... de Marie Colmont
Illustration de couverture par Dellwyn Cunningham
Anne-Lise était toute seule dans la cabane, au milieu de la forêt. Toute seule sur son pauvre matelas, et rongée d’une fièvre maligne qui la tenait depuis bientôt deux ans. Sa maman était morte, son père ne quittait pas les cabarets de village. Tantôt l’une, tantôt l’autre des pauvres femmes qui végétaient dans les tourbières de la plaine envoyait là-haut son berger, avec une marmitée de soupe aux raves, une galette d’orge aigrie : mais parfois le berger trébuchait sur la pente, la soupe se répandait sur les pierres, la galette roulait au ravin, et le berger ne montait pas plus avant. Ces fois-là, Anne-Lise croquait des noisettes, ce qui fait qu’après tout, elle était à peu près nourrie tous les jours.
« Mais le médecin, direz-vous, que pensait-il de ce régime ? »
Il n’y avait de médecin qu’au bourg, à des lieues de là, à travers des collines couvertes de bois noirs. On n’allait pas souvent le déranger. Tout le monde était si pauvre que la misère d’Anne-Lise passait inaperçue.
… La nuit était venue, le feu allait s’éteindre, Anne-Lise était toujours étendue sur son lit de feuilles, dont la fièvre semblait faire un lit de flammes, et pour se distraire elle regardait les étoiles par les fentes du toit.
« C’est Noël, songeait-elle. Autrefois, maman mettait un bel arbre au milieu de la chambre, avec des joujoux et des lumières, et elle cuisait de bons gâteaux. C’était fête et nous chantions ‘Mon beau sapin’, de tout notre cœur. Aujourd’hui…
Si douces qu’elle fût, elle eut un peu de révolte.
— Quand même, ce n’est pas juste ! Je n’ai jamais fait de mal, j’ai toujours aidé ceux que j’ai pu. Quand le petit Écureuil s’est fait prendre au piège, je l’ai délivré. J’ai tiré de la patte du Loup l’épine qui le faisait boiter. J’ai caché le Grand Cerf Rouge dans l’étable, le jour où les chasseurs le poursuivaient. J’ai raccommodé la patte cassée du Merle et celle du Renard. J’ai nourri les Lapins, quand le fourrage manquait. Et, l’été où il faisait si chaud, j’ai monté tous les soirs un plein arrosoir d’eau au beau Sapin du Haut de la Colline, celui qu’on appelle le Roi de la Forêt. Et maintenant, je suis abandonnée de tous. »
Si seulement cette horrible fièvre voulait bien s’en aller ! Elle vous mettait devant les yeux de grands cercles de lumières, dans les oreilles des bruits étranges.
C’est à ce moment-là que la porte s’ouvrit, et qu’un Loup entra.
« Bonjour, Loup, dit Anne-Lise, comment va ta patte ?
— Très bien, merci, dit le Loup ; viens te promener.
— Me promener, rit Anne-Lise, mais je ne peux pas, je suis malade !
— Essaie, dit le Loup.
— Essaie, dit une voix grave.
C’était le Grand Cerf Rouge, debout près de la porte.
— Allons ! Essaie, essaie, dirent de petites voies aiguës.
C’étaient les Lapins à la queue blanche qui couraient par la chambre ; ils mordillaient les pieds d’Anne-Lise pour la chatouiller et la faire lever.
— Je ne pourrai jamais marcher, dit la petite fille ; vous n’avez pas idée comme je suis faible !
— Appuie-toi sur nous » dirent le Loup et le Cerf.
C’est ainsi qu’ils partirent à travers la nuit claire : Anne-Lise se tenant des deux bras au cou de ses deux amis, qui se pressaient contre elle pour lui donner de leur chaleur. Devant elle, un Renard claudicant balayait la neige de sa queue touffue et, derrière, les petits Lapins trottinaient, prêts à lui chatouiller les talons de leurs moustaches dès qu’elle ferait mine de s’arrêter.
« Où me menez-vous ? demanda Anne-Lise.
— Tout en haut de la colline, répondit le Loup.
— Je suis fatiguée, gémit-elle.
— Viens, pressa le Grand Cerf en la regardant de ses beaux yeux tendres. Encore un effort.
— Tu verras… promit le Loup.
— C’est une surprise ! glapit le Renard avec un clin d’œil malin.
Et si je vous disais tout de suite ce qu’était la surprise ?
L’idée en était d’abord venue aux Lapins, il faut leur rendre cette justice, alors qu’ils tenaient conseil de clan sur un monticule :
« Quand même, avaient-ils dit, c’est triste de penser que les polissons du village, même les plus pauvres, auront ce soir un bel arbre dans leur maison pour se réjouir et danser autour et que, par cette nuit de Noël, la petite Anne-Lise, qui est si douce pour tous, sera seule dans sa cabane, sans un joujou, sans un bonbon.
— Faisons-lui un arbre de Noël ! cria étourdiment le plus jeune de la bande.
L’idée eut un succès magnifique.
— Pardon, pardon, dit le Roi de la Forêt, en agitant pompeusement ses branches, il me semble que, pour faire un arbre de Noël, je suis particulièrement qualifié. »
Particulièrement qualifié, oui certes, il l’était ; il se dressait sur un rond de pelouse fine, au milieu d’une clairière bien dégagée, et il haussait tout droit sa tête pointue jusqu’au ciel. On l’accepta à l’unanimité.
Chacun se mit au travail. Ah ! Mes amis ! Quelle agitation dans ce coin de la forêt !
Les Araignées - les grosses, les velues, celles que, malgré sa répugnance, Anne-
Lise n’avait jamais voulu écraser -, tendirent de longs fils entre les branches, que la rosée se dépêcha de perler. Toute une équipe d’Écureuils taillaient de leurs dents fines de petits jouets dans des coques de noix, tranchaient à ras des pommes de pin, et les jetaient aux oiseaux qui allaient en volant les suspendre à l’arbre.
« Eh ! La Lune ! Un coup de pinceau là-dessus, pour que ça brille !
— Ça manque de lumière, dit, perplexe, un vieux Merle qui boitillait, ayant une patte trop courte.
— Appelons les Vers Luisants, proposa la Mésange : je jure de n’en croquer aucun…
Les Vers Luisants vinrent par centaines, grimpèrent de-ci de-là dans les branches. Oh ! La jolie lumière bleue !
— Ça manque de friandises, grogna de nouveau le Merle.
— Regardez ! Regardez ce que j’apporte ! cria la Pie : un beau rayon de miel. Ce sont les Abeilles sauvages qui me l’ont donné, se hâta-t-elle d’ajouter devant le regard inquisiteur du Merle, car chacun sait que la Pie n’est pas toujours respectueuse du bien d’autrui.
— Il manque encore quelque chose, fit le vieux Merle : une Étoile, tout au sommet… Eh, psitt ! Toi, là-haut ?
— Quoi ! L’Étoile du Berger ? La plus grosse, la plus brillante ?
— Parfaitement ! Rien n’est trop beau pour Anne-Lise ! »
Celle-ci continuait de gravir la colline, à grande peine. Oh, la, la ! Que c’était dur ! Mais quand elle apparut au sommet de la pente, et vit l’arbre, elle fit :
« Oh ! en joignant les mains. Que c’est joli ! C’est pour moi ?
— C’est pour toi, crièrent-ils en chœur. C’est pour Anne-Lise, notre amie ! »
On l’assit dans un fauteuil de mousse, tout exprès préparé pour elle par les Taupes. Tous les oiseaux de la forêt se mirent à chanter. L’Étoile brillait de tous ses feux ; le miel coulait en larmes blondes. Et toutes les bêtes se pressèrent tendrement autour d’Anne-Lise.
« Comme tout le monde m’aime ! se disait-elle. Comme j’étais sotte tout à l’heure de me désoler ! »
Tout le mal et tout le chagrin qui étaient en elle s’en allaient. Il n’y avait plus de fièvre, plus de faim, plus de solitude, plus d’injustice. Il n’y avait plus, sous le ciel de Noël, que la grande amitié de la Terre pour une petite fille malheureuse.
Alors, elle ferma doucement les yeux et s’endormit, un sourire confiant aux lèvres.
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