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Le cheval enchanté

Photo du rédacteur: LucienneLucienne

... un conte des Mille et une Nuits

… illustrations d’Albert Robida


Texte et illustrations dans le domaine public.


Illustration de John Dickson Batten
Illustration de John Dickson Batten

Le premier jour de l’année, ou nouveau jour, fut de tous temps, en Perse, célébré par de grandes fêtes d’une magnificence sans pareille. À cette occasion, le souverain recevait tous les étrangers, sans distinction de nationalité, qui avaient à lui présenter quelque nouvelle invention, et il les récompensait par un riche présent.

Cette année-là, le spectacle touchait à sa fin quand un Indien apparut devant le trône royal, tenant par la bride un cheval richement harnaché, et d’une exécution si parfaite qu’au premier abord on eût pu le prendre pour un animal véritable.

« Sire, dit l’Indien, après s’être respectueusement prosterné devant le roi, vous avez déjà dû voir aujourd’hui bien des merveilles ; eh bien, je suis certain qu’aucune n’égale le cheval que je vous présente, en vous demandant humblement de l’examiner !

— Apparemment, ce cheval n’a rien pour me surprendre, bien qu’il soit d’une fidèle ressemblance. Il serait facile à un ouvrier adroit de faire le même, en atteignant peut-être une perfection plus grande encore.

— Sire, reprit l’Indien, ce n’est pas la construction de ce cheval qui le rend merveilleux, mais les qualités extraordinaires qu’il possède.

Ainsi, quiconque en connaît le secret peut, tout comme moi, en partant de n’importe quel point, s’élever dans les airs et atterrir à l’endroit qu’il lui convient de choisir. Je m’offre de tenter une expérience séance tenante. Vous me direz ensuite si vous avez jamais entendu parler d’une semblable merveille ! »

Le roi de Perse accepta l’offre et il fut entendu que l’Indien, monté sur son cheval, ferait le voyage, aller et retour, de la grande place où se tenait l’assemblée à une montagne environnante, située à trois lieues environ de la ville. Comme preuve de l’accomplissement de cette gageure, l’Indien devait rapporter une feuille d’un certain palmier, qui ne se rencontrait qu’au bas de ladite montagne.

L’Indien enfourcha son cheval, et manœuvra une certaine cheville.

On le vit immédiatement quitter la terre et traverser les airs avec la vitesse d’un éclair. Bientôt, les assistants le perdirent de vue. Avant qu’un quart d’heure se fût écoulé, il était de retour, planait une seconde au-dessus de la place, en brandissant la palme, et descendait au pied même du trône, salué par les cris d’étonnement et les applaudissements de la foule.



Le roi émerveillé, était prêt aux plus grands sacrifices pour acquérir ce cheval. Il en fit part à l’Indien.

« Combien veux-tu me le vendre ? lui demanda-t-il. Je suis prêt à te l’acheter.

— Je m’attendais à ce que vous me fassiez cette demande, Sire. Et je serais trop heureux de vous procurer le plaisir et l’orgueil de posséder cette merveille, mais je ne l’ai obtenue, moi-même, de son inventeur, qu’en lui donnant ma fille en mariage : il m’a fait promettre de ne jamais la vendre, et ne m’a laissé le droit que de l’échanger !

— Mon royaume est immense, prononça vivement le roi de Perse, tu as le choix entre toutes les grandes villes. En échange de ton cheval je t’abandonnerai la souveraineté sur l’une d’elles, jusqu’à la fin de tes jours !

Personne ne douta que l’Indien n’acceptât une aussi belle proposition. Cependant, il n’en fit rien.

— Votre Majesté est généreuse et je la remercie. Toutefois, qu’elle me permette de lui signifier que j’ai mis un tout autre prix à l’échange de mon cheval.

— Que désires-tu donc ?

— Que votre Majesté m’accorde la main de la princesse sa fille ! »

Un immense éclat de rire retentit, parmi les courtisans. Le prince Phirouz, fils aîné du roi et héritier présomptif de la couronne, se leva pour protester avec indignation. Seul, le roi hésitait, prêt à donner sa fille à l’Indien pour posséder le cheval merveilleux.

« Sire ! s’écria le prince, repoussez énergiquement la proposition de cet insolent, je vous en supplie. Il est indigne de s’allier à une famille d’aussi noble extraction que la vôtre !

— Vous avez parfaitement raison, mon fils, de tenir à l’éclat de votre naissance ; mais considérez qu’il n’existe rien de comparable au cheval de cet Indien, et que je serais profondément humilié de le voir tomber en la possession d’un autre souverain que moi ! Je ne veux pas dire par là que je sois disposé à lui faire épouser ma fille, mais je suis prêt à accepter toute autre condition. Auparavant, toutefois, je voudrais que vous essayiez vous-même ce cheval, afin de savoir ce que vous en pensez ! »

L’Indien se prêta volontiers à l’essai ; mais le prince Phirouz n’attendit pas qu’il le mit au courant de l’appareil, il l’enfourcha fort adroitement, et manœuvra la cheville comme il l’avait vu faire à l’Indien.

 


Le cheval s’éleva dans l’air si haut, si haut, qu’il se perdit rapidement dans les nuages.

L’Indien se jeta alors aux pieds du roi et lui dit :

« Sire, vous me voyez bien en peine, le prince est parti si vite que je n’ai pas eu le temps de l’initier au secret qui permet de faire revenir le cheval à son point de départ. Je crains donc qu’il survienne un malheur au prince, et c’est pourquoi je supplie dès à présent votre Majesté de ne pas m’en rendre responsable.

À cette annonce, le roi de Perse s’alarma et son visage dépeignit une grande affliction.

— Cependant, reprit l’Indien pour le rassurer, tout espoir n’est pas perdu. Le prince s’apercevra fort probablement que le cheval est pourvu d’une seconde cheville, grâce à laquelle il peut redescendre sur la terre.

— Il pourrait tomber sur des rochers ou dans la mer, objecta le souverain.

— Impossible, Sire. Le cheval traverse la mer sans jamais y tomber et conduit toujours son cavalier où il a l’intention de se rendre. Vous voyez, par conséquent, que le péril n’est pas aussi grand qu’on pourrait se l’imaginer.

— Quoi qu’il en soit, déclara le roi de Perse, je te garde comme otage. Si mon fils n’est pas de retour avant trois mois, ta tête sera condamnée ! »

Pendant ce temps, le prince Phirouz s’élevait toujours dans les airs ; et son ascension durait depuis une heure quand il voulut redescendre sur la terre. Il se trouva dans un extrême embarras, étant donné qu’il ignorait le mécanisme du cheval merveilleux.

Il commença par tourner en sens contraire la cheville qui lui avait permis de s’élever : ce fut peine perdue. Il regretta alors d’être parti sans demander d’explications à l’Indien. Il comprit dans quel péril il était, mais ne perdit pas son sang-froid. Il examina attentivement le cou et la tête du cheval et découvrit, à côté de l’oreille droite, une seconde cheville. Il la tourna et constata aussitôt, avec satisfaction, que le cheval descendait.



« Où allait-il le déposer ? » Telle était l’angoissante question qu’il se posait maintenant ; d’autant plus que l’obscurité s’était faite, et qu’il ne distinguait plus rien autour de lui. Il n’avait guère qu’à s’abandonner à la Providence ; et c’est ce qu’il fit.

Quand le cheval s’arrêta, il sauta vivement à terre,  et s’aperçut qu’il était sur la terrasse d’un palais. Il distingua même l’ouverture d’un escalier, dont la porte était restée entrouverte. Il s’y engagea, descendit les marches avec d’infinies précautions et rencontra presque aussitôt une autre porte, également ouverte, donnant accès à une grande salle où brillait de la lumière. Il s’y avança et vit des eunuques noirs qui dormaient à terre, avec un sabre à proximité de la main.

Le prince en conclut que c’était la garde de l’appartement d’une princesse.

Il réussit à traverser cette première pièce sans éveiller aucun eunuque et se trouva alors dans une chambre magnifique, richement décorée et meublée. Sur un splendide sofa, la princesse était nonchalamment endormie dans une pose des plus gracieuses. Autour d’elle, plusieurs de ses femmes étaient étendues sur des lits bas, pour lui tenir compagnie.



Le prince Phirouz sentit un trouble immense l’envahir, à mesure qu’il contemplait l’admirable beauté de la princesse qui venait de lui apparaître. Son cœur battait à se rompre dans sa poitrine. Il comprit que, désormais, sa vie était liée à l’existence de cette ravissante jeune fille, pour qui le plus violent amour venait de naître en son âme.

Il s’agenouilla devant elle, dans une pieuse contemplation. Sous l’influence de ce regard ardent, la princesse souleva ses paupières et demeura profondément surprise, mais non épouvantée, à la vue d’un jeune homme si beau et si bien fait. Le prince inclina son front jusque sur le tapis et dit très respectueusement :

« Princesse, vous avez à vos pieds le fils du roi de Perse, qui se trouve en votre palais par suite d’un concours de circonstances vraiment extraordinaires. Je ne doute pas, adorable princesse, que vous ne soyez aussi bonne que belle, et c’est pourquoi j’implore votre protection !

— Prince, vous n’avez rien à craindre, répondit la princesse avec douceur. Le royaume de Bengale n’est pas plus barbare que le royaume de Perse, et vous y serez aussi en sûreté que dans votre propre pays, tant que vous y séjournerez.

Le prince Phirouz apprit alors qu’il était chez la princesse de Bengale, fille aînée du roi de Bengale, et que le palais où il se trouvait était situé à quelque distance de la capitale.

— Je serais curieuse, dit la princesse, de savoir comment vous avez pu pénétrer jusqu’ici ; mais auparavant, toutefois, j’entends que vous vous restauriez et que vous preniez quelque repos. »

Les femmes de la princesse, qui s’étaient éveillées, au premier bruit de cette conversation, conduisirent le prince, sur l’ordre de leur maîtresse, dans une chambre somptueuse où elles lui servirent les mets les plus variés, et lui préparèrent un lit. Elles revinrent chez la princesse quand il n’eut plus besoin de leurs services. Celle-ci n’avait pu se rendormir, l’esprit tout occupé de cet inconnu. Elle demanda à ses femmes ce qu’elles en pensaient :

« C’est un homme bien aimable, plus beau et mieux fait qu’aucun des courtisans de Sa Majesté votre père ; et il serait à souhaiter qu’il vous fût donné pour époux. »

Le lendemain matin, la princesse mit encore plus de soin à sa toilette qu’à l’ordinaire. Elle consultait sans cesse son miroir, faisait défaire et refaire dix fois la même chose avant qu’elle fût à sa convenance. Elle orna sa chevelure de diamants admirables de grosseur et de limpidité, se para d’un collier et de bracelets du même genre, noua autour de sa taille une ceinture semblable. Sa robe était en outre d’une étoffe magnifique, uniquement tissée pour les rois, les reines, les princes et les princesses, et elle l’avait choisie de la couleur qui seyait le mieux à sa beauté.

Elle s’assura devant son miroir et auprès de ses femmes que rien ne clochait dans sa toilette.



À ce moment, on annonça que le dîner était servi, et la princesse de Bengale conduisit le fils du roi de Perse dans un salon magnifique, où la table était dressée. Pendant toute la durée du repas, les esclaves de la princesse firent entendre un agréable concert, dont la musique était si douce que le prince et la princesse purent converser ensemble. Ils ne cessèrent de se faire des politesses et de s’adresser les compliments les mieux tournés. Ces échanges ne firent qu’augmenter l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. Cependant, le prince manifesta son désir de prendre congé de la princesse, pour aller rassurer son père qui devait être dans une mortelle inquiétude.

« Je reviendrai aussitôt, dit-il, pour demander votre main au roi de Bengale. »

Mais la princesse craignit d’être oubliée du prince dès qu’il aurait quitté son palais, et le supplia d’y demeurer quelque temps encore. Phirouz ne put lui refuser cette grâce, après l’accueil qui lui avait été fait. Et la princesse ne sut plus quoi imaginer pour agrémenter son séjour dans son palais.

Pendant plusieurs jours ce ne furent que fêtes, bals et concerts, parties de chasses et promenades.

Deux mois s’écoulèrent ainsi, sans qu’il y parut, tellement le prince et la princesse se plaisaient ensemble. Mais au bout de ce temps, le fils du roi de Perse témoigna à la princesse de Bengale qu’il ne pouvait tarder davantage à tirer son père de l’inquiétude et du chagrin dans lesquels il devait être plongé.

« Il m’est bien pénible de vous quitter, belle princesse, l’existence est si douce auprès de vous, mais je reviendrai bientôt, je vous le promets… à moins que…

Le prince Phirouz hésitait à lui faire part de la pensée qui l’obsédait, depuis qu’il était question de son départ.

Il s’enhardit cependant.

— À moins que vous ne consentiez à partir avec moi, compléta-t-il. »

La princesse rougit, non pas d’indignation, car elle était toute prête à accepter l’offre de son prince bien-aimé. Phirouz comprit la signification de son silence et de son embarras ; et son bonheur ne connut plus de bornes.

Dès lors, la princesse de Bengale ne songea plus qu’aux moyens à employer pour la réussite de leur plan, qui devait rester secret. La veille du départ elle écarta ses femmes ; et le lendemain matin, à la pointe du jour, alors que tout le monde dormait dans le palais, elle se rendit sur la terrasse, prit place en croupe du cheval derrière le prince.



Celui-ci fit manœuvrer la cheville et ils s’élevèrent dans les airs à une vitesse vertigineuse.

Moins de trois heures après ils arrivaient en vue de la capitale de Perse. Toutefois le prince n’atterrit pas sur la grande place d’où il était parti, il descendit en un palais de plaisance, à proximité de la ville, et installa la princesse dans le plus bel appartement. Il ordonna à ses serviteurs de ne la laisser manquer de rien pendant qu’il allait avertir le roi, son père. Monté sur un cheval qu’il avait fait seller, Phirouz entra bientôt dans la capitale. Sur son passage, les habitants poussèrent des cris de joie en reconnaissant le prince héritier, dont tout le pays portait le deuil depuis sa disparition. Le roi de Perse pleura de joie en retrouvant son fils, et s’informa tout de suite du cheval de l’Indien.

Phirouz lui raconta ce qui lui était survenu, depuis son départ, sans omettre de parler longuement en termes élogieux, de la belle princesse de Bengale.

« Je lui ai donné l’assurance que vous consentiriez à notre mariage, et c’est pourquoi elle a bien voulu m’accompagner. Je l’ai amenée sur le cheval de l’Indien, elle attend dans un palais de plaisance de Votre Majesté de connaître votre décision.

— Mon fils, je consens à votre mariage avec la princesse de Bengale ; et cette union me plaît au point que je veux aller moi-même au-devant de cette personne, pour la remercier du bon accueil qu’elle vous a fait. »

Ensuite, je l’amènerai dans mon palais afin que vos noces soient célébrées dès aujourd’hui. Il ordonna aussitôt que l’Indien fut délivré de sa prison et amené devant lui.

« Rends grâce à Dieu que j’aie retrouvé mon fils, sinon je t’aurais sacrifié sans pitié. Et maintenant que tu as la vie sauve, reprends ton cheval et ne reparais plus jamais devant moi ! »

L’Indien apprit d’autre part que le prince Phirouz avait amené avec lui, sur le cheval enchanté, une belle princesse qu’il voulait épouser et que le roi se disposait à aller chercher au palais de plaisance où elle était restée. Sans perdre de temps, il se rendit à ce palais et dit :

« Je viens de la part de Sa Majesté le roi de Perse pour prendre la princesse de Bengale en croupe du cheval et la mener, par la voie des airs jusqu’à la grande place où le souverain l’attend. »

La ruse de l’Indien réussit à merveille et il enleva la princesse avant l’arrivée du roi et de sa suite. Il prit un malin plaisir à passer au-dessus de la ville, pour se venger du roi de Perse et du prince, son fils, qui ne tardèrent pas, en effet, à s’apercevoir du rapt commis par l’Indien contre lequel tous leurs efforts étaient impuissants.

La douleur du prince Phirouz était atroce de se voir ravir par cet Indien la princesse dont il était si passionnément épris, et qui venait de disparaître à ses yeux. Toutefois, si grand que fut son chagrin, il ne le rendit pas inactif.

Phirouz ordonna qu’on lui procurât, immédiatement, un costume de derviche. Le prince s’en déguisa et partit au hasard, résolu de ne pas rentrer dans la capitale tant qu’il n’aurait pas retrouvé sa bien-aimée, et ne l’eût ramenée près du roi de Perse, son père, pour la célébration de leur mariage.

Cependant, l’Indien fut bien obligé de mettre pied à terre, chemin faisant, pour se ravitailler. Il s’arrêta dans un bois voisin de la capitale du royaume de Cachemire. Pendant qu’il s’éloignait pour chercher des vivres, la princesse de Bengale songea bien à fuir, mais le manque de nourriture l’avait rendue si faible qu’elle ne put bouger du gazon où elle était assise. Aussi l’Indien n’eut-il pas besoin de la prier pour manger ; mais, à la fin du repas, il commença à lui tenir des propos déplacés contre lesquels elle se défendit de son mieux, et, comme il s’approchait d’elle, brutal et menaçant, elle se mit à pousser des cris perçants.

Justement, le roi de Cachemire passait à proximité avec une troupe de cavaliers. Il accourut au bruit de l’altercation, et voulut s’interposer.

« De quel droit intervenez-vous ? s’écria l’Indien. Je suis bien libre d’avoir avec ma femme tel démêlé qu’il me plaît. En tout cas, ce n’est pas votre affaire !

— N’écoutez pas cet homme, Seigneur ! démentit la princesse. Je ne suis nullement sa femme ! C’est un abominable magicien qui m’a enlevée au prince de Perse, que j’étais sur le point d’épouser. »

Le roi de Cachemire n’eut pas besoin d’en entendre davantage pour être persuadé que l’Indien n’était qu’un imposteur. La beauté et la distinction de la princesse de Bengale prouvaient amplement sa haute naissance. Aussi, pour punir l’Indien, ordonna-t-il qu’on lui coupât la tête, séance tenante, ce qui fut immédiatement exécuté.



Hélas, la princesse de Bengale n’était pas au bout de ses peines.

Le roi de Cachemire l’emmena dans son palais, où il lui attribua un magnifique appartement voisin du sien et il lui donna, en outre, un grand nombre de femmes esclaves et d’eunuques, puis la laissa se reposer.

Le lendemain matin, la princesse fut éveillée par un bruit de trompettes et de tambours venant du dehors et qui annonçaient, sans aucun doute, des réjouissances. Elle était loin de s’imaginer qu’elle en était la cause.

Le roi de Cachemire, en lui faisant visite, lui apprit que tout ce tumulte était le prélude de ses noces avec elle. La princesse ressentit une telle émotion, à cette nouvelle, qu’elle s’évanouit, car elle s’était bien juré de mourir plutôt que d’être infidèle au prince Phirouz.

Elle demeura longtemps sans connaissance malgré les soins énergiques de ses femmes. Et, quand elle revint à elle, elle feignit d’avoir perdu la raison, tint les propos les plus extravagants, voulut se jeter sur le roi dans un accès de folie furieuse, quand celui-ci l’approcha. Le lendemain et les jours suivants ce fut la même chose.

Le roi fut obligé de consulter ses médecins qui furent introduits, l’un après l’autre, dans la chambre de la princesse.



Mais aucun ne put approcher la princesse qui, à leur vue, entrait dans une colère terrible, car elle craignait que les médecins ne s’aperçussent que sa folie était simulée. Le roi de Cachemire fit alors appeler les médecins des États voisins, et promit une récompense magnifique à celui qui guérirait la malade.

Il en vint beaucoup, de tous les pays ; ils n’eurent pas plus de succès que les premiers, bien entendu.

Le prince Phirouz, qui n’avait cessé de voyager depuis l’enlèvement de sa bien-aimée, eut bientôt vent de cette histoire qui courait le monde. Il acquit la conviction que la princesse en question était bien la princesse de Bengale, et se rendit promptement à la capitale du royaume de Cachemire.

Il se présenta au palais comme un médecin venu de l’étranger pour tenter la guérison de la princesse. Le roi l’accueillit fort aimablement, car il y avait quelque temps déjà qu’aucun médecin ne s’était plus présenté, et il commençait à désespérer de voir jamais la princesse recouvrer la raison.

Le prince Phirouz fut donc conduit auprès de la princesse, qu’il trouva en train de pleurer, en proie à son immense désespoir.



Dès qu’elle reconnut l’habit d’un médecin, elle entra, comme à l’ordinaire, dans une rage folle. Phirouz approcha quand même et prononça tout bas :

« Vous ne me reconnaissez pas, princesse, je suis le prince de Perse qui viens pour vous délivrer ! »

La princesse le reconnut instantanément et fut transportée de bonheur. Phirouz l’entretint tout de suite des moyens qu’il entendait employer pour l’enlever, après quoi il se retira.

Le roi de Cachemire fut émerveillé des résultats obtenus par le prince de Perse ! C’était le premier médecin qui réussissait à approcher de la princesse ; il ne douta pas que la malade fut rapidement guérie grâce à ses soins. En conséquence, il le traita royalement, lui conta même comment la princesse de Bengale se trouvait en sa capitale.

Quant au cheval enchanté, le roi apprit au prince Phirouz qu’il l’avait fait porter dans son trésor, le considérant comme une chose surnaturelle, bien qu’il n’en connut pas le mécanisme.

« Ce que Votre Majesté m’apprend là, déclara alors le faux médecin, éclaire d’un jour tout nouveau la maladie de la princesse.

Vous me dites que la princesse a voyagé sur ce cheval enchanté ; sans aucun doute, elle y aura contracté un peu de l’enchantement, et c’est ce qui provoque son malaise. Je puis dissiper cette néfaste influence à l’aide de parfums qui me sont secrets. Que Votre Majesté fasse apporter le cheval au milieu de la place dès demain, pour le reste, elle n’a qu’à avoir confiance en moi. En tout cas, ce sera un spectacle surprenant, auquel Votre Majesté fera bien de convier sa cour et son peuple. Quant à la princesse, elle devra être habillée le plus richement possible et parée des joyaux les plus précieux. »

Le roi de Cachemire se conforma en tous points aux instructions du faux médecin. Dès le matin, le cheval enchanté fut exposé devant le palais; le souverain était à quelque distance, sur une estrade au milieu de sa cour. Quand la princesse de Bengale fut en selle, le prince de Perse que tous s’imaginaient être médecin, fit poser autour du cheval plusieurs cassolettes enflammées, dans lesquelles il jeta des parfums exquis. Ensuite, il tourna trois fois autour du cheval, feignant de prononcer des paroles magiques. Bientôt la princesse fut complètement dissimulée aux yeux des spectateurs par l’épaisse fumée qui sortait des cassolettes. Le prince en profita pour sauter en croupe du cheval, derrière la princesse. Il tourna la cheville de départ, et prononça ces paroles à haute voix, tandis qu’ils s’élevaient dans les airs :

« Sultan de Cachemire, apprends que l’on n’épouse pas une princesse sans obtenir son consentement ! »

Le même jour, le prince Phirouz et sa fiancée, la princesse de Bengale, mirent pied à terre au milieu du palais du roi de Perse. On fit immédiatement les préparatifs du mariage des deux jeunes gens, et leur union fut célébrée avec un faste inouï.



Le roi de Perse délégua ensuite une ambassade à la cour du roi de Bengale pour l’aviser de ce qui s’était passé, et le bonheur des époux fut parfait quand ils surent que le père de la princesse leur donnait son entière approbation.









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