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Photo du rédacteurLucienne

Le petit cheval de neige


Le cheval de Westbury d'Eric Ravilious

Illustration : « Le cheval de Westbury » d'Eric Ravilious


Un grand sculpteur avait fait ce petit cheval sur la place du village. La neige était tombée pendant deux jours ; tout était blanc. Le sculpteur s’ennuyait dans son atelier, il sortit. Autour de la fontaine des garnements se battaient avec des boules de neige ; on entendait leurs cris jusqu’au fond des maisons. Quand il eut bien joué avec eux :

« Pouce ! cria le sculpteur en s’arrêtant, essoufflé. Maintenant, je vais faire une statue de neige. Laquelle voulez-vous ?

— Un bonhomme de neige ! dit un garçon.

— Non ! Non ! C’est toujours pareil ! crièrent les autres.

— Un moulin à vent !

— Trop difficile !

Le plus petit de la bande dit alors :

— Un petit cheval ! d’une voix si claire que le sculpteur se mit à rire :

— Va pour un cheval ! »

Il travailla longtemps. C’est difficile de faire un cheval de neige même quand on est un grand sculpteur ; le froid vous engourdit les doigts et de temps en temps la neige se détache par gros paquets : tout est à recommencer !

Tout de même, il en vint à bout, et quand le soir se mit à descendre, le petit cheval se dressait à côté de la fontaine, sur ses hautes pattes maigres, pataud et gracieux, comme un petit cheval qui vient de naître.

« Qu’il est joli ! dirent les garçons.

— Monsieur, ton cheval, c’est un vrai ? demanda le tout petit à la voix claire.

— Peut-être bien ! » dit en riant le sculpteur.

Et il se mit à courir, emmenant toute la bande chez lui pour boire du thé bouillant. Après ça, le petit cheval demeura seul sur la grande place. La nuit venait vite. Des gens qui étaient dehors rentrèrent chez eux. C’était l’heure de la soupe, les cheminées fumaient. Puis les lumières s’éteignirent, une après l’autre. Alors la lune vint à pas de loup par-derrière le bois, monta au ciel. La place devint toute bleue. Minuit sonna, et juste comme un drôle de vent passait sur la terre, voilà que le petit cheval se mit à remuer.

« Doucement, doucement… disait la lune.

Mais le petit cheval de neige, sur la neige, ne faisait pas de bruit. La lune dit encore :

— Va voir la grande Terre, petit cheval ! »

Le petit cheval fit une fois le tour de la fontaine, puis il s’éleva dans les airs et s’en fut se promener là-haut, par-dessus les maisons et par-dessus les campagnes. Il allait comme le vent, et voici qu’il arriva dans un pays où il faisait grand jour. Les laboureurs étaient aux champs, et l’on voyait de gros chevaux attelés aux charrues tirer de toutes leurs forces pour que passe le soc à travers la terre grasse. Sur toutes les routes, des carrioles filaient, rapides, derrière des trotteurs infatigables.

« Lune, ô Lune, dit le petit cheval de neige, moi aussi je voudrais travailler, tirer des charrues, des carrioles…

— Un petit cheval de neige ne peut rien tirer » répondit doucement la lune, toute pâle dans un coin du ciel.

Il repartit avec un soupir. Et voici qu’il arriva au-dessus d’une ville. Il y avait là un marché entouré de hautes grilles ; des hommes y menaient des chevaux, et d’autres, plus loin, emportaient de grands morceaux de viande fraîche et rouge.

« Lune, ô Lune, dit le petit cheval de neige, qu’est-ce qu’on fait à mes camarades ?

— On les tue pour donner leur viande à de pauvres enfants pâles ; aimerais-tu aussi partager leur sort ?

— Oh, oui !

— Un petit cheval de neige n’est pas assez nourrissant pour qu’on le mange » dit la Lune.

Alors il s’en alla plus loin, passa par-dessus les montagnes. Il se faisait là un bruit horrible. Des tubes de fer tout noirs crachaient du feu et du tonnerre ; des hommes couraient, cachés dans des replis de terre et puis, soudain, se jetaient en avant avec de grands cris, et la moitié culbutait sur le sol. Et l’on voyait aussi de grandes troupes de chevaux se heurter en désordre. Il y avait du sang partout.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda le petit cheval en tremblant.

— C’est une guerre, dit la lune. Voudrais-tu aussi faire ce métier-là ?

— Je ne vois pas très bien à quoi ça sert, dit le cheval. C’est laid et méchant. Non, je voudrais faire quelque chose d’utile, tiens par exemple, Lune, regarde : porter ce voyageur qui s’en va là-bas, sur le dos de sa monture, à travers les sables… Alors, cria, désespéré, le petit cheval de neige, je ne suis donc bon à rien ? »

Mais le jour venait. Il fallait retourner au village. Le petit cheval se planta auprès de la fontaine, immobile, et personne n’aurait pu dire qu’il avait jamais quitté cette place. Avec le jour, monta le soleil. L’air tiédit, et le petit cheval se sentit tout tremblant sur ces hautes pattes maigres.

« Ô Père Soleil ! J’ai tant couru cette nuit que je suis fatigué, dit-il. J’ai vu toute la Terre, et par toute la Terre, des chevaux qui travaillent. Je veux, moi aussi travailler, je veux me rendre utile !

— Petit cheval de neige, dit le soleil, rien n’est inutile sur la terre. Patience ! Laisse-moi faire !

— Mais, Père Soleil, je fonds, au secours !

— Laisse-moi faire » lui dit à nouveau le soleil.

C’est vrai qu’il fondait, le petit cheval. Il coulait dans la terre. Et voilà qu’il rencontra un petit oignon.

« Oh ! dit celui-ci, je t’attendais ! Je meurs de soif, viens jusqu’à moi, jolie eau claire du petit cheval de neige ! »

Le petit cheval n’entendit plus rien : il s’était évanoui.


Mais le lendemain, sur la grande place, entre deux pavés, un perce-neige poussa.

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