

While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,

As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.

« Tis some visitor, I muttered, tapping at my chamber door,

Only this and nothing more. »


Un soir lugubre, vers minuit, alors que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume traitant d’une doctrine oubliée ; alors que je penchais la tête, presque assoupi, il se fit soudain un tapotement, comme si quelqu’un frappait doucement, frappait à la porte de ma chambre.

« C’est quelque visiteur, murmurai-je ; ce n’est que cela, et rien de plus…. »


Le corbeau, Gustave Doré

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December ;

And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.

Eagerly I wished the morrow ; vainly I had sought to borrow

From my books surcease of sorrow, sorrow for the lost Lenore ;

For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore,

Nameless here for evermore.


Ah ! Je me souviens très bien de ce soir là ! C’était en décembre, un décembre glacial, et les tisons, en mourant, ombrageaient tour à tour le plancher du reflet de leur agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour cette précieuse et rayonnante jeune fille, que les anges désormais nomment Lénore, et qu’ici-bas, on ne nommera jamais plus.


Le corbeau, Gustave Doré

Le corbeau, Gustave Doré

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain

Thrilled me, filled me with fantastic terrors never felt before ;

So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating

« Tis some visitor entreating entrance at my chamber door,

Some late visitor entreating entrance at my chamber door ;

This it is and nothing more. »


Et le bruissement soyeux, triste et vague, des rideaux pourpres, m’emplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser les battements de mon cœur, je me dressai, répétant :

« C’est quelque visiteur qui frappe à ma porte, quelque visiteur attardé, c’est cela même, et rien de plus… »


Le corbeau, Gustave Doré

Presently my soul grew stronger ; hesitating then no longer,

« Sir, said I, or Madam, truly your forgiveness I implore ;

But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,

And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,

That I scarce was sure I heard you ». Here I opened wide the door ;

Darkness there and nothing more.


Puis mon âme se sentit plus forte. Sans hésiter, je dis : « Monsieur,… ou madame, en vérité, j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper à ma porte si doucement, si faiblement, qu’à peine vous ai-je entendu. » Et là, j’ouvris la porte toute grande : devant moi, il n’y avait que les ténèbres, et rien de plus !


Le corbeau, Gustave Doré

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,

Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before ;

But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,

And the only word there spoken was the whispered word : « Lenore ? »

This I whispered, and an echo murmured back the word: « Lenore ! »

Merely this and nothing more.


Scrutant ces ténèbres profondément, je me tins longtemps debout, empli d’étonnement, de crainte et de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver auparavant. Mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne fournit aucun indice. Le seul son fut un nom, proféré tout bas : « Lénore ? » C’était moi-même qui le chuchotai ; et un écho, à son tour, murmura « Lénore ! »

Simplement cela, et rien de plus.


Le corbeau, Gustave Doré

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,

Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.

« Surely, said I, surely that is something at my window lattice ;

Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore,

Let my heart be still a moment and this mystery explore ;

Tis the wind and nothing more ! »


Revenant dans ma chambre, toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un nouveau coup, un peu plus fort que le premier.

« Sûrement, dis-je, sûrement, quelque chose cogne aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; c’est certainement le vent, et rien de plus. »


Le corbeau, Gustave Doré

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,

In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore ;

Not the least obeisance made he ; not a minute stopped or stayed he ;

But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door,

Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door,

Perched, and sat, and nothing more.


Je repoussai alors d’un coup le volet : avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau des jours bénis de l’ancien temps.

Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, pas plus qu’il n’hésita un instant. Avec le maintien d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha là, et rien de plus.


Le corbeau, Gustave Doré

Le corbeau, Gustave Doré

Le corbeau, Gustave Doré

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,

By the grave and stern decorum of the countenance it wore,

« Though thy crest be shorn and shaven, thou, I said, art sure no craven,

Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore ;

Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore !

Quoth the Raven : — Nevermore. »


Alors je dis à cet oiseau d’ébène, souriant, malgré mon humeur morose, de la gravité de son maintien et de la sévérité comique de sa physionomie :

« Bien que ta tête, lui dis-je, soit dépourvue de huppe, tu ne peux être un poltron, un antique et lugubre corbeau voyageur, venu des rivages de la Nuit ! Dis-moi quel est ton auguste nom sur ces rivages, au royaume de Pluton ! »

Et le corbeau me répondit : « Jamais plus ! »


Le corbeau, Gustave Doré

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,

Though its answer little meaning, little relevancy bore ;

For we cannot help agreeing that no living human being

Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door,

Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,

With such name as : « Nevermore. »


Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile m’eût compris si aisément, bien que sa réponse n’eût pas grand sens, et ne me fût pas d’un grand secours. Car il faut convenir que jamais il ne fut donné à un homme au cours de sa vie, de voir un tel être au-dessus de la porte de sa chambre, oiseau ou bête, perché sur un buste au-dessus de sa porte, et portant le nom de « Jamais plus » !


But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only

That one word, as if his soul in that one word he did outpour.

Nothing farther then he uttered - not a feather then he fluttered -,

Till I scarcely more than muttered : « Other friends have flown before.

On the morrow he will leave me, as my hopes have flown before. »

Then the bird said « Nevermore. »


Mais le corbeau, perché solitaire sur le buste immobile, ne prononça que ce seul mot, comme si dans ce mot unique, il versait toute son âme. Il ne dit rien de plus ; il ne remua pas une plume, jusqu’à ce que je me laisse aller à murmurer tout bas : « D’autres de mes amis se sont déjà envolés ; au matin, lui aussi me quittera, comme mes anciennes espérances. » L’oiseau répondit alors : « Jamais plus ! »


Le corbeau, Gustave Doré

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken :

« Doubtless, said I, what it utters is its only stock and store

Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster

Followed fast and followed faster till his songs one burden bore,

Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore

Of « Never, nevermore ! »


Tressaillant au bruit de cette réponse, jetée avec tant d’à-propos, je pensai : « Sans doute, ce mot est tout son bagage, tout son savoir, pris chez quelque maître infortuné, que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment et sans répit, jusqu’à réduire ses ramages à un seul refrain, jusqu’à ce que le chant funèbre de son Espérance eût adopté ce mélancolique refrain : « Jamais, jamais plus ! »


But the Raven still beguiling all my fancy into smiling,

Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door ;

Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking

Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore,

What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore

Meant in croaking « Nevermore ! »


Mais, le corbeau, attirant irrésistiblement mon âme, prise du désir d’en sourire, je poussai un fauteuil confortable en face de l’oiseau, du buste et de la porte. Alors, m’enfonçant dans les coussins, je m’appliquai à réfléchir, cherchant ce que ce triste oiseau des jours d’antan, ce que ce disgracieux, sinistre, et décharné oiseau de mauvais augure, voulait faire entendre en croassant son « Jamais plus ! »


This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing

To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core ;

This and more I sat divining, with my head at ease reclining

On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,

But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er,

She shall press, ah, nevermore !


Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une parole à l’oiseau, dont le regard ardent me brûlait maintenant jusqu’au fond du cœur. Je réfléchissais, ma tête reposant à l’aise sur le coussin, dont la lumière de la lampe caressait le liseré de velours, ce même velours sur lequel sa tête à Elle, ne reposera jamais plus !


Le corbeau, Gustave Doré

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer

Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.

« Wretch, I cried, thy God hath lent thee, by these angels he hath sent thee

Respite, respite and nepenthe from thy memories of Lenore ;

Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore !»

Quoth the Raven : « Nevermore. »


Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible, que balançaient des séraphins, dont les pas tintaient sur le tapis de la chambre.

« Misérable ! m’écriai-je, c’est ton Dieu qui t’a envoyé. Par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit, et l’oubli de Lénore ! Bois cet oubli de tout ton saoul ! Oh, bois ! Et oublie cette Lénore perdue !

À cela, le corbeau répondit : « Jamais plus ! »


Le corbeau, Gustave Doré

« Prophet ! said I, thing of evil ! Prophet still, if bird or devil !

Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,

Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted,

On this home by Horror haunted, tell me truly, I implore :

Is there, is there balm in Gilead ? Tell me, tell me, I implore !

Quoth the Raven : — Nevermore. »


« Prophète ! dis-je, être maléfique ! Oiseau ou démon, que sais-je ? Mais prophète en tous cas ! Que tu sois un messager du Tentateur, ou un simple naufragé, jeté par la tempête sur ce rivage courageux bien qu’éprouvé, sur cette terre ensorcelée et déserte, dans ce logis hanté par l’Horreur, dis-moi sincèrement, je t’en supplie : existe-t-il, quelque part, un baume qui calme toutes les douleurs ? Réponds-moi, réponds-moi, je t’en supplie ! » Mais le corbeau dit : «Jamais plus ! »


« Prophet ! said I, thing of evil ! Prophet still, if bird or devil !

By that Heaven that bends above us, by that God we both adore,

Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,

It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore,

Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.

Quoth the Raven : — Nevermore. »


« Prophète ! dis-je, être maléfique ! Oiseau ou démon, que sais-je ? Au nom des cieux, tendus au-dessus de nos têtes, au nom du dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de chagrin, que dans un lointain Eden, elle pourra serrer contre son cœur une jeune fille sainte, que les anges nomment Lénore, une remarquable et rayonnante jeune fille, que désormais les anges nomment Lénore. » Mais le corbeau dit : « Jamais plus ! »


Le corbeau, Gustave Doré

« Be that word our sign of parting, bird or fiend ! I shrieked, upstarting,

Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore !

Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken !

Leave my loneliness unbroken ! Quit the bust above my door !

Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door ! »

Quoth the Raven : « Nevermore. »


« Sur cette parole, coupons-là ! hurlai-je, en sursautant. Retourne dans la tempête, sur les rivages de la Nuit, au royaume de Pluton ! Et ne laisse derrière toi, aucune de tes plumes noires, qui pourrait témoigner des mensonges que tu as proférés ! Rends-moi ma solitude inviolée ! Quitte ce buste, au-dessus de ma porte ! Retire ton bec de mon cœur et va t’en loin de ma porte ! »

Mais le corbeau répondit : « Jamais plus ! »


Le corbeau, Gustave Doré

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting

On the pallid bust of Pallas just above my chamber door ;

And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,

And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor ;

And my soul from out that shadow that lies floating on the floor

Shall be lifted… nevermore !


Depuis, le corbeau immobile, est toujours perché là, perché sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre. Ses yeux ont l’apparence de ceux d’un démon, divaguant dans ses rêves ; et la lumière de la lampe projette son ombre flottante sur le plancher de ma chambre ; et jamais mon âme ne pourra s’en échapper, s'échapper de cette ombre dansante, non jamais,...

jamais plus !



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