… d’Édouard Laboulaye
… extrait des Contes bleus
Illustration d'Arthur Dixon
Il était une fois une paysanne, qui était restée veuve avec deux enfants. L’aînée se nommait Dobrunka ; la seconde, qui était aussi méchante que sa mère, s’appelait Zloboga. La paysanne adorait sa fille cadette, mais elle avait Dobrunka en horreur, simplement parce que Dobrunka était aussi belle que sa sœur était laide. C’était la pauvre enfant qui faisait tout dans la maison ; à elle de balayer, de faire la cuisine, de laver, de coudre, de filer, de tisser, de couper l’herbe, de soigner la vache. Zloboga vivait en princesse, c’est-à-dire ne faisait rien.
Dobrunka travaillait de grand cœur, et recevait les reproches et les coups avec la douceur d’un agneau. Rien ne désarmait la marâtre, car chaque jour ajoutait à la beauté de l’aînée et à la laideur de la cadette.
« Les voilà grandes, pensait la paysanne. Les prétendants viendront bientôt ; ils refuseront ma fille quand ils verront cette affreuse Dobrunka, qui fait exprès d’embellir pour me contrarier. À tout prix, il faut que je m’en débarrasse. »
Un jour, - c’était au milieu de janvier -, Zloboga eut envie de violettes.
« Allons, Dobrunka, va me chercher dans les bois un bouquet de violettes ; je le mettrai à ma ceinture.
— Bon Dieu, ma sœur, quelle idée ! Est-ce qu’il y a des violettes sous la neige ?
— Tais-toi, vilaine sotte, reprit la cadette ; fais ce que je te dis. Si tu ne vas pas au bois, si tu ne me rapportes pas un bouquet de violettes, je te bats comme plâtre. »
Et la mère prit Dobrunka par le bras, la jeta à la porte, et tira un double verrou.
La pauvre fille alla au bois en pleurant. Tout était couvert de neige ; il n’y avait pas même un sentier. Dobrunka se perdit, la faim la prit, le froid la faisait trembler.
Tout à coup, elle aperçut une lueur dans le lointain. Elle se dirigea en ce sens, et arriva au sommet d’un rocher. Là était un grand feu ; autour du feu il y avait douze pierres, et sur chaque pierre un personnage immobile, enveloppé d’un grand manteau, la tête couverte d’un capuchon qui lui tombait jusqu’aux yeux. Trois de ces manteaux étaient blancs comme la neige, trois étaient verts comme l’herbe des prés, trois étaient blonds comme des gerbes mûres, trois étaient violets comme des grappes de raisin. Ces douze figures, qui regardaient le feu en silence, c’étaient les Douze mois de l’année.
Dobrunka reconnut Janvier à sa longue barbe blanche ; seul, il tenait un bâton à la main. La pauvre fille avait grand peur ; elle approcha en disant d’une voix timide :
« Mes bons seigneurs, permettez-moi de me chauffer à votre feu, le froid me glace.
Janvier fit un signe de tête :
— Pourquoi venir ici, ma fille ? dit-il ; que cherches-tu ?
— Je cherche des violettes, répondit Dobrunka.
— Ce n’est pas la saison, il n’y a pas de violettes en temps de neige, dit Janvier avec sa grosse voix.
— Je le sais bien, reprit tristement Dobrunka ; mais ma sœur et ma mère me battront comme plâtre si je n’en rapporte pas. Mes bons seigneurs, dites-moi où en trouver.
Le vieux Janvier se leva, et, s’adressant à un jeune homme en capuchon vert, il lui mit le bâton à la main :
— Mon frère Mars, dit-il, ceci te regarde. »
Mars se leva à son tour et remua le feu avec le bâton.
Voici la flamme qui s’élève ; la neige fond, des bourgeons rougissent les rameaux, l’herbe verdit au pied des buissons, les fleurs percent sous la verdure, les violettes s’ouvrent. C’est le printemps.
« Vite, mon enfant, cueille tes violettes, dit Mars.
Dobrunka en fit un gros bouquet, remercia les Douze mois, et courut joyeuse au logis. Qui fut bien étonnée ? Ce fut Zloboga ; ce fut la marâtre ! L’odeur des violettes embaumait la maison.
« Où as-tu trouvé ces belles choses ? demanda Zloboga d’un ton dédaigneux.
— Là-haut, sur la montagne, répondit sa sœur. Il y a comme un grand tapis bleu sous les buissons. »
Zloboga mit le bouquet à sa ceinture, et ne dit pas même merci à la pauvre enfant.
Le lendemain, la méchante sœur, rêvant auprès du poêle, eut envie de fraises.
« Va me chercher des fraises dans les bois, dit-elle à Dobrunka.
— Bon Dieu, ma sœur, quelle idée ! Est-ce qu’il y a des fraises sous la neige ?
— Tais-toi, vilaine sotte ; fais ce que je te dis. Si tu ne vas pas au bois, si tu ne me rapportes pas un panier de fraises, je te bats comme plâtre. »
La mère prit Dobrunka par le bras, la jeta à la porte et tira le double verrou.
La pauvre fille reprit le chemin du bois ; cherchant partout la lumière de la veille. Elle fut assez heureuse pour la revoir, et arriva auprès du feu, tremblante et glacée. Les Douze mois étaient à leur place, immobiles et silencieux.
« Mes bons seigneurs, permettez-moi de me chauffer à votre feu ; le froid me glace.
— Pourquoi reviens-tu ? dit Janvier ; que cherches-tu ?
— Je cherche des fraises, répondit-elle.
— Ce n’est pas la saison, reprit Janvier avec sa grosse voix ; il n’y a pas de fraises sous la neige.
— Je le sais bien, reprit tristement Dobrunka ; mais ma mère et ma sœur me battront comme plâtre si je n’en rapporte pas. Mes bons seigneurs, dites-moi où en trouver.
Le vieux Janvier se leva, et s’adressant à un homme en capuchon blond, il lui mit le bâton à la main :
— Mon frère Juin, dit-il, ceci te regarde. »
Juin se leva à son tour, et remua le feu avec le bâton. Voici la flamme qui s’élève ; la neige fond, la terre verdit, les arbres se couvrent de feuilles, les oiseaux chantent, les fleurs s’ouvrent. C’est l’été. Des milliers de petites étoiles blanches émaillent le gazon, puis elles se changent en fraises, et voilà les fraises qui brillent dans leurs vertes corolles, comme des rubis au milieu d’émeraudes.
« Vite mon enfant, cueille tes fraises, dit Juin.
Dobrunka en emplit son tablier, remercia les Douze mois, et courut joyeuse au logis. Qui fut bien étonnée ? Ce fut Zlobora ; ce fut la marâtre. L’odeur des fraises embaumait la maison.
« Où as-tu trouvé ces belles choses ? demanda Zloboga d’un ton dédaigneux.
— Là-haut, sur la montagne, répondit sa sœur ; il y en a tant qu’on dirait du sang répandu. »
Zloboga et sa mère mangèrent les fraises, et ne dirent pas même merci à la pauvre enfant.
Le troisième jour, la méchante sœur voulut des pommes rouges. Mêmes menaces, mêmes injures, mêmes violences. Dobrunka courut à la montagne, et fut assez heureuse pour retrouver les Douze bons mois, qui se chauffaient immobiles et silencieux.
« Encore toi, mon enfant ? dit le vieux Janvier en lui faisant place au feu.
Et Dobrunka lui conta en pleurant que si elle ne rapportait pas des pommes rouges, sa mère et sa sœur la battraient jusqu’à la faire mourir. Le bon Janvier refit les cérémonies de la veille.
« Frère Septembre, dit-il à une barbe grise en capuchon violet, ceci te regarde. »
Septembre se leva à son tour, et remua le feu avec le bâton. Voici la flamme qui s’élève ; la neige fond, les arbres poussent quelques feuilles jaunies, qui tombent une à une au souffle du vent. C’est l’automne. Pour toutes fleurs, quelques œillets attardés, des marguerites, des immortelles. Dobrunka ne vit qu’une seule chose : c’était un pommier, avec ses fruits rougissants.
« Vite, mon enfant, secoue l’arbre, dit Septembre.
Elle le secoua, une pomme tomba ; elle secoua une seconde fois, il tomba un second fruit.
— Vite, Dobrunka, vite, à la maison ! cria Septembre d’une voix impérieuse.
La bonne fille remercia les Douze mois, et courut joyeuse au logis. Qui fut bien étonnée ? Ce fut Zloboga ; ce fut la marâtre !
« Des pommes fraîches en janvier ! Où as-tu cueilli ces deux pommes ? demande Zloboga.
— Là-haut, sur la montagne ; il y un arbre qui en est rouge, comme un cerisier au mois de juillet.
— Pourquoi n’apportes-tu que deux pommes ? Tu as mangé les autres en route.
— Moi, ma sœur ? Je n’y ai pas touché ! On ne m’a permis de secouer l’arbre que deux fois ; il n’est tombé que deux pommes.
— Que le tonnerre t’emporte ! cria Zloboga.
Et elle frappa sa sœur, qui se sauva en pleurant. La méchante fille goûta une des deux pommes ; elle n’avait jamais rien mangé d’aussi délicat. La mère fut du même avis. Quel regret de n’en avoir pas davantage !
« Mère, dit Zloboga, donne-moi ma pelisse, j’irai au bois, je trouverai l’arbre, et, qu’on me le permette ou non, je le secouerai si bien que toutes les pommes seront à nous. »
La mère voulut faire quelques observations, mais un enfant gâté n’écoute personne. Zloboga s’enveloppa dans sa pelisse, rabattit le capuchon sur sa tête et courut au bois.
Tout était couvert de neige ; il n’y avait pas même un sentier. Zloboga se perdit, mais la convoitise et l’orgueil la poussaient en avant. Elle aperçut une lueur dans le lointain, courut, et trouva les Douze mois assis chacun sur sa pierre, tous immobiles et silencieux. Sans leur demander pardon, elle s’approcha du feu.
« Que viens-tu faire ici ? Que veux-tu ? Où vas-tu ? demanda sèchement le vieux Janvier.
— Que t’importe, vieux fou ? répond Zloboga. Tu n’as pas besoin de savoir d’où je viens, ni où je vais.
Et elle s’enfonça dans le bois.
Janvier fronça le sourcil, et leva son bâton au-dessus de sa tête. En un clin d’œil, le ciel s’obscurcit, le feu noircit, la neige tomba, le vent souffla. Zloboga ne voyait plus rien devant elle, et chercha en vain à revenir sur ses pas. Elle appela sa mère, elle maudit sa sœur. Glacée, ses membres se roidirent, elle s’affaissa.
La neige tombait et le vent soufflait toujours.
La mère allait sans cesse de la fenêtre à la porte, de la porte à la fenêtre ; les heures passaient : Zloboga ne revenait pas.
« Il faut que je retrouve ma fille, dit-elle. »
Elle prit sa pelisse et son capuchon, courut à la montagne ; tout y était recouvert de neige, il n’y avait pas même un sentier. Elle s’enfonça dans le bois, et appela sa fille. La neige tombait, le vent soufflait. Elle marchait avec inquiétude. La neige tombait, et le vent soufflait toujours…
Dobrunka attendit toute la soirée et toute la nuit ; personne ne revint. Au matin elle prit son rouet, fila toute une quenouille… point de nouvelles.
« Qu’est-il arrivé ? » dit en pleurant la bonne fille.
Le soleil brillait au travers d’un brouillard glacé, la neige recouvrait la terre.
On ne les revit ni sa mère ni sa sœur au logis. Et ce ne fut qu’au printemps, qu’un pâtre les retrouva toutes deux mortes dans les bois…
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