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Le petit prince malade, Franc-Nohain


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Illustration de Jan Marcin Szancer



On m’a parlé d’un pays où

Il n’y avait pas de joujoux.

Et pourtant le Roi et la Reine,

Ceux qui régnaient sur ce pays,

Avaient un enfant très gentil,

De quatre ans, quatre ou cinq, à peine...


Et ce petit prince n’avait…

Pas de jouet ?


Mais non, vous dis-je !


Dans le pays nul ne savait,

Prince ou manant, pauvre ni riche,

Un jouet, un joujou, prodige !...

Nul ne savait ce que c’était.


Or donc, ce Roi et cette Reine,

- Que leur cœur, leur cœur eut de peine !  -

Voilà-t-il pas, voilà qu’ils virent

Leur petit garçon dépérir.

D’abord une simple migraine,

Puis l’enfant ne pouvait dormir,

Parler, courir,

Ni se nourrir,

Même de confitures de groseille !

- Pourtant une pure merveille,

Ces confitures ! -


Plus aucun appétit, et quelle

 Si pauvre petite figure !

Est-ce qu’il dort ? Est-ce qu’il veille ?

Pâle et hâve,

Yeux creux, joues caves,

Immobile sur l’oreiller,

Que c’était vraiment grand’pitié !


Et ce qu’il y a de plus triste,

Les plus fameux spécialistes,

- Est-ce le cœur, le foie ou l’estomac ?

Qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’il a ?

Durent donner leur langue au chat.


Enfin, du fin fond du royaume,

Un jour vint un vieux médecin ;

Médecin, sorcier, c’est tout comme,

Du moins

Dans ces temps très anciens :

Son bonnet en forme de cône,

- Turlututu, Chapeau pointu ! -

Disait sa science et sa vertu ;

Il portait une robe jaune,

Sur son nez de grosses besicles,

Et, dans la main,

Comme il convient,

 Tenait sa baguette magique…


« Monsieur, Monsieur, lui dit le Roi,

Et la Reine

Disait de même,

Ah ! Monsieur, pour que je revoie

Je revoie ainsi qu’autrefois,

Mon petit garçon rose et gai,

Je donnerais

Tous mes sujets,

Mes trésors

Et mes châteaux forts,

Et mes habits chamarrés d’or,

Tout ce qui pousse et ce qui pait dans mes prairies,

Les chevaux de mes écuries,

Mes soldats de cavalerie.

D’infanterie,

D’artillerie,

Bref toute ma gendarmerie,

Pour que mon enfant coure et rie,

Joyeux comme par le passé,

Et qu’il recouvre la santé,

Je donnerais tout de bon gré,

Et vous par-dessus le marché ! »


Le sorcier avec sa baguette

Esquisse un geste

Mystérieux,

Prononce des mots spécieux :

Et c’est d’abord

Le château fort

Qui devient petit, si petit,

Qu’on l’apporte, dans une boite,

Couvert de papier et d’ouate,

Au petit garçon sur son lit ;

Près du château, voici les fermes,

Avec leurs bœufs et leurs moutons,

Qui prennent

Des proportions

D’une exiguïté extrême ;

Les chevaux font des cavalcades

Sur le lit du petit malade ;

Et maintenant toute l’armée

En des boîtes est enfermée,

La flotte, les chemins de fer,

Voyez, c’est extraordinaire !


Voyez ces mignonnes

Personnes

Équipées

Comme des poupées,

Toutes de soie et de velours,

C’étaient les dames de la Cour ;

Les courtisans, avec leurs jabots de dentelle,

Ne sont plus que polichinelles

Et lui-même, le médecin,

D’un coup de baguette suprême,

Lui-même,

Il s’est transformé en pantin !

Alors, sortant du mauvais rêve,

Oubliant la méchante fièvre,

Le petit garçon se soulève,

Il tend les bras, il bat des mains…


« Ah ! dit le Roi,

— Ah ! dit la Reine,

Notre royaume aujourd’hui tient

Dans quatre ou cinq boîtes à peine,

À peine la demi-douzaine !

Notre royaume est aujourd’hui

Considérablement réduit,

Oui...

Mais à quoi bon régner sur la terre et sur l’onde ?

Que sert une grandeur à nulle autre seconde ?

Notre petit garçon sourit,

Il est guéri ! »


La santé d’un enfant chéri

Vaut tous les royaumes du monde !

 



Illustration d'Edmund Blair Leighton 

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