... extrait du Poème de la maison, 1929
La porte, par Carl Larsson
La porte tout le jour demeure ouverte, et laisse
Entrer paisiblement au cœur de la maison
La lumière du ciel et l’odeur des saisons.
Elle rit au lever du soleil qui la dore
Et bâille pour humer la fraîcheur de l’aurore ;
Elle a pour visiteurs les souffles du printemps
Et la rumeur des blés dans les mois éclatants.
Elle n’est point sévère aux mendiants qui passent
Et, comme aux temps anciens, chargés d’une besace,
Vont demandant leur pain, pour l’amour du bon Dieu :
Elle sait que ceux-là n’ont pas de mauvais yeux,
Qu’ils ne jetteront pas de sort sur les étables,
Et qu’on les fait asseoir quelquefois à la table.
Souvent même elle fait un accueil indulgent
Aux bêtes qui chez nous vivent avec les gens :
Les poules sur le seuil gloussent, grattent, picorent,
Cependant que le coq, impudent et sonore,
Brave le chien maussade et cherche son butin
Jusqu’aux pieds de la huche où l’on serre le pain,
Ô porte, prends garde à
Celle qui vient
Quand la lampe est morte,
Qui, sans bruit, sans faire aboyer le chien,
Sait ouvrir la porte !
Guette le chemin qui serpente et fuit
Sous les noirs ombrages,
Observe les champs, surveille la nuit,
Car la Mort voyage...
Car la Mort voyage et prend notre toit
Volontiers pour gîte,
Et cette étrangère au foyer s’assoit
Sans qu’on l’y invite.
Malheur aux maisons qui laissent entrer
Son ombre avec l’ombre !
Au retour de l’aube on verra pleurer
Leurs fenêtres sombres ;
Et le lendemain et le jour suivant,
Funèbrement closes,
Elles auront l’air de taire aux vivants
D’effroyables choses ;
Puis, lorsque les morts enfin s’en iront,
Les portes farouches,
Comme pour crier vers eux ouvriront,
Béante, leur bouche...
Veille, ô porte, afin que
Celle qui vient
Quand la lampe est morte
Ne surprenne, un soir, les âmes des tiens
Et ne les emporte !
... par Carl Larsson
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