... extrait du Poème de la maison, 1929
L'horloge, Edward Lamson Henry
Elle a l’air vaguement humaine
Avec sa face d’émail blanc,
Et sa robe couleur de chêne
Où bat son cœur rythmique et lent.
Elle habite un coin solitaire
Où l’araignée a son réduit,
Et fait son œuvre de mystère
Sans se hâter, le jour, la nuit…
Elle vit à l’écart, étrange
Et respectée ; on la défend
Du heurt des chaises qu’on dérange
Et des gambades des enfants,
L’horloge valétudinaire
Craint les caprices des saisons ;
Elle vibre aux coups de tonnerre,
Le vent lui donne le frisson.
Elle a peur du cahot des roues,
Des portes qu’on ferme trop fort ;
Les jours de pluie, elle s’enroue,
Et le gel des grands froids l’endort.
Un souffle, un rien la contrarie,
Souvent même, on ne sait pourquoi
S’arrête la fragile vie
Dont palpite son cœur de bois.
Elle sonne.
Le jour ne se lève qu’à peine
Et la maison se fait docile à cet appel ;
Les bêtes et les gens s’éveillent et reprennent
Le joug quotidien du labeur éternel :
Les bœufs, l’œil trouble encor de visions obscures,
Sont accouplés déjà dans la cour ; le bouvier
Ajuste le frontail et serre les liures,
Puis ils partent ; l’on voit leurs grands corps s’éloigner
Dans l’ombre des chemins obstrués de ramures.
Elle sonne, elle sonne...
Et, dans le jour grandi,
À son ordre, un à un, les travaux se déroulent ;
Les troupeaux vont aux champs quand l’horloge le dit,
Elle désigne l’heure où l’on lâche les poules.
On la consulte avant de rallumer le feu
Qui fait fumer le toit au fond du paysage.
Les hommes, à midi, rentrent quand elle veut,
Et sur un signe d’elle ils regagnent l’ouvrage ;
Et c’est soumis encor à son commandement
Qu’à la chute du jour, lorsque les ombres rampent,
Les laboureurs lassés reviennent lentement
Vers la douce maison où les attend la lampe,
Et qu’ils mangent avant que le sommeil divin
Les reprenne en sa bonne mort jusqu’à demain...
Tout dort. Rompus de lassitude,
Les hommes sont ensevelis
Entre leurs draps de toile rude,
Dans les ténèbres des grands lits,
Les troupeaux gisent près des crèches ;
Les bœufs, dans la paille affaissés,
Rêvent des prés, de l’herbe fraîche,
Et des sillons qu’ils ont tracés.
Le chien dort, et le coq sonore
Se tient muet sur son perchoir,
Car le jour n’est pas près d’éclore
Et le côté de l’aube est noir.
Le sommeil tient aussi les choses :
Les outils qui vivent dehors,
Les meubles que les murs enclosent
Et la maison même, tout dort.
Seule vivante en l’ombre immense,
L’horloge obscure ne dort pas,
Seule, dans l’anxieux silence,
Comme un pas lent mais jamais las,
Ou comme le pouls d’une artère,
Ou le battement d’un cœur sourd,
Elle fait son bruit solitaire,
Toujours, toujours, toujours, toujours.
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