Cet émouvant conte de Noël a été traduit en anglais par Léon Tolstoï. L’histoire originale a été écrite par Ruben Saillens, et démontre les vertus de la gentillesse et de la compassion. Elle est basée sur un verset de la Bible : Matthieu 25:35.
Illustration de couverture : « The cobbler » par O Pirsi
C’était la veille de Noël. La courte journée d’hiver touchait bientôt à sa fin ; on voyait s’allumer les lumières des magasins et des maisons du petit village russe. Le vieux Papa Panov, le cordonnier du village sortit sur le pas de sa porte pour y jeter un dernier coup d’œil.
Les bruits de joie, les lumières scintillantes et les odeurs délicieuses des préparatifs du réveillon lui rappelaient ses Noëls d’autrefois, lorsque sa femme était encore en vie, et que ses enfants étaient petits. Tous étaient partis, désormais.
Son visage d’habitude si jovial, au petit sourire bienveillant, derrière des lunettes rondes cerclées de métal, avait pris un air triste. Malgré tout, il rentra dans son échoppe d’un pas décidé, ferma les persiennes et mit le café à chauffer sur le poêle.
Papa Panov ne lisait pas souvent, mais ce soir il sortit la vieille Bible de famille, et lentement, en suivant les lignes avec son doigt, il se mit à relire l’histoire de Noël. Il lut que Marie et Joseph, fatigués par leur voyage vers Bethléem, n’avaient pas pu trouver d’auberge pour les accueillir. Et c’est ainsi que l’enfant de Marie était né dans une étable.
« Oh, non ! Oh, non ! s’exclama Papa Panov. S’ils étaient venus chez moi, je les aurais accueillis ! J’aurais couvert le bébé de ma couverture de ma courtepointe, pour le réchauffer. »
Il lut ensuite l’histoire des Rois Mages, venus voir l’enfant Jésus et lui apporter de merveilleux cadeaux. Le visage de Papa Panov s’assombrit alors.
« Je n’aurais pas de cadeau à lui offrir » pensa t-il tristement.
Soudain son visage s’éclaira. Il posa sa Bible, se leva et tendit ses longs bras pour atteindre le haut d’une étagère, dans la petite pièce.
Papa Panov eut un sourire de satisfaction. Oui, ils étaient toujours aussi beaux que dans ses souvenirs. Les plus beaux souliers qu’il avait jamais faits. « Je les lui donnerai ! » décida t-il. Il se sentit fatigué ; plus il lisait, plus le sommeil le gagnait. Les lignes dansaient devant ses yeux, alors qu’il ferma les paupières un instant. Tout à coup, Papa Panov s’endormit profondément. Il se mit à rêver que quelqu’un était à ses côtés, dans la pièce, et, comme dans les rêves, il connaissait cette personne. C’était Jésus.
« Tu as souhaité me voir, Papa Panov, lui demanda-t-il gentiment. Alors attends-toi à me voir demain. Car ce sera le jour de Noël, et je te rendrai visite. Mais sois attentif, car je ne m’annoncerai pas. »
Quand Papa Panov se réveilla, les cloches carillonnaient, et la lumière perçait doucement à travers les persiennes.
« Quelle joie ! dit Papa Panov. C’est Noël ! »
Il se leva et s’étira, car il se sentait tout courbaturé. Puis son visage se remplit de bonheur en se rappelant son rêve. Ce serait un Noël très spécial après tout, car Jésus allait venir le voir. À quoi ressemblerait-t-il ? À un nouveau-né, comme lors du premier Noël ? À un homme adulte, un charpentier ? Ou au grand Roi qu’il est, le Fils de Dieu ? Il se devait de rester vigilant toute la journée, afin de le reconnaître, quel que soit son aspect.
Il mit sur le feu un pot de café spécial, pour son petit-déjeuner de Noël, ouvrit les volets et regarda par la fenêtre. Personne n’était encore levé. Personne sauf le balayeur des rues. Aussi sale et misérable que d’habitude, et il ne pouvait guère en être autrement ! Qui d’autre aurait bien voulu travailler un jour de Noël, par cette matinée brumeuse et ce froid mordant ? Papa Panov ouvrit la porte de son échoppe, s’avançant d’un pas dans l’air glacé du dehors.
« Entrez ! lui cria t-il joyeusement. Entrez, venez vous réchauffer avec une tasse de café ! »
Le balayeur des rues le regarda, saisi de surprise et de contentement. Il s’empressa de laisser son balai et de venir se réchauffer.
Ses vêtements mouillés furent mis à sécher près du poêle, et une tasse de café bien chaude déposée entre ses mains rougies. Papa Panov le regardait avec satisfaction, mais ses yeux revenaient sans cesse à la fenêtre.
« Vous attendez quelqu’un ? finit par lui demander son invité.
Alors Papa Panov lui raconta son rêve.
— Eh bien, j’espère qu’il viendra, lui répondit le cantonnier. Vous m’avez donné un peu de la joie de Noël, alors que je ne m’y attendais pas. Je trouve, pour ma part, que vous méritez que votre rêve se réalise. »
Et il sourit.
Quand il fut parti, Papa Panov mit à réchauffer une soupe aux choux pour son déjeuner, puis il retourna à la porte en scrutant la rue. Il ne vit personne. Mais il se trompait. Il y avait bien quelqu’un. Une fille marchait lentement, longeant les murs des magasins et des maisons. Elle avait l’air très fatiguée et elle semblait porter quelque chose. Quand elle se fut approchée, il put voir que c’était un enfant, enveloppé dans un châle léger.
« Voulez-vous entrez ? lui dit-il, allant à leur rencontre. Vous avez besoin de vous réchauffer, et vous reposer au coin du feu tous les deux.
La jeune mère le suivit à l’intérieur, s’assit confortablement dans un fauteuil, et poussa un soupir de soulagement.
« Je vais réchauffer un peu de lait pour le bébé, dit Papa Panov. J’ai eu des enfants moi aussi, je peux le nourrir à votre place. »
Il prit le lait sur la cuisinière, et délicatement, il le donna au bébé à la cuillère, tout en frottant ses petits pieds à la chaleur du feu.
« Il a besoin de souliers, dit le cordonnier.
Mais la fille lui répondit :
— Je n’ai pas le moyen d’en acheter ; je n’ai pas de mari qui me ramène de l’argent. Je me rends au prochain village, pour y trouver du travail. »
Soudain, une pensée traversa l’esprit de Papa Panov. Il se souvint des petits souliers, qu’il avait retrouvés la veille au soir. Mais il les avait réservés pour les offrir à Jésus… Il regarda de nouveau les petits pieds glacés, et réfléchit.
« Essayez-lui ceux-ci, dit-il, en les déposant dans les mains de la fille.
Les petits souliers allaient parfaitement. La mère sourit joyeusement, et le bébé gazouilla de plaisir.
— Vous avez été si gentil avec nous, lui dit-elle, en se levant avec son bébé pour s’en aller. Je souhaite que tous vos vœux de Noël se réalisent ! »
Mais Papa Panov commençait à se demander si son vœu de Noël, si spécial, allait vraiment se réaliser. Il continuait à scruter la rue anxieusement. Il y avait bien une foule de gens, mais il reconnaissait tous les visages. Il y avait là ses voisins, qui se rendaient dans leurs familles. Il les saluait, leur souriait et leur souhaitait un joyeux Noël. Il y avait également des mendiants, et Papa Panov se dépêchait d’aller leur chercher une soupe chaude et un gros morceau de pain, avant de ressortir au plus vite pour ne pas manquer le passage de l’Étranger qu’il attendait.
Bien trop tôt, la nuit d’hiver commença à tomber. Quand Papa Panov revint près de la porte, il n’arrivait plus à distinguer les passants. La plupart étaient rentrés chez eux, de toute façon.
Finalement ce n’était qu’un rêve après tout. Jésus n’était pas venu…
Puis tout à coup, il sentit une présence dans la pièce. Il ne s’agissait pas d’un rêve, puisqu’il était bien réveillé.
« Qui êtes-vous ? » cria t-il, effrayé.
La voix de Jésus lui répondit.
« J’avais faim et tu m’as nourri, dit-il. J’étais nu, et tu m’as vêtu. J’avais froid et tu m’as réchauffé. Je suis venu aujourd’hui, dans tous ceux que tu as accueillis et aidés. »
Puis tout redevint silencieux et calme.
Une douce paix envahit la pièce et le cœur de Papa Panov, à un point tel qu’il eut envie de chanter, de rire et de danser de joie.
Mais il se contenta de répéter :
« Il est quand même venu, après tout ! Il est quand même venu ! »
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