Extrait du Poème de la Maison
Illustration de Philip Eustace Stretton, 1894
Quand les longues nuits recommencent,
Certains soirs de l’arrière-été,
Les champs gardent un tel silence
Qu’on les croirait inhabités.
Personne sur le seuil des portes ;
Pas une poule dans la cour :
La vieille maison semble morte
Et solitaire pour toujours.
Mais, lorsque à l’heure accoutumée,
Au lointain l’on commence à voir
S’élever, lente, la fumée
Qui s’échappe d’un toit, le soir,
On sait que la maison fidèle
Vit encore profondément,
Et qu’une âme demeure en elle
Et qu’elle garde un cœur aimant :
La fumée évoque la flamme
Dont son âtre va flamboyer,
Et la douce attente des femmes
Assises devant le foyer...
Et le pays se rassérène
À mesure qu’à l’horizon,
Haute, sinueuse et sereine,
Monte l’haleine des maisons.
Aussi quand les absents, le soir tombant, à l’heure
Où grandit le regret de ceux qu’on a perdus,
Veulent se souvenir de la vieille demeure
Qui les a toujours attendus ;
Mieux que ses murs aimés, et mieux que ses fenêtres
Lasses de regarder s’ils ne reviennent pas,
Mieux que la porte qui s’apprête à reconnaître
Le bruit familier de leurs pas ;
Avant tout, les absents qui s’attristent loin d’elle,
- Peut-être aussi les morts qui sont au pays noir -,
S’ils veulent évoquer la maison, se rappellent
Son toit qui fume dans le soir.
L’âtre aussi se souvient...
Il y a des années,
Par un soir de Toussaint brumeux et grelottant,
Tous ceux que la maison abritait en ce temps
Étaient venus s’asseoir devant la cheminée.
Tous ceux de la maison étaient là. Derrière eux,
La lampe n’étant pas allumée encor, l’ombre
Faisait de grands tas noirs autour des meubles sombres
Et sur les murs jouait, sournoise, avec le feu.
Parfois, quelque tison s’écroulant dans la cendre,
Le foyer demeurait un long moment éteint,
Et l’ombre enveloppait les groupes indistincts,
Et la nuit tout entiers avait l’air de les prendre.
Puis, des chenets la flamme à nouveau s’élevant,
Les nôtres reprenaient la forme de leur être.
On voyait leur visage et leurs mains reparaître
Et la couleur du feu luire en leurs yeux vivants.
Or, ils sont morts, ces yeux, voilà bien des années...
L’ombre a repris ces mains, ces visages, ces corps,
Et l’âtre, certains soirs, se rappelle ces morts
Qui ne s’assiéront plus devant la cheminée !
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