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Dick Whittington et son chat

Conte traditionnel de Grande-Bretagne


Illustré par Arthur Rackham et Kate Greenaway


Dick Whittington and His Cat est un conte anglais très connu, dont l’origine remonte sans doute à l’époque pré-victorienne, et qui raconte l’histoire de Richard Whittington (1354 - 1423). Ce riche marchand, devenu Lord Maire de Londres à trois reprises, en 1397, 1406 et 1419, est resté dans l’histoire pour avoir œuvré dans l’intérêt du peuple, en faisant par exemple construire un hôpital pour les jeunes mères dans le besoin.

Selon la légende, après une enfance miséreuse, il aurait fait fortune grâce à la vente de son chat à un pays infesté de rats. Cependant... le vrai Whittington n’était pas issu d’une famille pauvre : il était né, probablement au début des années 1350, dans une ancienne et riche famille de noblesse du Gloucestershire… Et il n’existe aucune preuve historique qu’il ait même possédé un chat…


Dick Whittington par Angus McBride

Illustration d'Angus Mc Bride


Il était une fois un jeune garçon qui avait pour nom Richard Whittington, mais que tout le monde appelait Dick. Sa mère et son père étaient morts quand il était très jeune, et il n’avait plus personne pour s’occuper de lui.

Dick vivait dans un petit village à la campagne. Il essayait de travailler pour gagner sa vie, mais il ne trouvait pas toujours de l’ouvrage. Le garçon était très pauvre ; ses vêtements étaient usés, certains en loques ; et parfois, il n’avait pas grand chose à manger.

À cette époque, les gens ne s’éloignaient que rarement du village dans lequel ils étaient nés. Celui où vivait Dick était très éloigné de Londres. Quand les villageois parlaient de Londres, ils le décrivaient comme un endroit merveilleux. La rumeur colportait que tous les Londoniens étaient riches, et même que les rues de la ville étaient pavées d’or.

Dick écoutait ces histoires, et son envie d’y aller grandissait. Il se disait que là-bas, il pourrait ramasser de l’or dans les rues, et n’aurait plus jamais faim ou froid.


Un jour, il se décida à partir, bien qu’il n’eût aucune idée de la distance à parcourir. Il fit de ses quelques vêtements un paquet et attacha ce paquet au bout de son bâton. Puis il prit la route de Londres.

Il marcha longtemps, sans atteindre sa destination. Alors qu’il commençait à se sentir fatigué, une charrette remplie de foin passa sur la route. Elle était tirée par de grands chevaux, et conduite par un homme au visage aimable. Le conducteur arrêta la charrette et dit en s’adressant à Dick :

« Où vas-tu, mon garçon ?

— Je vais à Londres, monsieur, répondit ce dernier.

— Alors saute à côté de moi, dit l’homme, je vais t’y conduire. »


Quand ils entrèrent dans la ville de Londres, Dick regarda tout autour de lui avec émerveillement. Il était fort surpris de voir autant de personnes dans les rues ; jamais il n’avait rencontré autant de monde ! Les magnifiques églises, les échoppes et les maisons l’émerveillèrent également. Quand il eut surmonté son premier étonnement, il partit à la recherche des rues qui étaient pavées d’or, mais il ne put en trouver nulle part.

La nuit tombait, Dick était fatigué et avait faim. Il n’avait nulle part où dormir, alors il se blottit dans l’embrasure d’une porte, et s’endormit à cet endroit.

Dès le lendemain matin, il essaya de trouver du travail. Il arpenta les rues, demandant aux gens s’ils accepteraient de l’embaucher, mais il n’obtint que des refus. Le soir venu, affaibli par la faim et la fatigue, il s’écroula sur un pas de porte.

Il se trouve que cette maison appartenait à un homme riche, nommé M. Fitzwarren. C’était un marchand, qui avait fait fortune en vendant des choses à des gens, dans d’autres pays.

Le cuisinier de M. Fitzwarren, qui trouva Dick endormi sur le sur le pas de la porte, se mit dans une colère noire :

« Espèce de bon à rien ! cria-t-il. Qu’est-ce que tu fais là ? Lève-toi du seuil de mon maître ! »

Le pauvre garçon tenta de se lever, mais ses jambes ne le portaient plus.

Heureusement, à ce moment précis, M. Fitzwarren en personne, revint à la maison. C’était un homme au grand cœur ; il parla à Dick avec bonté et écouta son histoire.

« Si c’est du travail que tu veux, dit-il dit, tu peux travailler pour moi, avec la cuisinière. Tu seras nourri et logé. »

M. Fitzwarren donna alors des ordres pour qu’on lui serve un bon dîner, et qu’on lui permette d’aider à la cuisine lorsqu’il aurait repris des forces.

Le petit Dick ne demandait qu’à vivre heureux au sein de cette si généreuse famille ; hélas c’était sans compter la méchante cuisinière avec laquelle il devait travailler. Elle n’arrêtait pas de crier du matin au soir : « C’est moi qui commande ici, alors fais attention à toi ! Nettoie la broche, récure la lèchefrite, allume le feu, tourne la manivelle et fait attention, sinon… ! »

Et elle le menaçait en brandissant la louche. À part cela, elle aimait tellement taper sur les escalopes pour les attendrir, que lorsqu’elle n’avait pas d’escalope à sa disposition, elle tapait sur la tête et les épaules du pauvre Dick avec un manche à balai, ou tout autre instrument qui se trouvait à portée de sa main.


Dick Whittington - Arthur Rackham

Finalement, tous ces mauvais traitements parvinrent à l’oreille d’Alice, la fille de M. Fitzwarren, qui avertit la cuisinière qu’elle serait renvoyée si elle ne se montrait pas plus gentille envers Dick.

Mais le garçon avait également un autre sujet de désagrément. Son lit était situé dans un galetas percé de tant de trous dans le plancher et les murs, que toutes les nuits il était tourmenté par des hordes de rats et de souris.

« Si seulement j’avais un chat… » se disait Dick.

Un jour, un monsieur à qui Dick avait ciré les chaussures lui donna un penny pour sa peine. Pourquoi ne pas tenter d’acheter un chat ? Le jour suivant, il se rendit au marché avec son penny dans sa poche. Il y vit une femme qui tenait un joli félin dans ses bras.

« Voulez-vous me vendre votre chat ? lui demanda Dick.

— Non, cela ne me dit rien, répondit-elle. Il me rend de grands services en attrapant les souris ; pour cela, il est formidable.

— C’est exactement ce qu’il me faut » pensa Dick.

Alors il plaida si habilement sa cause que la femme finit par accepter de lui vendre son chat pour un penny.


Dick Whittington - Kate Greenaway

À partir de ce jour là, la vie de Dick est devint plus heureuse. Il aimait son chat, et le nourrissait des restes de ses repas. En échange, la nuit, le chat faisait la chasse aux rats et aux souris : plus un seul n’osait montrer le bout de son museau dans le grenier !



Dick Whittington - Kate Greenaway

Quelque temps plus tard, un navire affrété par son maître s’apprêtait à lever l’ancre ; et comme il était de coutume à l’époque, le maître offrit à chacun de ses serviteurs l’occasion de faire fortune, comme il se l’offrait à lui-même. M. Fitzwarren leur demanda donc ce qu’ils étaient prêts à investir dans l’aventure. Ils avaient tous quelque petit rien qu’ils voulaient risquer dans l’affaire, sauf évidemment, le pauvre Dick, qui n’avait ni argent, ni marchandise à vendre, et donc rien à envoyer au-delà des mers. C’est pourquoi il ne s’était même pas présenté dans la grande salle avec les autres. Mademoiselle Alice en soupçonna la raison et l’envoya chercher.

« Je vais investir pour lui quelque argent de ma bourse, dit-elle.

— Cela ne compte pas, dit son père : il faut que ce soit quelque chose qui lui appartienne en propre.

Dick dit alors :

— La seule chose qui m’appartient en propre, c’est un chat, que j’ai acheté pour un penny à la foire.

— Va chercher ton chat, mon garçon et qu’il s’embarque avec les autres, dit M. Fitzwarren.

Dick dut se résoudre à monter chercher son pauvre minet pour le donner au capitaine.

— Maintenant, dit-il, des larmes plein les yeux, les souris et les rats vont me tenir éveillé toutes les nuits !»

Toute l’assemblée rit aux dépens du pauvre Dick, et de son étrange placement commercial. Seule Mademoiselle Alice en eut pitié et lui donna un peu d’argent pour s’acheter un autre chat.


Dick Whittington - Kate Greenaway

Ce geste, ainsi que maintes autres marques de gentillesse de la part de la jeune fille lui valurent la jalousie de l’acariâtre cuisinière, qui se remit à le traiter encore plus cruellement qu’auparavant. Elle se moquait souvent de lui parce qu’il avait envoyé son chat naviguer sur un bateau. Elle lui disait :

« C’est donc que tu penses tirer de ton chat suffisamment d’argent pour acheter le bâton pour te faire battre ? »

Si bien qu’à la fin, n’en pouvant plus, Dick fit le projet de s’enfuir. Il rassembla ses quelque hardes, et se mit en route de très bon matin. On était le jour de la Toussaint, le 1er novembre. Ses pas le menèrent jusqu’à Holloway ; là il s’assit sur une pierre, que l’on nomme depuis la « Pierre de Whittington », et se demanda quel chemin il convenait de prendre.

Pendant qu’il réfléchissait, les cloches de l’église voisine se mirent à sonner. Elles semblaient lui dire : « Fais demi-tour, Whittington ! Fais demi-tour ! Car trois fois Lord Maire de Londres tu seras ! »



Dick Whittington - Kate Greenaway

« Trois fois Lord Maire de Londres ! pensa Dick. Par ma foi, je serais prêt à supporter presque n’importe quoi pour devenir Lord Maire de Londres et pouvoir me promener dans un beau carrosse ! Bon, courage ! J’y retourne, et au diable les taloches et autres réprimandes de la vieille cuisinière, si c’est pour devenir Lord Maire de Londres ! »

Dick s’en retourna, et eut assez de chance pour rentrer à la maison et se remettre au travail avant que la vieille cuisinière ne descende de sa chambre.


Il faut savoir que pendant ce temps-là, le navire avec le chat à son bord était resté longtemps en mer, lorsqu’il fut enfin poussé par les vents, quelque part sur la rive barbaresque, là où les gens s’appellent les Maures, et dont les Anglais ignorent jusqu’à l’existence. Les autochtones s’assemblèrent en nombre sur la plage pour observer les marins, parce qu’ils avaient une couleur de peau différente de la leur, mais ils les traitèrent de façon fort civile. Ayant fait plus ample connaissance avec les nouveaux venus, ils se montrèrent impatients d’acheter toutes les belles choses dont le vaisseau était chargé.

Ce voyant, le capitaine envoya des échantillons de ses plus belles marchandises au roi de ce pays, qui, très satisfait convia le capitaine en son palais. Ils furent installés, comme le veut la coutume en ce pays, sur de riches tapis brodés d’or et d’argent. Le roi et la reine avaient pris place à un bout de la salle de banquet, et l’on apporta de nombreux plats pour le repas. À peine étaient-ils assis qu’une troupe énorme de rats et de souris fit irruption dans la pièce et engloutit en un instant toutes les victuailles. Le capitaine, stupéfait, demanda si la présence de tous ces rongeurs n’était pas un petit peu… désagréable. On lui répondit :

« Oh, si ! Le roi donnerait volontiers la moitié de tous ses trésors pour en être débarrassé, car ils ne se contentent pas de dévorer sa nourriture, mais ils viennent le harceler jusque dans sa chambre, et même dans son lit ; si bien qu’on doit toujours monter la garde pendant qu’il dort, tant il en a peur. »

Le capitaine entrevit tout l’intérêt qu’il pouvait tirer de cette affaire ; il fit savoir immédiatement au roi qu’il avait à son bord une créature animale susceptible de mettre en fuite toutes ces sales bêtes en un rien de temps. Le roi sauta de joie si haut, en entendant ce discours, que son turban vola dans les airs.

« Je veux voir cet animal sur le champ ; apportez-le moi, car les nuisibles sont une vraie plaie dans une cour royale ; et s’il fait effectivement ce que vous dites, je vous donne en échange une cargaison complète d’or et de bijoux.

Le capitaine, qui connaissait son affaire, en profita pour vanter les mérites du chat, répondant au roi :

— Voyez-vous, Votre Majesté, il n’est pas si facile pour nous de nous en séparer car, lorsqu’il ne sera plus là, les souris et les rats risquent de dévorer toutes les marchandises du navire. Mais, pour vous être agréable, je veux bien aller le chercher.

— Courez vite ! dit la reine, je suis impatiente de voir cette chère créature ! »

Et voilà que le capitaine retourne au bateau, pendant que l’on préparait un autre festin. Il prit le chat sous son bras, et revint au palais au moment même où les rats prenaient la table d’assaut. À la vue des bestioles, le chat ne se le fit pas dire deux fois : il bondit sur la table et, en quelques minutes, laissait presque tous les rats et souris étendus raides morts ; les rescapés, pris de panique, détalèrent en un éclair vers les trous d’où ils étaient sortis.


Dick Whittington - Kate Greenaway

Le roi, ayant été témoin de ces exploits, et comprenant que les descendants de ce chat coloniseraient le pays tout entier, le préservant ainsi des souris, marchanda avec le capitaine pour l’achat de la cargaison du navire, puis multiplia cette somme par dix pour s’acquitter de l’achat du chat.

Le capitaine prit ensuite congé de la famille royale, et profita de vents favorables pour filer vers l’Angleterre. Après une traversée sans encombre, ils arrivèrent sains et saufs à Londres.


Dick Whittington - Arthur Rackham

Un matin, très tôt, M. Fitzwarren venait d’arriver à son bureau et s’était assis à sa table de travail pour préparer sa caisse du jour, lorsqu’on frappa à la porte.

« Qui est là ? dit M. Fitzwarren.

— Un ami, je vous apporte de bonnes nouvelles concernant La Licorne, votre bateau.

L’armateur, oubliant qu’il avait la goutte, se précipita tout excité pour ouvrir la porte au visiteur. C’était le capitaine et son second, les bras chargés d’un coffre à bijoux. Ils contèrent à l’armateur l’histoire du chat, et lui montrèrent le cadeau que le Roi des Berbères envoyait à Dick en échange de l’animal.

M. Fitzwarren, à ces mots, fit appeler tous ses serviteurs.

« Allez le chercher, et informez-le de sa bonne fortune ; et surtout dites bien Monsieur Whittington. »

Dick était occupé à récurer des casseroles dans la cuisine, c’est pourquoi il arriva tout barbouillé de graisse. Mais M. Fitzwarren lui ordonna d’entrer. L’armateur lui fit apporter une chaise, si bien que Dick se dit qu’ils voulaient lui jouer un vilain tour :

« S’il vous plaît, ne vous moquez pas de moi, laissez-moi retourner à mon travail.

— En vérité, Monsieur Whittington, dit l’armateur, nous n’avons jamais été aussi sérieux qu’à l’instant même. Nous nous réjouissons sincèrement d’apprendre la nouvelle que ces messieurs vous apportent ; le capitaine a vendu votre chat au Roi des Berbères, et il vous rapporte pour prix davantage de richesses que moi-même en possède à travers le vaste monde. Mon souhait le plus cher est que vous en profitiez le plus longtemps possible.

Il fit ouvrir le coffre où se trouvait l’immense trésor, en disant :

— M. Whittington, il ne vous reste plus qu’à le mettre à l’abri. »

Le pauvre Dick ne savait pas trop quoi faire tant sa joie était grande. Il pria son maître de se servir autant qu’il lui plairait, car il ne devait tout cela qu’à sa propre gentillesse.

« Pas question, répondit M. Fitzwarren, tout vous appartient et je suis sûr que vous en ferez très bon usage. »

Mais le pauvre garçon avait trop bon cœur pour vouloir tout garder pour lui. Il fit donc des cadeaux au capitaine, à son second, aux serviteurs de l’armateur et même à la cuisinière acariâtre. Après quoi, M. Fitzwarren lui conseilla de faire venir un bon tailleur qui l’habillerait en vrai gentleman, et lui dit qu’il serait heureux de l’accueillir chez lui en attendant qu’il trouve quelque chose de mieux. Si bien que Mademoiselle Alice, qui avait été autrefois si gentille envers lui, le voyait désormais comme tout à fait digne d’être son amoureux attitré. M. Fitzwarren se rendit bientôt compte de l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre, et proposa qu’ils s’unissent en mariage ; ce à quoi ils consentirent. On fixa une date pour la cérémonie religieuse, à laquelle assistèrent le Lord Maire de Londres, les échevins, les hommes d’armes, et un grand nombre de riches marchands, qu’ils convièrent ensuite à un grand banquet.


Dick Whittington - Kate Greenaway

L’Histoire raconte que M. Whittington et son épouse menèrent grand train, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Dick devint d’abord capitaine des gens d’armes de Londres, fut élu maire par trois fois, et fait chevalier par Henry V. Il reçu ce roi et sa reine chez lui à dîner, après qu’il eût conquis la France, avec tant de faste, que le roi s’écria :

« Jamais prince n’a eu meilleur sujet !

Ce à quoi Sir Richard répondit :

— Jamais sujet n’a eu meilleur prince ! »




On pouvait voir, jusqu’en l’an 1780, la statue de Sir Richard Whittington, portant son chat dans les bras, au-dessus de la porte principale de la prison de Newgate, qu’il fit construire pour y enfermer les criminels. Et une statue commémorant le moment où Dick s’est assis et a décidé de faire demi-tour en entendant les cloches, est érigée à Highgate, au Nord de Londres. L’hôpital local y arbore d’ailleurs toujours dans son logo, la silhouette du célèbre chat !



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