La Mi-Carême se situe au vingtième des quarante jours du jeûne qui précède Pâques, dans la religion chrétienne. Dans certaines régions, il était d'usage, lors de cette fête, d'offrir des friandises et des cadeaux aux enfants.
Illustration par un artiste nantais contemporain, Amaury
Venant d’Espagne ou de Bohème,
Au trot de son lent cheval blanc,
Passe, dans les villes de Brabant
Le Comte de la Mi-Carême.
Il va, là-haut, de toit en toit,
L’oreille au trou des cheminées,
Surprendre, avec sa haquenée,
Ce qu’on entend et ce qu’on voit
Dans les maisons, où les mioches
Autour des foyers d’or, l’hiver,
S’instruisent en des livres clairs,
Comme des gens de la basoche.
On l’aperçoit, les soirs de vent,
Par la lucarne à tabatière,
Longer les étroites gouttières.
Il vient et va, pousse en avant,
S’arrête, et puis revient encore ;
Son cheval suit tous les chemins
Qu’il lui suggère avec la main,
Et quand parfois, au loin, s’essorent
Ses hauts galops silencieux,
La sueur blanche et son écume
S’entremêlent, comme des plumes
Aux nuages montant aux cieux.
Où ne va-t-il ? Dieu seul le guide,
Sur l’échiquier géant des tours
Et des pignons des carrefours,
Par les grand’routes translucides.
Ceux qui ne l’ont pas aperçu,
Quand vers le soir sonnent les cloches,
C’est qu’ils eurent les yeux en poche.
Mais les enfants, eux tous, l’ont vu,
- Prince de rêve et de fortune -
Traversant l’air superbement,
Avec sa bête en diamant,
Et son manteau de clair de lune.
Son chef arbore un turban bleu
Comme le front d’un vieux roi-mage ;
C’est un géant sur les images
Qu’on vend dans les quartiers pouilleux
D’Hasselt, de Mol, d’Anvers, de Lierre ;
De sa main gauche, il tient des fouets
Et de sa droite, un lot de jouets
En bois léger, en carton-pierre.
Il en a plein trente paniers
Il en a plein vingt sacs de toile,
Et l’on prétend qu’en chaque étoile,
Il en a plein trois cents greniers.
Jouets plus clairs que feux d’aurore,
Jouets naïfs, dites combien !
Ce sont les bons anges gardiens
Qui les taillent et les décorent,
Peignant avec leurs menus doigts
L’or des manteaux, l’azur des robes ;
N’employant rien que couleurs probes,
Colle tenace et raide empois,
Et ciselant chaque clochette
Pour arlequins et pour pierrots,
Et pour chevaux qui vont au trot,
Immobiles, sur des planchettes.
Ainsi lesté, ainsi chargé,
S’en va d’un pas toujours le même,
Par les chemins des soirs légers,
Le Comte de la Mi-Carême.
Il va du Weert à Saint-Amand,
De Saint-Amand vers Rupelmonde,
Passe Tamise, passe Termonde,
Pour revenir vite en Brabant.
Et les jouets tombent comme grêle
Dans les foyers ouverts. Pourtant,
Nulle oreille ne les entend
Frôler les murs de leurs bruits frêles.
Mais ils sont là, au matin dit,
Comme tous ceux de l’autre année ;
Les vieux recoins des cheminées,
Superbement en sont garnis.
Dans le matin crépusculaire,
Les yeux aigus, les doigts errants,
On les recueille en adorant
On ne sait quoi de tutélaire ;
À moins que d’un regard furtif,
Dans l’ombre d’où elles émergent,
On ne découvre un lot de verges,
Pour les enfants qui sont rétifs.
Et c’est beau temps. Le printemps pâle
Sur les maisons et les vergers
Va disperser ses ors légers,
Et ses argents et ses opales ;
Et les petits s’en vont, là-bas,
Comme en cortège et en parade,
Montrer gaiement aux camarades
Les jouets nouveaux reçus par tas,
Tandis que les malins échangent
Tel faux pierrot, tel clown suspect
Sans tenir compte et sans respect
Du partage qu’ont fait les anges.
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