… de Marie Colmont
Seul le texte est dans le domaine public.
Illustration de couverture par l'artiste japonais Tohukiro Kawai
Tous les jours, dès que la première flèche du soleil glissait à travers les vitraux du palais, il ouvrait un œil vert. Le Roi Chat étirait une patte, puis une autre, bâillait en recourbant sa langue rose et s’asseyait d’un coup sur son coussin de soie. Et puis, refermant les yeux, il se laissait caresser le front par le soleil, ronronnant en lui-même et disant à peu près ceci :
« Roi Soleil, mon cousin, tu as raison, par mes moustaches, de bassiner au réveil les tempes du Roi Chat ! »
Roi Chat ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Était-il vraiment roi ? Écoutez, il faut que je vous avoue la vérité : c’était un Chat à peu près comme tous les autres, sauf qu’il était plus gras et plus luisant de poil, étant mieux nourri. Mais voilà, c’était le Chat du Roi !
Chat du Roi… Roi des Chats… Roi… Chat…, tout ça se mélange, en courant vite !
Et ce Chat-là se tenait si droit et si fier, il semblait si sûr de sa puissance que dans tout le palais, on ne l’appelait que le Roi Chat.
« Roi Chat, disaient les marmitons, voici du mou, du foie de poisson, de la crème, daigne te régaler. »
« Roi Chat, disaient les chambrières, nous ferons le ménage quand il te plaira de sortir. »
« Mrraou ! Rrroi Chat ! Disaient les chatons de la dernière saison, plaise à Ta Majesté de rrregarder comme nous jouons grracieusement ! »
Et le Roi Chat lapait la crème, griffait les coussins de soie, regardait d’un œil débonnaire les ébats de ses sujets.
Oui, tout semble rose et doré dans la vie des rois. Pourtant, à côté de ce concert des flatteurs et des valets, on entendait parfois, le soir, s’élever des voix tristes.
« Roi Chat, gémissaient les souris, réfugiées dans l’épaisseur des murs, tu es un monstre qui nous tue sans raison, car tu n’as jamais faim. »
« Roi Chat, grondaient les vieux rats, tu es un tyran et un oppresseur. N’auras-tu point pitié de notre race ? »
« Roi Chat, piaillaient les moineaux, nous te haïssons pour tous les oiselets sans défense que tu nous as pris. »
Hélas ! Toutes ces plaintes menaient bien petit bruit !
Un jour, pourtant, la révolte éclata. Tout un bataillon de mésanges envahit les arbres du parc. On sait que les mésanges sont querelleuses : celles-là étaient hors d’elles : le Roi Chat, mis en humeur folâtre par le printemps, n’avait-il pas ravagé vingt-six nids dès son réveil ? Vingt-six couvées croquées avant le petit déjeuner !
Quand le Roi Chat sortit sur le perron pour se dégourdir les pattes, les mésanges lui sautèrent au nez.
Et que je te pique ! Et que je te fouette de l’aile ! Et que je te crie dans les oreilles !
Le Roi Chat se crut perdu. Mais les marmitons veillaient : « Zzz ! Zzz ! » sifflèrent les pierres de leurs frondes. Les mésanges durent battre en retraite.
Alors, le bataillon des rats descendit du grenier, et celui des souris sortit du creux des murs. Las ! Toute la chatterie du château, chattes, chatons, minets, matous, se rallia autour de son Roi, joua de la griffe et de la dent, massacra l’armée des rats. Et la révolte fut matée.
« Mrrr ! ronronnait le vainqueur en se lissant les moustaches, toutes poissées de sang. Malgré tout, je suis Roi !
— Non, Chat, tu n’es pas Roi, dit une toute petite voix : un Roi ne devrait pas être cruel…
C’était la petite Chouette aux yeux d’or, l’Oiseau de la Sagesse, qui parlait ainsi d’entre les branches du chêne.
— Qu’est ceci ? cria le Roi Chat, en bombant le dos de colère.
Le Chien du portier, qui ne dormait que d’un œil, prit cette colère pour lui, accourut en grondant : voilà notre Roi Chat qui s’ensauve !
— Non et non, redit la petite Chouette, tu n’es pas Roi : un Roi ne devrait pas être lâche…
Le Roi Chat secoua les oreilles.
— Après tout, que m’importe ? dit-il majestueusement. Sans m’occuper de cette péronnelle, je vais aller dormir mon sommeil de Roi sur mes coussins de Roi.
— Non, non et non, cria encore la petite Chouette, tu n’es pas Roi : un Roi ne devrait pas être paresseux… »
Et puis le temps passa. Le temps vieillit les Chats, comme il vieillit les hommes. Ce Roi Chat perdit un peu de sa beauté, un peu du luisant de son poil. On se lassa de lui. Pour tout dire, un autre Chat surgit, plus beau, plus jeune, plus conquérant, devenant le favori des maîtres.
L’ancien, on le relégua aux cuisines, puis à la ferme. Ce fut triste. Il maigrit : il dut trouver tout seul sa nourriture ; nul ne le protégea. Les chiens lui firent la chasse ; les gamins lui jetèrent des pierres. Adieu les coussins de soie : plus rien qu’un trou dans la paille ! Adieu les plates-bandes du parc : il errait tout le jour dans une cour boueuse !
Alors une flamme nouvelle parut dans son œil vert. Jamais il ne s’était tenu si droit. Jamais il n’avait fait avec autant de soin sa toilette. Ceux qui le chassaient en criant le voyaient s’en aller d’un pas lent et fier, dédaigneux.
Et dans les branches du chêne, la petite Chouette chuchotait :
« Chat, ô Chat si digne dans le malheur, c’est maintenant que tu commences à devenir un petit peu Roi… »
Une vieille un jour l’a trouvé dans le fossé, tout geignant et meurtri, la patte cassée ; elle l’a emporté dans sa petite cabane, l’a soigné, l’a guéri.
Et maintenant, depuis des mois, ils vivent côte à côte, la Vieille et lui. Il tient compagnie à la pauvre solitaire et fait bonne garde autour des provisions. Elle le caresse juste ce qu’il faut pour qu’il se sente aimé.
Dans la cheminée, les fagots pétillent. Tout est calme. Plus de batailles, plus de sang. On est heureux.
Assis sur la pierre du foyer, grave, digne, utile aux autres, sage en lui-même, le Chat regarde le feu de ses yeux verts.
Et la petite Chouette, rôdant par là le soir, murmure :
« Maintenant seulement, Chat, tu es Roi… »
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