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Le chat de Beaugency

... de James Joyce

Traduction personnelle à partir du texte original, mise dans le domaine public.

... avec des illustrations de Lelis


par Lelis

Le 10 août 1936, l’écrivain irlandais James Joyce, en séjour à Beaugency, écrivit à son petit-fils Stephen - « Stevie » -. Dans cette lettre, qui ne fut publiée qu’en 1966, il lui raconte une belle histoire…, celle du Diable et d’un chat.


Mon cher Stevie, peut-être ne connais-tu pas l’histoire du chat de Beaugency. Beaugency est une petite ville ancienne, en bordure de la Loire, qui est le plus long fleuve de France. C’est aussi un fleuve très large : à Beaugency, il est si large que si tu voulais le traverser d’une rive à l’autre, il te faudrait faire au moins mille pas.

Il y a longtemps, les habitants de la ville, lorsqu’ils passer de l’autre côté, devaient le faire en bateau car il n’y avait pas de pont. Et ils ne pouvaient pas en construire un eux-mêmes, ou payer quelqu’un pour le faire. Alors que faire ?

Le Diable, qui lit toujours les journaux, entendit parler de leur triste situation. Il s’habilla, et vint rendre visite au maire de Beaugency, qui s’appelait Monsieur Alfred Byrne. Ce notable aimait lui aussi beaucoup s’habiller : il portait une robe écarlate, et avait toujours une grande chaîne en or autour du cou, même lorsqu’il dormait profondément dans son lit, les genoux remontés jusqu’au menton.

Le Diable raconta au maire ce qu’il avait lu dans le journal, et lui dit qu’il pourrait fabriquer un pont pour que les gens de Beaugency puissent traverser le fleuve aussi souvent qu’ils le souhaitaient. Il lui dit que ce pont serait tout aussi solide que les autres, et qu’il pourrait le construire en une seule nuit. Le maire lui demanda combien d’argent il désirait en échange.

« Aucun argent, répondit le diable. Tout ce que je demande, c’est que la première personne qui traverse le pont m’appartienne.

— Parfait ! » dit le maire.

La nuit tombée, tous les habitants de Beaugency allèrent se coucher. Au matin, ils passèrent la tête par la fenêtre et s’écrièrent : « Ô Loire, quel beau pont ! » Car un beau et solide pont de pierre se trouvait jeté de part et d’autre du fleuve.

Tout le peuple courut jusqu’à la tête du pont, et regarda de l’autre côté : le Diable se trouvait là, debout, attendant la première personne qui traverserait. Mais personne n’osait, par peur du démon.

On entendit alors le son d’un clairon : c’était un signe pour demander aux gens de se taire. Le maire de la ville, Monsieur Alfred Byrne apparut dans sa grande robe écarlate, portant sa lourde chaîne d’or autour du cou. Il avait un seau d’eau dans une main, et sous l’autre bras, il portait un chat.

Le Diable s’arrêta de danser en voyant approcher le maire, et ajusta sa longue lorgnette. Tous les gens chuchotaient entre eux, et le chat regardait le maire, - car dans la ville de Beaugency, les chats étaient autorisés à fixer le maire du regard. Quand il fut fatigué de regarder le maire - car il arrive même à un chat de se lasser d’agir ainsi -, il se mit à jouer avec sa chaîne en or.


par Lelis

Tous les hommes retinrent leur souffle, et toutes les femmes leur langue. Le maire posa le chat sur le pont et, en un clin d’œil, splash ! Il vida le seau d’eau sur lui ! Le chat, qui se trouvait maintenant entre le Diable et le seau d’eau, se décida en un instant : il courut, les oreilles rabattues, à travers le pont, jusque dans les bras du Diable. Celui-ci était furieux ! Il hurla à l’intention de la foule :

« Messieurs les Balgentiens, vous n’êtes pas de belles gens du tout ! Vous n’êtes que des chats !*

Et se tournant vers le minet :

— Viens ici, mon petit chat ! Tu as peur, mon petit chou-chat ? Viens ici, le diable t’emporte ! On va se chauffer tous les deux.* »

Et il s’en alla avec le chat dans les bras.

Voici pourquoi depuis ce temps, les habitants de cette ville sont appelés « les chats de Beaugency ». Mais le pont, quant à lui, est toujours là, et il y a des petits garçons qui marchent, montent et jouent dessus !


* En français dans le texte.


Note : Plus sérieusement, on pense que le mot « chat » est en fait une contraction du mot « châtaigne ». Il est vrai que les foires aux châtaignes sont très nombreuses dans la région. Les « chats » de Beaugency seraient en réalité les châtaignes de Beaugency.




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