... de Mary de Morgan,
extrait du recueil The Necklace of Princess Fiorimonde, titre original : The wanderings of Arasmon
… avec des illustrations d’Arthur Rackham
...traduit et adapté par Lucienne-Livres en Liberté-Texte sous licence Creative Commons CC-BY-NC-ND
Il était une fois, il y a longtemps de cela, un couple de musiciens ambulants, mari et femme, qui s’appelaient Arasmon et Chrysea. Arasmon jouait du luth, et Chrysea l’accompagnait en chantant. Leur musique était si belle qu’on se pressait en foules pour les écouter, et qu’on leur faisait cadeau en échange, de tout l’argent nécessaire à leurs besoins. Quand Arasmon jouait, les spectateurs faisaient silence, émerveillés ; mais quand Chrysea chantait, ils ne pouvaient s’empêcher de pleurer, car son chant était plus beau que tout ce qu’ils avaient entendu auparavant.
Tous deux étaient jeunes, profondément amoureux l’un de l’autre, et heureux de parcourir les chemins, découvrant des contrées et des usages nouveaux, tout en jouant de la belle musique. Ils se rendaient dans toutes sortes d’endroits, de très grandes cités, de tous petits villages, et des fermes isolées au bord de la mer. Ils traçaient leur route le long des sentiers, parcourant la verte campagne, jouant du luth et chantant d’une manière tellement délicieuse que les oiseaux eux-mêmes venaient se poser sur les arbres le long des chemins afin de les écouter.
Un jour, après avoir traversé une chaîne de collines sombres, ils pénétrèrent dans un pays de landes et de tourbières, dans lequel ils n’étaient jamais venus auparavant. Au pied des collines, se dressait un petit village, en direction duquel ils se dirigèrent immédiatement. Quand ils furent suffisamment proches, Chrysea dit :
« Quel endroit sinistre ! Regarde combien les maisons y sont noires et misérables !
— Tentons d’égayer un peu le tout avec de la musique ! » répondit Arasmon.
Il se mit à jouer, pendant que Chrysea commençait à chanter.
L’un après l’autre, les villageois sortirent de leurs maisons et se rassemblèrent pour les écouter. La jeune femme se dit qu’elle n’avait jamais vu tant de visages tristes et mélancoliques. Tous étaient maigres et courbés, le visage pâle et hagard. Les hardes dont ils étaient vêtus semblaient usées jusqu’à la corde, et étaient déchirées ou trouées par endroits. Cependant, ils se pressaient autour d’Arasmon et Chrysea, les priant de chanter encore et encore. Des larmes coulaient sur les joues des femmes, alors que les hommes, silencieux, se cachaient le visage au creux de leurs mains. Quand la musique s’arrêta, les spectateurs tâtèrent leurs poches, à la recherche de quelque menue monnaie. Arasmon les arrêta d’un geste :
« Non, mes amis. Gardez votre argent pour vos propres besoins. Si j’en juge par votre apparence, vous n’en avez pas de trop. Mais si vous acceptez de nous offrir un gîte pour la nuit, ainsi qu’un repas, nous nous considèrerons comme amplement payés, et jouerons pour vous encore si vous le désirez.
— Vous êtes les bienvenus ici ; restez aussi longtemps que vous voudrez » répondirent les villageois.
Et chacun de supplier pour être celui qui aurait l’honneur de les recevoir chez lui.
Arasmon et Chrysea jouèrent et chantèrent jusqu’à sentir la fatigue les gagner. Puis une pluie drue se mit à tomber. Ils gagnèrent les habitations du village, remontant le long de rues étroites, dont l’aspect était encore plus triste que celui de leurs habitants. Les maisons semblaient, pour certaines, souffrir de défauts de construction ; d’autres tombaient en ruines. Les chaussées pavées étaient mal entretenues. Dans les jardins, on n’apercevait pas la moindre fleur, mais des buissons de mauvaises herbes, noirâtres et humides Ils entrèrent dans une ferme qu’on leur indiqua. Arasmon s’installa près de la cheminée, conseillant à sa compagne de se reposer également, car leur journée avait été longue. Il s’endormit rapidement. Chrysea s’assit sur le seuil de la porte, afin de regarder passer les nuages bas et sombres qui filaient au-dessus des toits, plus sombres encore. Devant la maison, était accrochée une cage, dans laquelle un merle aux ailes tombantes et au maigre plumage, était enfermé. C’était le seul animal visible dans le village : il n’y avait ni chat, ni chien, ni aucun oiseau de compagnie.
En le voyant, Chrysea se tourna vers la propriétaire du logis, qui se trouvait derrière elle :
« Pourquoi ne le relâchez-vous pas ? Il serait bien plus heureux volant dans les rayons du soleil.
— Il n’y a jamais de soleil, ici, répondit la femme. Il ne pourrait pas percer l’épaisse brume qui entoure le village. Quant au bonheur, nous essayons de ne pas trop y penser : survivre nous occuper déjà suffisamment.
— Mais dites-moi, reprit Chrysea. Que se passe-t-il ici ? Pour quelle raison votre village est-il à ce point sinistre ? J’ai visité nombreux endroits, mais aucun comme celui-ci.
— Vous ne le savez pas ? Cet endroit est maudit : on nous a jeté un mauvais sort.
— Un mauvais sort !? s’écria Chrysea. Que voulez-vous dire ?
La femme montra du doigt la lande qui s’étendait au-delà du village.
— Là-bas, dit-elle, vit un terrible sorcier. C’est lui qui nous a envoûtés. Il a, à son service, un grand nombre de lutins maléfiques : ce sont eux qui ont fait de notre village ce que vous venez de voir. Vous ne pouvez pas imaginer combien c’est difficile de vivre ici ! Les lutins volent systématiquement les œufs de nos poules, le lait de nos vaches, et même nos poules elles-mêmes. Nous sommes à moitié morts de faim, car il n’y a jamais suffisamment à manger. Ils saccagent nos maisons et détruisent notre travail au fur et à mesure que nous l’accomplissons. Ils dérobent même nos épis de maïs alors qu’ils sont encore sur pieds, et ensuite, il n’y a plus rien pour nous à ramasser…
À cet endroit, la femme s’interrompit avec un long soupir.
— Mais, s’ils font véritablement tout cela, répondit Chrysea, pourquoi ne les chassez-vous pas de la lande ?
— Cela fait partie du maléfice : nous ne pouvons ni les voir, ni les entendre. J’ai entendu mon grand-père raconter qu’autrefois, nous étions un village comme les autres. Mais un jour, est venu un magicien, qui a offert aux habitants une forte somme en or pour que ceux-ci lui permettent de s’installer sur la lande, en tant que propriétaire. C’était alors un endroit agréable, recouvert de bruyères, où les villageois avaient l’habitude de danser, lors des fêtes. Mais l’attrait de l’or fut le plus fort : ils lui vendirent la lande. Et depuis ce jour, les lutins n’ont cessé de nous tourmenter.
— Tout cela est bien triste, répondit Chrysea. Savez-vous précisément quel mauvais sort a été jeté sur vous ?
— C’est une chanson, répondit la femme. Nous savons qu’ils la chantent à nouveau chaque soir. Il paraît qu’elle dit que si quelqu’un était capable de les rejoindre sur la lande, entre minuit et le lever du jour, et de chanter exactement le même air qu’eux, le charme serait rompu, et nous serions libres. Mais il faut que ce soit quelqu’un qui n’ai jamais reçu d’argent de leur part. Aussi, il nous est impossible de le faire…
— Mais moi je le peux ! dit Chrysea. Je n’ai jamais accepté d’argent d’eux, et il n’y a aucun air de musique que je ne sois capable de chanter après l’avoir entendu même une seule une fois. Je vais aller sur la lande, et rompre le sortilège.
— Non ! s’écria la femme. Ne faites surtout pas une chose pareille ! Les lutins sont beaucoup plus méchants que vous ne le pensez. Qui sait le mal qu’ils pourraient vous faire, même si vous parveniez à briser le mauvais sort ? »
Chrysea se tut, mais toute la soirée elle continua à penser à ce que la femme lui avait dit, le regard fixé sur la morne rue. Quand elle se coucha, elle ne dormit pas, mais resta immobile jusqu’à ce que l’horloge sonnât une heure. Puis elle se leva doucement, jeta une cape sur ses épaules, ouvrit la porte et sortit sous la pluie. En passant, elle leva les yeux et vit le merle recroquevillé au fond de sa cage. Elle ouvrit la porte pour qu’il puisse s’envoler, mais il ne bougeait toujours pas. Alors elle le souleva dans sa main :
« Pauvre oiseau ! dit-elle doucement. Je voudrais pouvoir donner à ce village sa liberté, aussi facilement que je peux te donner la tienne. » Et le portant dans le creux de sa main, elle se dirigea vers la lande.
C’était un grand terrain vague ; on aurait dit qu’il avait été brûlé, car le sol y était carbonisé et noir. Il n’y avait ni herbe, ni plante qui y poussait, mais seulement quelques souches d’arbres noircies. Chrysea se dirigea vers l’une d’elles, et se cacha derrière pour attendre et voir ce qui allait se passer. Elle observa longtemps sans voir personne, mais enfin une vive lueur s’éleva du sol, non loin d’elle, qui s’étendit encore et encore, jusqu’à devenir un grand cercle de lumière, au milieu duquel elle vit de petites figures sombres se déplacer, ressemblant à d’affreux petits hommes.
La lumière était maintenant si brillante qu’elle pouvait distinguer chacun d’eux très clairement. Jamais auparavant elle n’avait vu quelque chose d’aussi laid : ils étaient noirs comme de l’encre, et leurs visages étaient tordus, avec un air cruel et méchant.
Ils joignirent les mains et, formant un cercle, dansèrent lentement en rond. Pendant qu’ils tournaient, le sol s’entrouvrit, et il s’éleva au milieu d’eux un minuscule village, ressemblant en tous points au village ensorcelé, sauf que les maisons n’étaient hautes que de quelques pouces. Autour de celui-ci, les elfes dansèrent, puis se mirent à chanter. Chrysea écouta avidement leur chant, et à peine eurent-ils terminé, qu’elle ouvrit ses lèvres et chanta le même air du début à la fin, comme elle l’avait entendu. Au son de sa voix, qui résonna haut et fort, le petit village s’écroula et tomba comme s’il avait été fait de poussière.
Les lutins restèrent silencieux un moment, puis avec un cri sauvage, ils se précipitèrent tous vers Chrysea, et à leur tête elle vit un elfe environ trois fois plus grand que les autres, qui semblait être leur chef.
« Venez, vite, punissons la femme qui a osé nous défier ! s’écria-t-il. En quoi allons-nous la changer ?
— Une grenouille, pour qu’elle coasse par terre, s’écria l’un d’eux.
— Non, une chouette qui hulule dans la nuit, cria un autre.
— Oh, par pitié, implora Chrysea, ne me changez pas en une de ces détestables créatures, car sinon, lorsqu’Arasmon me trouvera, il me rejettera.
— Écoutons-la, s’écria le chef. Faisons ce qu’elle nous demande : ne la transformons ni en oiseau ni en bête, mais en une belle harpe d’or ! Elle n’aura qu’à rester dans cet état jusqu’à ce que quelqu’un joue sur ses cordes notre air, celui qu’elle a osé chanter.
— Bonne idée ! » s’écrièrent les autres.
Et tous se mirent à danser autour de Chrysea, et à chanter comme ils l’avaient fait autour du village. Elle poussa un cri strident et essaya de s’enfuir, mais ils la bloquèrent de tous côtés. Elle hurlait : « Arasmon ! Arasmon ! », mais personne ne vint. Quand la chanson des elfes fut terminée, et qu’ils eurent disparu, il ne resta qu’une petite harpe en or accrochée aux branches de l’arbre, et seul le merle qui était posé au-dessus savait ce qu’était devenue la pauvre Chrysea.
Lorsque le matin se leva et que les villageois se réveillèrent, tous sentirent qu’un grand changement venait de se produire. Le lourd nuage qui planait au-dessus du village s’était dissipé ; le soleil brillait et le ciel était bleu ; les ruisseaux qui avaient été asséchés pendant des années, coulaient clairs et frais ; les gens se sentaient tous forts et capables de travailler à nouveau ; les arbres commençaient à bourgeonner, et dans leurs branches gazouillaient des oiseaux dont on n’avait pas entendu la voix depuis de longues années. Les villageois se regardaient les uns les autres et disaient : « Le sort est sûrement rompu, les lutins malfaisants ont dû s’enfuir. » Et ils pleuraient de joie.
Arasmon s’éveilla lui aussi. Constatant que Chrysea n’était pas à ses côtés, il se leva et partit à sa recherche en criant : « Chrysea, Chrysea ! Le soleil est levé, et nous devons poursuivre notre route. » Mais aucune Chrysea ne répondit. Alors il parcourut toutes les rues l’une après l’autre, en l’appelant : « Chrysea ! Où-es-tu ? Chrysea ! » Mais aucune Chrysea ne vint à lui. Il se dit alors : « Bon, elle a du aller dans les champs cueillir des fleurs sauvages, et sera bientôt de retour. » Il l’attendit donc patiemment. Mais quand le soleil fut haut dans le ciel, et les villageois partis à leur travail, elle n’était toujours pas revenue. Arasmon prit peur. Il demanda à tous ceux qu’il rencontrait s’ils l’avaient aperçue, mais tous secouaient la tête en répondant : « Non, nous ne l’avons pas vue. »
Il prit alors la décision de réunir quelques hommes, et leur dit que sa femme s’était égarée, et qu’il craignait qu’elle ne se fût perdue. Il leur demanda de l’aider à la chercher. Certains partirent dans une direction, d’autres dans une autre. Arasmon lui-même marcha pendant des kilomètres, appelant « Chrysea ! Chrysea ! » Mais aucune réponse ne lui parvint.
Le soleil commençait à se coucher et l’obscurité à recouvrir la terre, quand Arasmon arriva sur la lande où Chrysea avait rencontré son destin. Là aussi, tout avait changé. De l’herbe et des fleurs commençaient déjà à repousser, et les enfants du village, qui jusqu’à présent n’avaient jamais osé s’en approcher, étaient venus y jouer. Arasmon entendit leurs rires lorsqu’il s’approcha de l’arbre derrière lequel Chrysea s’était cachée, et auquel était désormais suspendue la harpe d’or. Dans les branches les plus hautes, le merle gazouillait. Arasmon s’arrêta pour l’écouter, et pensa qu’il n’avait jamais entendu un oiseau chanter si joliment auparavant. Car l’oiseau chantait le refrain magique par lequel Chrysea avait rompu le mauvais sort jeté par les lutins, le premier air qu’il avait entendu depuis qu’il avait recouvré sa liberté.
« Gentil merle, dit Arasmon en levant les yeux vers lui, j’aimerais que ton chant puisse me dire où trouver mon épouse, Chrysea. »
C’est alors que son regard se posa sur la harpe d’or suspendue dans l’arbre. Il la saisit et promena ses doigts sur les cordes, comme pour en jouer. Jamais une harpe n’avait produit une musique aussi merveilleuse. Cela faisait penser à une voix de femme, et c’était très beau, mais si triste que lorsqu’Arasmon l’entendit, il eut envie de pleurer. La harpe semblait appeler à l’aide, mais il ne pouvait pas comprendre ce qu’elle disait, bien qu’à chaque fois qu’il touchait les cordes, elle gémissait :
« Arasmon, Arasmon, je suis là ! C’est moi, Chrysea ! » Mais Arasmon avait beau écouter, et s’étonner de ses sonorités, il ne savait pas ce qu’elle disait.
Il l’examina attentivement. C’était une belle petite harpe, faite d’or pur, et à son sommet, était sculptée deux mains enlacées.
« Je vais la conserver, se dit Arasmon, car je n’ai encore jamais entendu une harpe produisant d’aussi beaux sons. Quand Chrysea reviendra, elle pourra l’utiliser pour s’accompagner en chantant. »
Mais la jeune femme restait introuvable. En fin de compte, les villageois déclarèrent qu’elle devait être morte, ou alors qu’elle était partie de son plein gré, et qu’il était vain de s’obstiner à la chercher. Arasmon s’irrita, déclarant qu’il la chercherait tout le restant de sa vie. Il quitta le village, décidé à parcourir le monde entier jusqu’à ce qu’il la retrouve. Il partit à pied, emportant avec lui la harpe d’or.
Il voyagea longtemps, parcourant de très longues distances, s’éloignant de plus en plus du village et de la lande. Lorsqu’il arrivait dans une ferme, ou qu’il rencontrait en route des gens de la campagne, il se mettait à jouer, et tout le monde se pressait autour de lui, écoutant bouche bée, sa merveilleuse musique. Quand il avait fini, il leur demandait toujours : « Avez-vous vu ma femme, Chrysea ? Elle est vêtue de blanc et d’or, et son chant est plus beau que celui des oiseaux du ciel. » Mais tous secouaient la tête et répondaient : « Non, nous ne l’avons pas vue. » Et chaque fois qu’il arrivait dans un village inconnu, où il n’était jamais allé, il appelait : « Chrysea, Chrysea ! Es-tu là ? » Mais aucune Chrysea ne répondait jamais ; seule la harpe qu’il tenait dans ses mains gémissait à chaque fois qu’il touchait ses cordes : « C’est moi, Arasmon ! Je suis là ! » Mais bien qu’il ait pensé que ces notes de musique ressemblaient à la voix de Chrysea, jamais il ne comprit ce qu’elles voulaient lui dire.
Il erra pendant des jours, des mois et des années, à travers des pays et des villages qu’il n’avait jamais visités auparavant. Lorsque la nuit tombait, et qu’il se retrouvait seul dans les champs, il se couchait sur son manteau et dormait, la tête posée sur la harpe. Si par hasard le vent frôlait un de ses fils d’or, elle criait : « Arasmon, réveille-toi, je suis là ! » Puis il rêvait que Chrysea l’appelait ; il se réveillait et se levait pour la chercher, pensant qu’elle devait être proche.
Un soir, alors que la nuit tombait et qu’il avait beaucoup marché, il arriva à un petit village situé sur une côte rocheuse et isolée, au bord de la mer. Il découvrit qu’un épais brouillard s’était levé et planait sur le village, de sorte qu’il pouvait à peine voir le chemin devant ses pas. Sur la plage, se tenaient un certain nombre de pêcheuses, qui paraissaient anxieuses, en train d’observer la brune qui recouvrait la mer.
« Qu’est-ce qui ne va pas, et pour qui veillez-vous, bonnes gens ? leur demanda-t-il.
— Nous guettons nos maris, répondit l’une d’elles. Ils sont partis pêcher au petit matin, quand il faisait encore très clair, et puis il y a eu ce terrible brouillard, et ils auraient dû revenir depuis longtemps. Nous craignons qu’ils ne se perdent dans l’obscurité, qu’ils ne se heurtent à un rocher et qu’ils ne se noient.
— Moi aussi, j’ai perdu ma femme Chrysea, s’écria Arasmon. Est-elle passée par ici ? Elle avait de longs cheveux d’or, sa robe était blanche et dorée, et elle chantait d’une voix d’ange.
Les femmes répondirent toutes :
— Non, nous ne l’avons pas vue. »
Elles tendaient le regard vers la mer, et Arasmon se mit lui aussi à guetter le retour des bateaux. À chaque instant, l’obscurité devenait plus épaisse.
Alors Arasmon prit sa harpe et se mit à jouer. Sa musique flottait sur l’eau, à des kilomètres à la ronde, mais les femmes pleuraient tellement leurs maris, qu’elles n’y prêtèrent pas attention.
« Il est inutile d’attendre, dit l’une d’elles. Ils ne peuvent pas diriger leurs bateaux dans une telle obscurité. Nous ne les verrons plus jamais.
— Je resterai ici jusqu’au matin, dit une autre, et toute la journée de demain, et la nuit suivante, jusqu’à ce que je voie un signe des bateaux, et que je sache s’ils sont vivants ou morts. »
Mais comme elle cessait de parler, il y eut un cri : « Les voilà ! », et deux ou trois bateaux de pêche furent poussés sur le sable, près de l’endroit où ils se tenaient. Les femmes jetèrent leurs bras autour du cou de leurs maris, et tous crièrent de joie.
Les pêcheurs demandèrent qui avait joué de la harpe.
« Car, dirent-ils, c’est ce qui nous a sauvés. Nous étions loin de la terre, et il faisait si sombre que nous ne pouvions pas dire si nous devions aller à gauche ou à droite, et nous n’avions aucun signe pour nous guider vers le rivage. Quand tout à coup, nous avons entendu cette magnifique musique. Nous avons suivi le son, et nous sommes arrivés en toute sécurité.
— C’est ce bon joueur de harpe qui a joué pour nous » dirent les femmes.
Et toutes se tournèrent vers Arasmon avec des larmes de gratitude. Elles lui demandèrent ce qu’elles pouvaient faire pour lui, ou ce qu’elles pouvaient lui donner en témoignage de leur reconnaissance. Mais Arasmon secoua la tête et dit :
« Vous ne pouvez rien faire pour moi, à moins que vous ne puissiez me dire où chercher ma femme Chrysea. C’est pour la retrouver que j’erre. »
Et lorsque les femmes secouèrent la tête et répétèrent qu’elles ne savaient rien d’elle, les cordes de la harpe, lorsqu’il les toucha, s’écrièrent à nouveau : « Arasmon ! Arasmon ! Écoute-moi. C’est moi, Chrysea ! » Mais une fois de plus, personne ne comprit, bien que tous aient pitié de lui.
Arasmon reprit sa route. Il passa par de nombreux endroits étonnants, et rencontra de nombreuses personnes étranges, mais il ne trouva aucune trace de Chrysea. Chaque jour, il semblait plus vieux, plus triste et plus maigre.
Il arriva enfin dans un pays dont le roi n’aimait rien sur terre autant que la musique. Il en était si friand qu’il avait des musiciens et des chanteurs par dizaines, vivant toujours dans son palais, et il n’y avait pas moyen de lui faire plaisir autrement qu’en lui envoyant un nouveau musicien ou chanteur. Ainsi, lorsqu’Arasmon arriva dans le pays, et que les gens entendirent à quel point il jouait merveilleusement, ils dirent aussitôt : « Conduisons-le au roi. Le pauvre homme est fou. Écoutez comment il réclame sa femme ! Mais, fou ou pas, son jeu ravira le roi. Conduisons-le tout de suite au palais. » Alors, bien qu’Arasmon ait voulu leur résister, ils l’emmenèrent à la Cour et envoyèrent un messager au roi pour lui faire savoir qu’ils avaient trouvé un pauvre harpiste errant et fou, qui jouait une musique comme on n’en avait jamais entendu auparavant.
Le roi et la reine, et toute la cour, étaient assis en train de festoyer quand arriva le messager.
« Un nouveau joueur de harpe ! dit le monarque. C’est une bonne nouvelle. Qu’on l’amène ici pour qu’il joue devant nous immédiatement ! »
Arasmon fut donc conduit jusqu’aux trônes d’or, sur lesquels était assis le couple royal. C’était une salle merveilleuse, faite d’or et d’argent, de cristal et d’ivoire, et les courtisans, vêtus de bleu et de vert, d’or et de diamants, faisaient plaisir à voir. Derrière le trône, se trouvaient douze jeunes filles vêtues de blanc pur, qui chantaient d’une manière très douce, et derrière elles se trouvaient les musiciens qui les accompagnaient sur toutes sortes d’instruments. Arasmon n’avait jamais vu de sa vie un spectacle aussi splendide.
« Approche ! lui cria le roi. Et laisse-nous t’entendre jouer. »
Les chanteurs se turent, et les musiciens sourirent avec mépris, car ils ne pouvaient croire que la musique d’Arasmon pût égaler la leur. Car son aspect était des plus déplorables. Il avait marché loin, et était recouvert de la poussière des routes. Ses vêtements étaient usés jusqu’à la corde, tachés et souillés, tandis que son visage était si maigre, anxieux et triste, qu’il faisait pitié à voir. Mais sa harpe d’or, pure et brillante, restait intacte et non ternie.
Il commença à jouer, et alors tous les sourires cessèrent ; les femmes se mirent à pleurer ; les hommes s’assirent et le regardèrent avec étonnement. Quand il eut fini, le roi se leva et, lui jetant ses bras autour du cou, s’écria :
« Reste avec moi. Tu seras mon chef musicien, et je te donnerai tout ce que tu voudras.
Mais quand il entendit cela, Arasmon mit un genou à terre et dit :
— Mon gracieux seigneur, je ne peux pas rester. J’ai perdu ma femme Chrysea. Je dois chercher dans le monde entier jusqu’à ce que je la retrouve. Ah, qu’elle était belle et qu’elle chantait avec douceur ! Son chant était bien plus doux que la musique de ma harpe.
— En effet ? s’écria le Roi. Alors moi, aussi je voudrais l’entendre ! Restez auprès de moi, et j’enverrai à sa recherche des messagers dans le monde entier. Ils la trouveront bien avant toi. »
Arasmon resta donc à la Cour. Le roi donna l’ordre de le vêtir des plus beaux habits, et de lui donner tout ce qu’il pourrait désirer. Il ne voulait plus entendre d’autre musique que celle d’Arasmon, de sorte que tous les autres musiciens étaient jaloux, et souhaitaient qu’il ne soit jamais venu au palais. Ils s’irritèrent de plus en plus contre Arasmon, jusqu’à ce qu’enfin ils finirent par le haïr. Ils disaient :
« Qui est-il, pour que notre roi l’aime et l’honore plus que nous ? Après tout, ce n’est pas son jeu qui est si beau, c’est surtout la harpe sur laquelle il joue, et si on la lui enlevait, il ne vaudrait pas mieux que nous ! »
Ils commencèrent à se concerter pour savoir comment voler sa harpe.
Par une chaude soirée d’été, Arasmon se rendit dans les jardins du palais et s’assit pour se reposer sous un grand hêtre, lorsqu’il aperçut à peu de distance deux courtisans qui discutaient ensemble. Il entendit qu’ils parlaient de lui, bien qu’ils ne le vissent pas et ne sachent pas qu’il était là.
« Le pauvre vieux est fou, disait l’un d’eux, il n’y a guère de doute à ce sujet. Mais, fou ou non, tant qu’il jouera de la harpe, le roi n’écoutera personne d’autre.
— Le seul moyen est de lui soutirer sa harpe, disait l’autre. Mais il est difficile de savoir comment la lui enlever, car il ne s’en sépare jamais.
— Nous devons la lui prendre pendant qu’il dort, dit le premier.
— Certainement » répondit l’autre.
Puis Arasmon les entendit régler comment et quand, ils s’introduiraient dans sa chambre la nuit pour voler sa harpe. Il resta assis jusqu’à ce qu’ils soient partis, puis il se leva et, la saisissant tendrement, se détourna du palais et s’éloigna par les portes du jardin.
« J’ai perdu Chrysea, dit-il, et maintenant ils veulent me prendre même ma harpe, la seule chose que j’ai à aimer dans tout ce monde. Je vais m’en aller, très loin, là où ils ne me trouveront jamais. »
Quand il fut hors de vue, il se mit à courir de toutes ses forces, et ne se reposa pas avant d’être loin sur une colline solitaire, sans personne près de lui pour le voir. Les étoiles commençaient à briller, mais il ne faisait pas encore nuit. Arasmon s’assit sur une pierre, et contempla le pays. Il entendait les cloches des moutons tinter autour de lui, et au loin, très loin, il pouvait voir la ville et le palais qu’il venait de quitter.
Puis il commença à jouer de sa harpe et, tandis qu’il jouait, les moutons cessèrent de brouter et s’approchèrent de lui pour l’écouter. Les étoiles devenaient plus brillantes et le soir plus sombre. Il vit une femme portant un enfant qui montait la colline.
Elle avait l’air pâle et fatigué, mais son visage était très heureux alors qu’elle s’asseyait non loin d’Arasmon et l’écoutait jouer, tandis qu’elle regardait avidement à travers la colline comme si elle guettait quelqu’un qui arrivait. Tout à coup, elle se retourna et dit :
« Vous jouez magnifiquement ; je n’ai jamais entendu une telle musique auparavant, mais pourquoi avez-vous l’air si triste ? Etes-vous malheureux ?
— Oui, répondit Arasmon. J’ai perdu ma femme Chrysea, il y a de nombreuses années, et maintenant je ne sais pas où elle peut être.
— Moi cela fait un an que je n’ai pas vu mon mari, répondit la femme. Il est parti à la guerre il y a un an ; mais maintenant il y a la paix, et il revient. Ce soir, il traversera cette colline. C’est juste à cet endroit que nous nous sommes séparés, et maintenant je suis venue le retrouver.
— Comme vous devez être heureuse ! dit Arasmon. Je ne reverrai jamais Chrysea. »
Et tout en parlant, il frappa un accord sur la harpe, qui gémit : « Ô Arasmon, mon époux ! Pourquoi ne me reconnais-tu pas ? C’est moi, Chrysea ! »
« Ne dites pas cela, continua la femme. Vous la retrouverez un jour ou l’autre. Pourquoi êtes-vous assis ici ? Est-ce ici que vous vous êtes séparés ? »
Alors Arasmon lui raconta qu’ils étaient allés dans un étrange village désolé, et s’y étaient reposés pour la nuit, qu’au matin, Chrysea n’était plus là, et qu’il avait erré dans le monde entier à sa recherche depuis lors.
« Je pense que vous êtes fou, dit la femme. Peut-être que tout simplement votre femme vous a attendu dans ce village pendant tout ce temps. Si j’étais vous, je retournerais à l’endroit où je l’ai quittée, et j’attendrais qu’elle revienne. Comment pourrais-je retrouver mon mari, si je ne viens pas à l’endroit où nous avons été ensemble pour la dernière fois ? Nous pourrions tous deux errer pour toujours sans jamais nous croiser. Ah ! Le voici qui arrive ! »
Elle poussa un cri de joie et courut à la rencontre d’un soldat qui montait la colline. Arasmon les regarda se rencontrer et s’embrasser, et vit le père soulever l’enfant dans ses bras. Puis les trois s’éloignèrent ensemble sur la colline. Quand il les eut perdus de vue, il s’assit et pleura amèrement.
« Qu’est-ce qu’elle a dit ? murmura-t-il. Que je devais retourner à l’endroit où nous nous sommes séparés. Elle ne sera pas là, mais j’irai mourir à l’endroit où je l’ai vue pour la dernière fois. »
Il saisit à nouveau sa harpe et se mit en route. Il voyagea des jours et des semaines, sur terre et sur mer, jusqu’à ce qu’un jour, tard dans la nuit, il aperçoive la colline sur laquelle se trouvait le petit village. Au début, il n’arrivait pas à croire qu’il était arrivé au bon endroit, tant tout semblait changé. Il s’arrêta et regarda autour de lui avec étonnement. Il se tenait dans une ruelle ombragée, les feuillages des arbres en arc de cercle se mêlaient au-dessus de sa tête. Les berges étaient pleines de fleurs printanières, et de chaque côté de la haie, se trouvaient des champs remplis de jeunes maïs verts.
« Est-ce là le misérable chemin nu sur lequel nous avons marché ensemble ? » Quand il entra dans le village, le changement semblait encore plus grand. Il y avait beaucoup plus de cottages, et ils étaient soignés et bien entretenus, situés au milieu de jardins fleuris. Il entendit les voix joyeuses des paysans, et les rires des enfants du village. L’endroit entier semblait être plein de vie et de bonheur. Il s’arrêta à nouveau sur le monticule où lui et Chrysea avaient joué et chanté pour la première fois.
« Cela fait très, très longtemps que je ne suis pas venu ici, se dit-il. Le temps a étrangement changé toutes choses. Mais il serait difficile de dire qui est le plus changé, ce village ou moi, car il était alors plongé dans la pauvreté et la misère, et maintenant il a gagné le bonheur et la richesse. Alors que moi, qui étais si heureux, je suis maintenant brisé et usé. J’ai perdu ma seule richesse, ma femme Chrysea. C’était juste ici qu’elle se tenait et chantait, et maintenant je ne la verrai plus jamais.
Une jeune fille conduisant des vaches passa devant lui ; il se retourna et lui adressa la parole.
— Dites-moi, je vous en prie, dit-il, votre village n’a-t-il pas beaucoup changé ces dernières années ? J’étais ici il y a longtemps, mais je ne peux pas penser que c’est le même endroit, car c’est la ville la plus brillante et la plus florissante que j’aie jamais vue, et je me souviens seulement d’un village morne et délabré, où l’herbe ne poussait jamais.
— Oh ! dit la jeune fille, alors c’est que vous étiez ici à notre mauvaise époque. Nous n’aimons pas en parler maintenant, de peur que nos problèmes ne reviennent. Les anciens disent que nous étions ensorcelés. C’était il y a si longtemps, que j’ai du mal à m’en souvenir, car je n’étais alors qu’une petite fille. Mais un musicien errant et sa femme nous ont libérés ; du moins, tout a commencé à s’arranger après leur arrivée, et maintenant nous pensons qu’ils devaient être des anges du ciel, car le lendemain ils sont partis, et nous ne les avons jamais revus.
— C’était moi et ma femme Chrysea ! s’écria Arasmon. L’avez-vous revue ? Est-elle venue ici ? J’ai cherché dans le monde entier depuis lors, mais je ne l’ai pas trouvée, et maintenant je crains qu’elle ne soit morte.
La jeune fille le dévisagea avec surprise.
— Vous ? Pauvre vieil homme ! De quoi parlez-vous ? Vous devez sûrement être fou pour dire de telles choses. Ces musiciens-là étaient les plus belles personnes sur terre. Ils étaient jeunes et vêtus de blanc et d’or, et vous êtes vieux, gris et en haillons. Vous êtes sûrement très malade aussi, car vous semblez si faible que vous pouvez à peine marcher. Venez à la maison avec moi, et je vous donnerai de la nourriture et du repos jusqu’à ce vous alliez mieux.
Arasmon secoua la tête.
— Je cherche Chrysea, dit-il, et je ne me reposerai pas avant de l’avoir retrouvée. »
La jeune fille, voyant qu’il était déterminé, le laissa seul et reprit son chemin en poussant ses vaches devant elle. Quand elle fut partie, Arasmon s’assit au bord du chemin et pleura comme si son cœur allait se briser.
« Ce n’est que trop vrai. Je suis si vieux et si usé que lorsque je la retrouverai, elle, de son côté, ne me reconnaîtra pas !
Et tandis qu’il se remettait à pleurer, sa main frappa les cordes de la harpe, qui s’écrièrent :
— Je t’ai observé pendant toutes ces années, mon Arasmon. Réconforte-toi, je suis tout près de toi ! »
Et ses larmes cessèrent, apaisées par le son de la harpe, bien qu’il ne sût pas bien pourquoi. Il se leva.
« Je vais aller sur la lande, et chercher l’arbre sur lequel j’ai trouvé ma harpe. Ce sera ma dernière demeure, car mes forces ne me porteront pas plus loin. »
Quand il arriva sur la lande, il s’étonna encore du changement qu’il y découvrit. Il se souvenait d’un terrain calciné et noirci, et maintenant, il se trouvait entouré d’ajoncs dorés, et de bruyère pourpre, si épaisse qu’il pouvait à peine s’y frayer un chemin.
« C’est un endroit magnifique maintenant, se dit-il. Mais je le préférais il y a des années, aussi désert et désolé qu’il fût, car ma Chrysea était ici. »
Il y avait tant d’arbres sur le terrain communal, qu’il ne pouvait pas dire lequel était celui auquel sa harpe avait été suspendue. Mais, incapable d’aller plus loin, il tituba et se coucha sous un grand chêne, dans les branches duquel un merle chantait très doucement. Le soleil se couchait comme autrefois, lors du jour où il avait trouvé sa harpe, et la plupart des oiseaux avaient rejoint leurs nids. Mais cet oiseau-là chantait encore, doucement et clairement. Arasmon, bien que fatigué et faible, leva la tête et écouta.
« Je n’ai jamais entendu un oiseau chanter comme ça, a-t-il dit. Quel est cet air ? Je vais le jouer sur ma harpe avant de mourir. »
Et, avec ce qui lui restait de force, il tendit sa main tremblante. Saisissant sa harpe, il y frappa les notes du chant de l’oiseau, puis il retomba épuisé, et ses yeux se fermèrent.
Aussitôt, la harpe glissa de sa main. Chrysea se tenait devant lui, Chrysea vêtue comme autrefois, de blanc et d’or, ses longs cheveux dénoués.
« Arasmon, cria-t-elle, regarde, c’est moi, Chrysea ! »
Mais Arasmon ne bougea pas. Alors, elle éleva la voix et chanta plus doucement que l’oiseau au-dessus de sa tête. Arasmon ouvrit les yeux et la regarda.
« Chrysea ! Je t’ai retrouvée enfin ! » Il inclina doucement la tête, et mourut. Quand Chrysea vit cela, son cœur se brisa. Elle s’allongea à côté de lui et expira sans un mot.
Au matin, lorsque des villageois traversèrent le terrain communal, ils virent Arasmon et Chrysea couchés sous le chêne dans les bras l’un de l’autre. Ils s’approchèrent, pensant qu’ils dormaient, mais lorsqu’ils virent leurs visages, ils surent qu’ils étaient morts.
Alors un vieil homme se baissa et dit :
« C’est certainement la femme qui était venue au village, et qui a chanté, il y a longtemps, quand nous étions dans nos difficultés. À côté d’elle, et bien qu’il soit tristement changé et vieilli, il me semble que c’est son mari. C’est lui qui l’accompagnait.
La fille qui conduisait les vaches s’approcha. Elle leur raconta comment elle avait rencontré Arasmon.
« Il m’a dit qu’il avait cherché sa femme partout. Je suis heureuse qu’il l’ait enfin trouvée.
— Si nous avions su que c’était lui, dirent-ils tous, comme nous l’aurions salué ! Mais voyez, il a l’air tout à fait content. C’est comme si ces deux là ne souhaitaient rien d’autre, en fin de compte, que d’être réunis. »
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