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Les enfants dans les bois

... un conte traditionnel de Grande-Bretagne
... adaptation française par Mlle Latappy
… avec des illustrations de Frank Adams


Le texte et les illustrations de ce conte sont dans le domaine public.



Illustration de John Lawson

Illustration de John Lawson


Il était une fois un riche seigneur, qui demeurait avec femme dans un beau château, dans une des parties les plus charmantes de l’Angleterre. Ils avaient une petite fille et un petit garçon qu’ils aimaient beaucoup. Il eût été impossible de trouver dans tout le pays un ménage plus heureux.

Mais, un jour, il arriva un horrible malheur : la châtelaine tomba malade tout à coup et mourut, sans avoir seulement pu dire adieu à son mari et à ses enfants. Ils furent bien malheureux, et, pour ajouter encore à leur infortune, le seigneur tomba bientôt malade à son tour. Il vit tout de suite qu’il allait mourir ; mais c’était un homme brave : il regarda venir la mort sans peur. Il ne pensa point à lui-même, mais, en homme bon et sage, il employa le peu de temps qui lui restait à prendre les meilleures dispositions possibles, dans l’intérêt de son fils et de sa fille.

Car il savait que, dès qu’il serait mort, ce fils, bien qu’il ne fût encore qu’un enfant, deviendrait le maître et le propriétaire du château, des terres et de tous ses autres biens ; la petite fille aussi deviendrait une demoiselle de haut rang, et posséderait une fortune à elle. Mais deux petits enfants ne sauraient gouverner un grand château rempli de serviteurs, ni user de leur argent avec sagesse ; aussi était-il nécessaire de trouver un ami qui voulût bien se charger de tout cela pour eux, jusqu’au jour où ils seraient assez grands et assez grands pour gouverner comme le bon chevalier et sa femme avaient fait.

L’esprit plein de ces pensées, le seigneur mourant envoya chercher son unique frère, lui confia ses deux chers petits et leurs biens, le priant d’agir envers eux comme un vrai chevalier et un bon chrétien. Le frère le promit, et le seigneur, ayant embrassé ses petits enfants, s’en alla en paix dans cet autre monde où vont tous les bons chevaliers sans peur et sans reproche.

Donc, l’oncle des enfants prit la direction du château. Mais c’était un homme cruel et méchant : il savait bien que si son frère, le chevalier, était mort sans enfants, c’est lui qui aurait été le maître de ses terres et de ses richesses.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Mais les enfants étaient là et, quand ils seraient grands, il faudrait leur rendre leurs biens… Alors une mauvaise pensée lui vint à l’esprit : il lui fallait essayer de se débarrasser des enfants. Il n’osa pas s’en défaire lui-même, mais il prépara leur mort, de telle sorte qu’on pût croire à un accident. Quand un homme méchant veut commettre une action criminelle et qu’il est trop lâche pour agir lui-même, il cherche quelqu’un plus de plus mauvais et de plus pauvre que lui, qui le fera pour de l’argent. Et s’il a mené une mauvaise vie, comme c’était son cas, il n’a guère de difficulté à trouver les hommes dont il a besoin.

Donc, le méchant oncle se mit à penser à tous ses anciens compagnons, et bientôt, il se rappela deux hommes, voleurs, ivrognes, joueurs et toujours prêts à une querelle. Il se rappela également que, comme tous ceux qui vivent de l’argent des autres au lieu d’en gagner par eux-mêmes, ils étaient toujours dans le besoin. Au fond, ils n’étaient guère plus mauvais que lui, et l’un d’eux, comme nous le verrons plus tard, valait même beaucoup mieux.

Le méchant oncle envoya donc chercher ces deux hommes, et leur raconta toute l’histoire.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Il leur désigna les enfants qui l’empêchaient d’être un homme riche, et leur offrit une grosse somme d’argent s’ils voulaient attirer les deux petits innocents dans un bois et les tuer.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Les deux hommes acceptèrent. Guettant une occasion, un jour où la nourrice avait laissés les enfants jouer seuls dans les jardins du château, un des hommes s’avança et joua avec eux.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Puis, il demanda au petit garçon si sa sœur et lui n’aimeraient point faire une promenade sur son grand et beau cheval. Le petit garçon répondit « oui », sans hésiter, et, prenant sa sœur par la main, il suivi l’homme et franchit les grilles du château. Là, le second voleur les attendait avec deux chevaux. Les hommes se mirent en selle ; chacun prit un des enfants devant lui, et ils partirent au galop dans la direction des bois.

Tout d’abord, les enfants furent ravis de voir les oiseaux, les fleurs, les arbres magnifiques ; mais bientôt ils eurent faim, et demandèrent aux hommes de les ramener chez eux. Les hommes ne répondirent point, mais galopant encore plus vite, ils arrivèrent au plus profond des bois. Descendant de cheval, ils mirent les enfants à terre : c’était là l’endroit où ils avaient décidé de les tuer.

Mais, l’un des voleurs, déclara que, puisqu’ils avaient déjà reçu l’argent, il était bien inutile de se comporter de façon aussi cruelle, et qu’il serait préférable de se contenter de les abandonner dans le bois. Ce à quoi l’autre voleur répondit qu’on les avait payés pour tuer les enfants, et qu’il fallait donc les tuer.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

La querelle s’envenima ; des mots, ils en vinrent aux coups, tandis que les pauvres enfants les regardaient, terrifiés. Mais, cette fois, le voleur miséricordieux se battait pour une bonne cause ; et il porta à son cruel compagnon un coup mortel.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Il déroba au mort sa part d’argent - si bien qu’il eut à lui seul les deux parts -, et, pressé de retourner à la ville pour la dépenser, il résolut de laisser les enfants dans le bois. Et tant mieux pour eux si quelqu’un les y trouvait… Il leur dit qu’il allait leur chercher à manger, et il s’en alla pour ne jamais revenir.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Les pauvres petits le crurent, pensant qu’il était leur ami ; mais les heures s’écoulèrent, et il ne revint pas. Ils avaient très faim, et la petite fille se mit à pleurer.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Mais le petit garçon ressemblait à son père, le vaillant chevalier, et au lieu de pleurer, il regarda autour de lui pour voir ce qu’il pourrait faire pour sa petite sœur. Des petits lapins l’aidèrent à trouver des noisettes et des mûres, qu’elle mangea.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Puis il amassa de la mousse, qu’il mit au pied d’un arbre pour lui faire un lit, et la petite fille s’endormit profondément.

Il fit de même le lendemain et le jour suivant. Mais, quand le quatrième jour arriva, ils étaient tous les deux malades, car les petites filles et les petits garçons ne peuvent pas se nourrir exclusivement de noisettes et de mûres, comme les écureuils et les oiseaux.

Alors, se sentant très faibles et malades, ils s’embrassèrent, s’étendirent, l’un près de l’autre, sur leur lit de mousse, et cet ange silencieux qu’on appelle la Mort descendit doucement. Avec amour, il emporta leurs pauvres petites âmes fatiguées pour les réunir à celles de leur père et de leur mère. Mais voilà que les petits rouges- gorges, aux yeux brillants, virent ces deux petits corps froids, étendus là, dans le bois. Alors, ils vinrent par centaines, chacun portant dans son bec une feuille de pourpre ou d’or. Les hérissons, les écureuils, les lapins, et tous les petits rongeurs de la forêt firent de même.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Ils les déposèrent les feuilles sur les corps des enfants, jusqu’à ce qu’elles les recouvrent entièrement, formant un beau manteau royal.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Ah ! Le méchant oncle n’avait plus qu’à jouir tranquillement de sa fortune mal acquise, car certes, les enfants ne le gênaient plus maintenant ! Mais rien ne prospéra : ses récoltes furent mauvaises, ses bêtes s’égarèrent dans la campagne ou furent décimées par la maladie, ses chevaux dépérirent, et ses serviteurs le volèrent.


Les enfants dans les bois - Frank Adams

Tout cela pourrait arriver à un homme bon ; celui-ci lutte alors tout simplement contre le sort, avec courage. Mais quand ces choses arrivent à un homme méchant, il pense que le sort le poursuivra toujours, si bien qu’il n’essaie même pas de lutter. C’est précisément ce qui se passa. Le méchant oncle sentit que, quoi qu’il fît, tout ce qu’il tenterait serait vain. Si bien que, lorsqu’un soir le feu prit au château, il fut bien heureux de s’en tirer sain et sauf. Mais il n’avait plus d’argent, plus d’ami, et il se trouvait plus pauvre que quand son neveu et sa nièce étaient vivants !

 Il erra sans foyer pendant bien des années. Puis, un jour, il se produisit quelque chose d’étrange : vous vous rappelez le voleur qui n’avait pas été cruel au point de tuer les enfants, mais qui, cependant, n’avait pas eu le courage d’en prendre soin ? Eh bien, il avait eu vite fait de dépenser son argent, et il s’était bientôt remis à voler. Il fut pris et condamné à être pendu, car, à l’époque, on était pendu pour vol. Quand il parut devant les juges, il raconta toute l’histoire des deux petits enfants. Suite à cela, on fit arrêter le méchant oncle… qui fut pendu lui aussi !


Illustration de Timoléon Marie Lobrichon

Illustration de Timoléon Marie Lobrichon

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