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    La Mort dit à l’homme, Anna de Noailles


    Illustration de Gustave Doré

    Illustration de Gustave Doré



    Voici que vous avez assez souffert, pauvre homme,

    Assez connu l’amour, le désir, le dégoût,

    L’âpreté du vouloir et la torpeur des sommes,

    L’orgueil d’être vivant et de pleurer debout…


    Que voulez-vous savoir qui soit plus délectable

    Que la douceur des jours que vous avez tenus,

    Quittez le temps, quittez la maison et la table ;

    Vous serez sans regret ni peur d’être venu.


    J’emplirai votre cœur, vos mains et votre bouche

    D’un repos si profond, si chaud et si pesant.

    Que le soleil, la pluie et l’orage farouche

    Ne réveilleront pas votre âme et votre sang.


    Pauvre âme, comme au jour où vous n’étiez pas née

    Vous serez pleine d’ombre et de plaisant oubli,

    D’autres iront alors par les rudes journées

    Pleurant aux creux des mains, des tombes et des lits.


    D’autres iront en proie au douloureux vertige

    Des profondes amours et du destin amer,

    Et vous serez alors la sève dans les tiges

    La rose du rosier et le sel de la mer.


    D’autres iront blessés de désir et de rêve

    Et leurs gestes feront de la douleur dans l’air,

    Mais vous ne saurez pas que le matin se lève

    Qu’il faut revivre encor, qu’il fait jour, qu’il fait clair.


    Ils iront retenant leur âme qui chancelle

    Et trébuchant ainsi qu’un homme pris de vin ;

    Et vous serez alors dans ma nuit éternelle,

    Dans ma calme maison, dans mon jardin divin.

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