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Va je ne sais où me chercher je ne sais quoi.

Conte traditionnel russe

… avec des illustrations d’Alexander Lindberg


En ce qui concerne les illustrations du conte, seule la couverture est dans le domaine public.

Le texte n'est pas libre de droits, mais l'origine de la traduction en français est indéterminée.


Va je ne sais où me chercher je ne sais quoi Conte russe Yvan Bilibine

Dessin de couverture par Yvan Bilibine



Il était une fois un tsar célibataire qui avait, parmi ses serviteurs, un chasseur du nom d’André. Un soir que celui-ci rentrait bredouille après une longue journée de chasse, il aperçut soudain une tourterelle sur un arbre. Il la tira, la blessa, et il s’apprêtait à l’achever quand l’oiseau lui dit :

« Ne me tue pas, chasseur, ramène-moi chez toi et pose-moi à ta fenêtre. Ne me quitte surtout pas des yeux : dès que tu me verras m’assoupir, frappe-moi de ta main droite, et tu auras une grande surprise. »



Va je ne sais où me chercher je ne sais quoi Conte russe Alexander Lindberg

André, étonné d’entendre parler une tourterelle, l’emporta chez lui, la posa sur le bord de la fenêtre et attendit. Peu après, elle se cacha la tête sous l’aile, prête à s’endormir. Il lui donna aussitôt un grand coup de sa main droite ; l’oiseau tomba par terre, et se transforma sur-le-champ en une ravissante jeune fille, la princesse Maria. Sa beauté était telle qu’André crut rêver. S’adressant à lui, elle dit :

« Tu as pu m’attraper, voyons maintenant si tu peux me garder. Fêtons cela à nous deux, et marions-nous ! »

André épousa donc la princesse Maria, et ils vécurent très heureux ensemble. Le chasseur n’en négligea pas pour autant son travail. Chaque matin, il partait à la chasse dans la forêt, et rapportait ensuite aux cuisines du palais le gibier qu’il avait tué.


Quelque temps après leur mariage, Maria, dit à André :

« Nous sommes quand même bien pauvres …

— Eh oui, c’est vrai, soupira le chasseur.

— Écoute ! Tache de te procurer cent roubles, achète des écheveaux de soie, et j’améliorerai notre situation. »

André s’en alla trouver des amis et d’autres serviteurs ; il recueillit deux roubles par-ci, un par-là, et parvint ainsi à en emprunter cent. Il acheta alors de la soie et la rapporta à sa femme. Celle-ci la prit et lui dit :

« Maintenant, va te coucher, le sommeil te fera du bien. »

Pendant qu’André dormait, Maria se mit à tisser. Elle tissa toute la nuit, et, à l’aube, elle avait terminé un tapis d’une stupéfiante beauté. Il représentait tout le royaume, avec les villes et les villages, les forêts et les champs, les oiseaux dans le ciel, les animaux sur les collines et les poissons dans la mer. Le soleil et la lune brillaient au-dessus du paysage.

Lorsqu’André se réveilla, Maria lui donna le tapis.

« Va trouver les marchands, dit-elle, et vends-le, mais n’en fixe pas le prix, prends ce qu’on t’en offrira. »

Le chasseur partit donc au marché, son paquet sous le bras. Dès son arrivée sous les arcades, un marchand se précipita vers lui :

« Mon bon monsieur, combien voulez-vous de votre tapis ?

— Vous êtes dans le commerce, c’est à vous de dire un chiffre. »

Le marchand réfléchit, mais ne put l’évaluer. Un autre marchand les rejoignit, puis un troisième, et, rapidement, tout un groupe se rassembla, en admiration devant la beauté de l’ouvrage, mais aucun ne se sentit capable de proposer un prix.


Va je ne sais où me chercher je ne sais quoi Conte russe Alexander Lindberg

Un conseiller du tsar vint à passer a ce moment-la. Désirant connaître la raison de cet attroupement, il descendit de calèche, traversa la foule et s’approcha.

« Nous ne parvenons pas à évaluer ce tapis », lui dit-on.

Après avoir regardé et examiné attentivement l’objet de leur discussion, le conseiller se tourna vers André :

« Dis-moi bien franchement, chasseur, où as-tu trouvé pareille œuvre d’art ?

— C’est ma femme qui l’a tissée, répondit André.

— Et combien en veux-tu ?

— Sincèrement, je n’en ai aucune idée. Elle m’a dit que je ne devais pas marchander, mais prendre ce qu’on m’en donnerait.

— Bon ! Alors, voici dix mille roubles ! »

André rentra chez lui tout content.

Le conseiller alla ensuite montrer son acquisition au tsar ; ce dernier, émerveillé de voir son royaume représenté sur le tapis, le garda pour lui-même et donna vingt mille roubles à son conseiller. Celui-ci accepta, se disant qu’il pourrait en commander directement un autre encore plus beau. Il partit donc en calèche jusqu’au village où habitait le chasseur, et frappa à la porte de leur isba.

La princesse Maria vint ouvrir. Le conseiller fit un pas, et s’arrêta net, stupéfait de la beauté de la femme qui se tenait devant lui. Il la regarda fixement, médusé, oubliant même le but de sa visite. Maria attendit un moment qu’il parle et lui dise ce qu’il voulait, mais, comme il restait muet, le prenant par les épaules, elle le fit pirouetter, le poussa dehors et referma la porte.

Le conseiller rentra chez lui à regret. Il en perdit le boire et le manger, car il ne pouvait chasser de son esprit l’image de cette ravissante créature.

Le tsar remarqua sa conduite bizarre et lui en demanda la raison.

« J’ai vu la femme d’un chasseur, expliqua le conseiller, elle est si belle qu’il m’est impossible de l’écarter de mes pensées ; j’en dépéris et aucun remède n’y peut rien ! »

Le tsar voulut, lui aussi, connaître la femme de ce chasseur. Il s’habilla simplement, se rendit au village et frappa a la porte de l’isba. Maria ouvrit. Le tsar fit un pas et s’arrêta, frappé de stupeur devant la beauté inimaginable de cette jeune personne. La princesse attendit un moment, mais comme il ne disait rien, le prenant par les épaules, elle le fit pirouetter, le poussa dehors, et referma la porte.

« Pourquoi suis-je encore célibataire ? pensa le tsar avec un frisson au cœur. Si seulement je pouvais épouser une fille aussi belle ! Elle n’a pas le droit d’être la femme d’un chasseur, elle est faite pour être celle d’un tsar. »

Il rentra au palais, tout en ruminant de mauvaises pensées. Comment épouser une femme dont le mari est encore vivant ? Il fit quérir son conseiller et lui dit :

« Songe à un moyen de me débarrasser d’André le chasseur. Je veux sa femme. Si tu réussis, je te récompenserai avec de l’or, des villes et des villages ; sinon, je te ferai décapiter. »


Le conseiller, consterné, s’en alla, tête basse. Pour se remonter le moral, il entra dans une taverne et commanda un verre de vin. Un homme en guenilles, client habituel du lieu, s’approcha et lui demanda :

« Conseiller, pourquoi cet air soucieux ?

— Va-t’en, ivrogne !

— Ne me repoussez pas, offrez-moi plutôt un verre de vin ! Je vous donnerai une bonne idée. »

Le conseiller lui offrit donc à boire et lui raconta ses ennuis. L’homme lui dit alors :

« Il est relativement facile de se débarrasser d’André le chasseur, car c’est un personnage un peu simple. Mais sa femme, quant à elle, est très intelligente. Cherchons un problème qu’elle ne pourra résoudre. Que le tsar envoie André dans l’autre monde pour savoir comment se porte feu le père du tsar. André ira, mais ne pourra en revenir. »

Le conseiller se précipita chez le tsar pour lui suggérer cette idée, et on envoya chercher André.

« Jusqu’ici, lui dit le souverain, tu t’es montré un serviteur fidèle et dévoué. Rends-moi encore un service, va voir dans l’autre monde comment se porte mon père. Si tu n’y vas pas, je te ferai décapiter. »


Quand la princesse Maria vit rentrer son mari, elle lui demanda la raison de son air accablé, et il lui expliqua ce que le tsar attendait de lui. Mais elle le rassura :

« Il n’y a pas de quoi être triste, ce n’est vraiment pas difficile. Va d’abord te coucher, André ; tu verras, cela ira mieux après. »

Tôt le lendemain, Maria lui donna un paquet de biscuits et un petit anneau d’or.

« Voila, lui dit-elle, demande au tsar que son conseiller t’accompagne ; sinon, on ne croira pas que tu as été dans l’autre monde. Jette cet anneau devant toi et suis-le, il sera ton guide. »

André tint compte des conseils de sa femme, et le tsar se trouva bien obligé de lui prêter son conseiller pour le voyage. Ils se mirent en route tous les deux. André jeta l’anneau devant lui et ils le suivirent, traversant des champs, des marécages, des rivières et des lacs, chasseur en tête, conseiller par derrière. Ils faisaient halte de temps à autre pour se restaurer, et marchèrent longtemps. Un soir, après avoir traversé une épaisse forêt, ils descendirent au fond d’un ravin, et, là, l’anneau s’arrêta.

Ils s’installaient pour manger quelques biscuits, lorsqu’ils virent arriver deux diables conduisant un énorme chariot chargé de bois et traîné par un très vieux tsar que les démons encadraient, et faisaient avancer à coups de gourdins.



Va je ne sais où me chercher je ne sais quoi Conte russe Alexander Lindberg

« Regardez ! C’est sûrement feu notre tsar !

— Vous avez raison, c’est bien lui.

André héla les diables :

— Hé ! Vous là-bas ! Laissez-moi ce mort un instant, j’ai deux mots à lui dire !

— D’accord, répondirent les démons, mais nous n’avons pas de temps à perdre. Crois-tu que nous allons tirer ce bois nous-mêmes ?

— Prenez un homme frais et dispos » proposa André.

L’idée plut aux démons, qui dételèrent le vieux tsar et mirent le conseiller à sa place. Celui-ci, courbé en deux et rossé de chaque côté, fut bien obligé de tirer le chariot. Pendant ce temps, André s’entretenait avec le vieux tsar.

« Ah ! André le chasseur ! confessait ce dernier, c’est une misérable vie que je mène dans l’autre monde ! Salue mon fils de ma part ; préviens-le, qu’il prenne garde surtout de ne pas offenser son peuple, car il se réserverait le même sort ! »

Il ne put en dire davantage, car les démons revenaient avec le chariot vide. André salua le vieux tsar, le conseiller fut libéré, et ils prirent ensemble le chemin du retour. Aussitôt arrivés, ils allèrent rendre compte au tsar qui, furieux de voir André rentrer, vociféra :

« De quel droit es-tu revenu ?

— Vous m’aviez confié une tache, je l’ai remplie, répliqua le chasseur. J’ai vu votre père dans l’autre monde. Il n’est pas très heureux ; il m’a chargé de vous transmettre ses amitiés, et m’a recommandé de vous mettre en garde contre toute mauvaise action à l’égard de qui que ce soit.

— Quelle est la preuve que tu sois vraiment allé dans l’autre monde ?

— Je peux vous montrer les marques de gourdins laissées par les démons sur le dos de votre conseiller. »

Contraint de le croire, le tsar renvoya André chez lui.

« Il faut absolument que tu imagines un moyen de me débarrasser de ce chasseur, dit-il de nouveau à son conseiller, sinon je te ferai couper la tête. »


Encore plus accablé que la première fois, celui-ci se rendit à la taverne ; il retrouva le même vieil ivrogne et lui offrit un verre de vin tout en lui racontant ses problèmes. L’homme lui dit alors :

« J’ai une idée, c’est déjà difficile d’y penser, mais c’est bien plus difficile de la mettre en pratique. Que le tsar envoie André le chasseur au-delà de vingt-sept pays, dans le trentième royaume, chercher le Chat Conteur. »

On fit donc quérir André, et le tsar lui dit :

« À présent, tu vas me rendre un autre service. Dans le trentième royaume se trouve le Chat Conteur, je veux que tu me le ramènes. Sinon, gare à toi, je te ferai décapiter. »

Le chasseur rentra chez lui, tête basse, et il raconta à sa femme ce qu’on attendait de lui. La princesse Maria le rassura :

« Il n’y a vraiment pas de quoi se tracasser, c’est facile, un simple petit voyage. Avant tout, va dormir, tu te sentiras mieux après. »

Quand André fut couché, Maria, alla chez le forgeron du village et lui fit faire trois casques de fer, une paire de pincettes de fer et trois baguettes, une en fer, une en cuivre et une en plomb. Le lendemain, elle réveilla son mari de bonne heure et lui dit :

« Tiens, voici trois casques, des pincettes et trois baguettes. Traverse vingt-sept pays et va jusqu’au trentième royaume. Lorsque tu seras à une lieue de l’arrivée, le sommeil te gagnera : c’est le Chat Conteur qui essaiera de t’endormir. Ne le laisse surtout pas faire, remue les bras, traîne tes pieds sur la route, et, si nécessaire, roule-toi par terre pour rester éveillé. Si tu t’endors, le Chat Conteur te tuera. »


André grava dans sa mémoire les recommandations de sa femme et il partit. Une histoire, c’est vite raconté, un voyage, c’est beaucoup plus long ! Il atteignit enfin le trentième royaume. À une lieue de l’arrivée, il sentit venir le sommeil. Mettant sur sa tête les trois casques de fer, il balança les bras, traîna les pieds, se roula sur le sol, et parvint ainsi à surmonter sa somnolence. Puis il arriva près d’une haute colonne, où se trouvait perché le Chat Conteur.


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Crachant et sortant ses griffes à la vue d’André, le chat s’élança sur lui. Il brisa un des casques de fer, puis le second, et il allait en faire autant du troisième quand le chasseur le saisit avec ses pincettes, et, le maintenant à terre, se mit à le frapper à coups redoublés. La baguette de fer se rompit, celle de cuivre aussi, celle de plomb se tordit mais ne cassa pas, et elle s’enroula autour du dos du chat. André continua à frapper, et l’animal commença à raconter des histoires sur des prêtres, des diacres, des évêques. Le chasseur n’écoutait pas et tapait toujours. Sentant alors faiblir ses forces, le chat comprit que parler ne servait à rien.

« Laisse-moi aller, mon brave homme, supplia-t-il, je ferai tout ce que tu voudras.

— Viendras-tu avec moi ? demanda André.

— Je te suivrai partout. »

André prit donc le chemin du retour, tirant derrière lui le Chat Conteur. Dès son arrivée, il l’amena devant le tsar.

« Voila, dit-il, j’ai accompli ma mission.

— Je t’en supplie, André, mets vite ce chat dans une cage ! » s’écria le tsar, rempli d’épouvante. L’animal fut donc enfermé et le chasseur rentra chez lui. On le laissa vivre en paix avec sa femme pendant quelque temps. Mais le tsar n’avait pas oublié Maria, il la désirait même de plus en plus. Il fit de nouveau chercher son conseiller et lui ordonna :

« Réfléchis, trouve un moyen, n’importe lequel, mais débarrasse-moi définitivement d’André. Sinon, tu es un homme mort. »

Le conseiller alla directement à la taverne demander l’avis du vieil ivrogne. Celui-ci but son vin, s’essuya les moustaches et proposa :

« Va dire au tsar d’envoyer André je ne sais ou y chercher je ne sais quoi. Comme il ne pourra pas le trouver, il ne reviendra pas ! »

Le souverain fit appeler le chasseur.

« Tu m’as déjà rendu deux services, dit-il. Je t’en demande un troisième ; va je ne sais ou me chercher je ne sais quoi. Si tu réussis, je te récompenserai royalement ; si tu échoues, tu mourras. »

André rentra chez lui complètement découragé.

« Que se passe-t-il donc, cher André ? demanda Maria.

— Ah, mon épouse ! C’est ta beauté qui est la cause de tous nos soucis ! Le tsar m’a ordonné d’aller je ne sais ou lui chercher je ne sais quoi !

— Cette fois, c’est vraiment difficile ! Mais bah ! Ne te tracasse pas, va te coucher, cela ira mieux demain. »

André se mit au lit ; Maria, dès la nuit tombée, ouvrit son livre de magie, lut, relut, mais n’y trouva rien qui put lui donner une idée ; elle ferma le recueil et réfléchit, la tête dans les mains. Puis, sortant sur le pas de sa porte, elle agita son mouchoir : des oiseaux et des animaux de toute espèce accoururent de partout, et la princesse leur demanda :

« Vous qui connaissez tous les recoins de la forêt, vous qui volez dans tous les cieux, dites-moi, avez-vous jamais entendu dire comment on peut aller je ne sais ou chercher je ne sais quoi ?

— Non ! » fut la réponse unanime.

Maria agita son mouchoir et les animaux disparurent comme par enchantement. Elle l’agita de nouveau, deux géants se présentèrent ; sur son ordre, ils la prirent et, la tenant à bout de bras, la portèrent au milieu de l’océan. Elle fit un geste de son mouchoir, et toutes sortes d’animaux marins surgirent hors de l’eau.


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Elle s’adressa alors à eux et dit :

« Vous tous, poissons, et vous, serpents de mer, qui connaissez les îles et les flots, savez-vous comment on peut aller je ne sais où chercher je ne sais quoi ?

— Non, répondirent-ils, nous n’en avons aucune idée. »

Maria, fort déprimée, se fit ramener chez elle. Le lendemain, elle prépara le voyage de son mari, lui donna une serviette brodée, une pelote de fil, et lui dit :

« Jette cette pelote devant toi et suis-la, où qu’elle aille. Rappelle-toi ceci : lorsque tu feras ta toilette, n’utilise jamais aucune autre serviette que la mienne. »

André salua aux quatre vents, lança la pelote et suivit le fil.


Une histoire est vite racontée, mais pareil voyage n’est pas vite terminé ! Le chasseur erra dans différents pays, le fil se déroula et la pelote devint à peine plus grosse qu’une tête de pigeon, si petite qu’André ne pouvait même plus la voir sur le chemin ! En bordure d’une forêt, il aperçut une cabane perchée sur une patte de poulet et appela :

« Hutte ! Petite hutte ! Mets-toi le dos à la forêt et la face vers moi ! »

La hutte pivota, André y pénétra.

Assise sur un banc, une vieille femme aux cheveux gris démêlait une poignée de lin.

« Eh bien ! s’écria-t-elle, qui a jamais vu ou entendu un Russe auparavant ? Mais aujourd’hui, en voici un en personne ! Je te ferai rôtir dans mon four, je te mangerai, et j’irai me promener sur tes os!

— Comment ? Vieille sorcière ! Tu voudrais manger un voyageur ! Tu sais bien qu’un voyageur n’a que la peau et les os ! Prépare-moi plutôt un bain, et après, on verra. »

André prit donc un bain, se frotta, se passa à la vapeur, et, pour s’essuyer, il sortit la serviette que lui avait remise sa femme. La vieille, surprise, lui demanda :

« De qui tiens-tu donc cette serviette ? C’est ma fille qui l’a brodée.

— Mon épouse alors est ta fille ! Elle me l’a donnée.

— Tu es donc mon gendre, fêtons cela ! »

Toute joyeuse, la sorcière s’affaira, prépara le dîner, disposa sur la table diverses sortes d’aliments, de vins, d’hydromels. André avait faim, il s’assit et se mit à manger.

Puis il raconta les circonstances de son mariage avec la princesse Maria, et lui dit que le tsar l’avait envoyé je ne sais ou chercher je ne sais quoi.

« Si seulement vous pouviez m’aider ! termina-t-il.

— Ah ! Mon cher gendre, même moi, je n’ai jamais entendu parler de cette chose extraordinaire ! Seule pourrait peut-être le savoir une vieille grenouille qui vit dans les marais depuis trois cents ans. Bon ! Ne te tracasse pas ! Va te coucher, cela ira mieux demain. »

Pendant qu’André dormait, la sorcière, chevauchant deux balais de bouleau, s’en fut au marais. Elle appela :

« Grand-mère ! Chère grenouille, es-tu encore en vie?

— Me voici, répondit la grenouille en sortant de son trou.

— Sais-tu où se trouve je ne sais où ? demanda la sorcière.

— Oui, bien entendu !

— Sois assez gentille pour le dire. Mon gendre a reçu l’ordre d’aller je ne sais où chercher je ne sais quoi !

— Je veux bien lui montrer le chemin, répliqua la grenouille. Cependant, je suis trop vieille, et incapable de sauter si loin. Que ton gendre me porte jusqu’au Fleuve de Feu dans du lait frais tiré, et je le conduirai. »

La sorcière ramena la grenouille chez elle, tira le lait d’une vache dans un seau, y déposa l’animal, et, le lendemain, réveilla André.

« Cher gendre, dit-elle, écoute-moi. Va avec mon cheval jusqu’au Fleuve de Feu, en prenant avec toi la grenouille dans ce seau de lait, et fais ensuite ce qu’elle te conseillera. »

André obéit. Il constata en effet qu’aucun animal ne pouvait franchir le Fleuve de Feu, aucun oiseau le survoler. Il mit pied à terre et sortit la grenouille.

« Grimpe sur mon dos, lui dit-elle, tiens-toi bien.

— Mais je vais vous écraser, vous êtes si menue !

— Ne crains pas, il n’en sera rien. Monte ! »

André s’installa donc sur le dos de la bête ; celle-ci commença à souffler ; elle enfla, enfla si fort qu’elle devint aussi grosse qu’une meule de foin.

« Te tiens-tu bien ? s’inquiéta-t-elle.

— Fort bien ! » la rassura André.

Et elle s’enfla encore plus, jusqu’à dépasser la forêt. Alors, bondissant par-dessus le Fleuve de Feu, elle transporta André sur l’autre rive ; puis elle reprit sa taille normale.


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« Maintenant, jeune homme, dit-elle, suis ce sentier, il te mènera à une tour, une hutte plutôt qu’une tour, non, un abri plutôt qu’une hutte, même pas cela encore ! N’importe ! Entre, et cache-toi derrière le poêle. Là, tu trouveras je ne sais quoi. »


André se conforma aux ordres de la grenouille ; il pénétra dans la cabane et se cacha. Tout à coup, il y eut un grondement de tonnerre ; puis entra un petit homme, pas plus gros qu’un pouce, avec une barbe lui tombant à la taille.

« Hé ! Cousin Nahum ! appela-t-il, j’ai faim ! »

Au même moment, une table surgit de je ne sais où, toute préparée, garnie d’un tonnelet de bière et d’un bœuf entier rôti. Le petit homme barbu s’assit et se mit à découper sa viande, trempant les morceaux dans de l’ail et dégustant le tout avec délices. Il ne laissa pas un os, pas une goutte de bière. Puis il cria :

« Hé ! Cousin Nahum ! C’est fini ! »



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Et la table disparut aussi vite qu’elle était venue. André sortit alors de derrière son poêle, et rassemblant son courage, il prononça la même phrase :

« Hé ! Cousin Nahum ! J’ai faim ! »

Aussitôt, une table surgit de je ne sais où, couverte de victuailles apéritifs, desserts, vins et hydromels. André s’attabla et dit :

« Cousin Nahum ! Viens t’asseoir à côté de moi. Mangeons et buvons ensemble !

— Merci, dit une voix. Voila bien des années que je travaille ici, et on ne m’a jamais rien offert, pas même une croûte, et toi tu m invites à partager ton repas ! »

André, ébahi, regarda autour de lui. Il ne voyait personne, et pourtant les plats disparaissaient, comme balayés, le vin et l’hydromel étaient versés dans des verres qui sautaient l’un après l’autre, et se vidaient à toute allure.

« Cousin Nahum ! Montre-toi un peu ! demanda André.

— Non, répondit la voix, personne ne peut me voir ! Je suis je ne sais quoi.

— Cousin Nahum ! Veux-tu travailler pour moi ?

— Très certainement. Je me rends compte que tu me traiteras comme il faut » accepta l’être invisible.

Après un repas copieux, la table disparut et André sortit de la cabane. La voix lui dit alors :

« Va, ne crains rien, je ne te quitterai pas. »

Près du Fleuve de Feu, la grenouille attendait fidèlement ; elle demanda :

« As-tu trouvé je ne sais quoi, mon brave ?

— Oui, grand-mère !

— Parfait ! Maintenant, monte sur mon dos ! »

Et, s’enflant comme la première fois, elle sauta par-dessus la rivière. André la remercia et prit le chemin du retour.

« Cousin Nahum, es-tu là ? s’inquiéta-t-il peu après.

— Oui, n’aie pas peur, je te suis.

— Comme je me sens fatigué ! soupira André.

— Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ? répondit Nahum. Je t’aurais transporté chez toi ! »


Une rafale de vent l’enleva soudain dans les airs ; des montagnes, des forêts, des villes et des villages défilèrent sous lui à toute allure. Ils survolaient un océan lorsqu’André demanda :

« Cousin Nahum, je voudrais me reposer. »


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Le vent s’apaisa aussitôt et il descendit vers la mer. Une petite île apparut, avec un palais au toit d’or entouré d’un magnifique jardin. Cousin Nahum dit alors :

« Cette demeure t’appartient, repose-toi ; cependant, surveille l’horizon. Tu verras passer trois navires marchands, invite-les à accepter ton hospitalité. Ils possèdent trois choses extraordinaires, tu pourras m’échanger contre elles, mais je reviendrai un jour. »

En effet, trois bateaux vinrent naviguer dans les parages. Apercevant cette terre inconnue d’eux les marchands décidèrent d’y jeter l’ancre, et André les reçut sur son île, au milieu des oiseaux et des fleurs.

« Dis-nous, mon brave, qui a construit ce palais ?

— C’est mon serviteur Nahum, répondit le chasseur. Eh ! Nahum ! Apporte-nous à boire et à manger ! »

Et, à la stupéfaction des marchands, une table couverte de victuailles apparut devant eux.

« Mon brave, dirent-ils à André, faisons un marché ; nous avons trois merveilles, choisis celle que tu désires en échange de Nahum.

Tu vois ce gourdin, dit le premier marchand ; à ton commandement, il donnera une raclée à qui tu voudras. »

Le second sortit une hache de sa poche, la tourna le manche en l’air, et elle se mit à couper, couper du bois ; un navire se montra, puis deux, tout équipés, prêts à prendre le large, avec les voiles, les canons et même les matelots.

De sa poche, le troisième marchand tira une flûte, et commença à en jouer : une armée entière surgit aussitôt avec la cavalerie, l’infanterie, les chevaux, les bombardes, la musique, les drapeaux et même les officiers au garde-à-vous.

« C’est vrai, admit alors André, vous avez trois merveilles, mais la mienne les vaut toutes ; si vous désirez mon serviteur, donnez-moi les trois.

— C’est un peu beaucoup ! remarquèrent les marchands.

— Comme vous voulez, ce ne sera pas moins. »

Ils réfléchirent qu’au fond, ils avaient encore avantage à prendre Nahum, qui leur fournirait tout sans travailler, et qu’alors, ils n’auraient plus besoin ni de gourdin, ni de hache, ni de flûte.

Ils échangèrent donc leurs richesses avec André et crièrent :

« Hé ! Nahum ! On te prend ! Nous seras-tu fidèle ?

— Pourquoi pas ? dit la voix ; qu’importe avec qui je vis ! »

Les marchands regagnèrent leurs navires et commencèrent à festoyer, demandant sans arrêt à Nahum de leur apporter ceci et cela. Ils burent à en rouler sous les tables.

Pendant ce temps, André, un peu désolé de se retrouver seul, pensa tout haut :

« Ah ! Si seulement Nahum était là !

— Me voici ! Que veux-tu ? répondit la voix.

— Il est grand temps que je rentre chez moi, retrouver ma femme ! Porte-moi à la maison ! » supplia André.

Un coup de vent le souleva et le déposa directement dans son pays.

Lorsqu’ils sortirent de leur orgie, les marchands furent très étonnés et furieux de constater que Nahum ne répondait plus à leur appel et que l’île avait disparu.

Force leur fut de lever l’ancre et de poursuivre leur voyage.


André arriva chez lui, mais, à la place de l’isba, il n’y avait plus qu’un tas de cendres Consterné et inquiet du sort de Maria, il se dirigea vers la côte.

Soudain, une tourterelle grise vola jusqu’à lui, et, touchant le sol se transforma en la princesse, sa femme.

Ils s’embrassèrent, fous de joie, et se racontèrent leurs aventures.

« Après ton départ, expliqua Maria, je me suis changée en tourterelle, car trois fois le tsar est venu me chercher, et mécontent de ne pas me trouver, il a fait brûler la maison !

— Cousin Nahum ! appela André. Serait-il possible de construire un palais, ici, près de la mer ?

— Bien sûr ! Pourquoi pas ? » répondit Nahum.

Et, sur le champ, un magnifique palais, plus beau que celui du tsar, apparut sous leurs yeux, avec un jardin rempli d’oiseaux, de fleurs et d’animaux extraordinaires. André et Maria passèrent alors ensemble, un, deux, trois jours de parfait bonheur. Mais, le quatrième, le tsar, au cours d’une partie de chasse, vit ce palais qu’il ne connaissait pas. Il envoya un messager se renseigner pour savoir qui avait eu l’audace de bâtir sur son territoire sans sa permission. Quand il apprit qu’André le chasseur y vivait avec Maria, et qu’il avait été je ne sais où chercher je ne sais quoi, il fut pris d’une grande colère. Il donna l’ordre de raser le palais et de massacrer la princesse et son mari.

André, voyant arriver l’armée du tsar, sortit la hache, la tourna le manche en l’air et elle se mit à couper, couper du bois. Une flotte de cent navires évolua aussitôt sur la mer Puis il prit la flûte et en joua. Toute une armée avec cavalerie, infanterie, drapeaux et canons, musique et tambours se forma subitement Les régiments avancèrent à la rencontre des soldats du tsar qui furent ou tués, ou faits prisonniers, et pendant ce temps, la flotte tirait sur la ville. Le tsar voulut empêcher ses hommes de fuir, André se saisit alors de sa massue et la lança en disant : « Va rompre les côtes de ce misérable ! »


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Roulant jusqu’au tsar, elle le dépassa, se retourna sur lui et le frappant au front le tua net. Ainsi se termina le combat. La population sortit de la ville ; on demanda à André de gouverner le pays, ce qu’il accepta volontiers, sans se faire prier. Puis il convia tout son peuple à un grand banquet, et, aidé de la princesse Maria, il dirigea le royaume avec sagesse pendant de longues et heureuses années.

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