J'offre gracieusement toutes mes traductions inédites illustrées. Vous pouvez télécharger ce recueil sur la page :
Le recueil que je vous présente aujourd'hui est particulièrement cher à mon cœur, d'une part en raison de la personnalité de son auteur, dont la vie fut à de nombreux égards remarquable, mais également en raison de l'originalité des contes qui le composent.
Au sujet de leur auteur, Frances Browne, vous pourrez trouver de plus amples renseignements ci-dessous, ou par vos recherches personnelles : je pense qu'elle ne peut que susciter notre admiration et notre sympathie.
Mais d'autre part, les contes qu'elle a écrits ont un immense intérêt, en ce sens qu’ils font partie des premiers récits pour la jeunesse qui ont adopté un parti pris résolument féerique. Frances Browne montre ici son grand talent, sachant qu’elle n’a pu être inspirée par aucun des grands auteurs pour la jeunesse du XIXème siècle britannique. Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, par exemple, n’est publié que neuf ans plus tard. Bien au contraire, c’est elle qui les a inspirés. On sait ainsi, que dans l’inventaire de la bibliothèque de Lewis Carroll, à Oxford, figurait en bonne place ce recueil de contes de fées…
Vous pourrez trouver ci-dessous l'introduction du recueil et les deux premiers chapitres. Si vous souhaitez connaître la suite des aventures de Fleur des Neiges, du roi Bonnemine, et savoir ce qui est advenu au Prince Ruseald, vous pouvez télécharger l'intégralité du recueil : le lien est en début de post.
J'espère que cette lecture sera pour vous une agréable découverte !
Présentation des Contes du temps des fées :
Telle Shéhérazade, l’héroïne de Frances Browne conte chaque soir une nouvelle histoire au monarque. Sept histoires, pour sept jours de banquet, qui vont permettre au prince de surmonter la morosité que génèrent dans son âme les mesquineries de ses courtisans, sa mésentente avec la reine, son épouse, ainsi que les protestations des gens du peuple, qui assiègent les grilles du palais.
Tout ceci se passait il y bien longtemps, à l’époque où les fées peuplaient le monde. C’est ainsi que le lecteur découvre l’histoire des deux frères, Finaud et Faraud, et du coucou de Noël, de Dame Émeraude et son lutin Piquet, des deux seigneurs amis : celui du château blanc et celui du château gris, ou de Courtois le pêcheur, qui visita le royaume caché sous la mer, et bien d’autres héros encore...
- 1 - Au commencement…
- 2 - Le coucou de Noël
- 3 - Le seigneur du château blanc et le seigneur du château gris
- 4 - Le berger cupide
- 5 - Histoire de Korrigan
- 6 - Histoire de Petite Charité
- 7 - Histoire de Funeste et Courtois
- 8 - Histoire de Félix
- 9 - Le retour du prince Ruseald
Introduction
L’auteur de ces contes était une poétesse. Elle souffrait également de cécité.
À chacun de leurs détours, ces histoires nous clament le talent de celle qui les a écrites ; mais du handicap de leur auteur, elles ne nous disent rien. Car chaque histoire possède son propre cadre pittoresque, ses propres paysages, dépeints de façon saisissante. Ce talent d’évocation serait facile à comprendre, si l’auteur avait perdu la vue durant les dernières années de sa vie, après que les beautés de notre monde aient fait impression sur son esprit. Mais Frances Browne était aveugle depuis l’enfance.
Il se trouve que les paysages qu’elle nous décrit par l’écriture, ont été imaginés dans l’obscurité dans laquelle elle vivait, à partir d’éléments qui lui ont été rapportés par d’autres. Rappelons quelques unes des difficultés qui ont marqué son existence. Celles-ci furent nombreuses.
Frances Browne est née à Stranorlar, un village montagnard du comté de Donegal, en Irlande, le 16 janvier 1816. Son arrière grand-père avait déjà dilapidé une immense fortune. Et ses descendants n’héritèrent rien d’autre de leur ancêtre, qu’un caractère imprévoyant. Son père était le postier du village. Septième d’une fratrie de douze enfants, elle ne connut, depuis la toute petite enfance, que les privations. Elle nous raconte comment elle s’instruisit toute seule, en écoutant ses frères et sœurs réciter à haute voix leurs leçons du lendemain. Et comment elle effectuait à leur place leurs corvées domestiques, en échange d’heures de lecture de leurs manuels d’écoliers …
Nous reste le bonheur de découvrir, plus de cent cinquante ans plus tard, les histoires nées de son imagination fertile et poétique. Et de nous laisser bercer par les aventures de ses héros généreux, en ces temps aujourd’hui révolus, mais qui survivent au fond du cœur de chacun : en ces temps où les fées … vivaient parmi nous.
- I - Au commencement …
Il était une fois, en des temps très anciens, à l’époque où les fées vivaient parmi nous, une petite fille si charmante et d’aspect si aimable, qu’on l’avait appelée Fleur des Neiges. Cette enfant était aussi généreuse que belle. Nul ne l’avait jamais vue froncer les sourcils ou céder à la colère. Et petits et grands étaient toujours heureux de sa venue.
Fleur des Neiges n’avait, pour toute famille, qu’une très vieille grand-mère, qu’on appelait Dame Givrée. Les gens n’aimaient pas cette dernière autant que sa petite fille, car il lui arrivait d’être de mauvaise humeur. Elle se montrait cependant toujours gentille à l’égard de Fleur des Neiges. Toutes deux habitaient dans une maison de tourbe, recouverte de roseaux, en bordure d’une épaisse forêt. De grands arbres en abritaient l’arrière du vent du nord, et le soleil de midi en rendait la façade tiède et chaleureuse. Les hirondelles avaient bâti leurs nids sous les corniches, et les marguerites poussaient nombreuses sur le seuil. Cependant, nul dans le pays n’était aussi pauvre que Fleur des Neiges et sa grand-mère. Elles ne possédaient en tout, qu’un chat et deux poules. Leur lit était fait de foin. Et le seul meuble valable de la maison était un grand fauteuil avec un coussin de velours noir, dont les pieds étaient munis de roulettes, et le dossier de chêne sombre orné de nombreuses gravures représentant des fleurs et des faons.
C’est dans ce fauteuil que Dame Givrée s’asseyait pour filer, du matin au soir, afin de gagner leurs vies à toutes deux. Pendant ce temps-là, Fleur des Neiges ramassait du petit bois pour le feu, s’occupait des poules et du chat, ou faisait toute chose que sa grand-mère lui ordonnait. Personne dans le comté ne filait une laine aussi fine que Dame Givrée. Mais celle-ci filait très lentement. Son rouet était aussi vieux qu’elle-même, et bien plus usé. À dire vrai, le plus étonnant était qu’il ne fût pas déjà tombé en morceaux. En conséquence, les revenus de la grand-mère étaient bien maigres, et leur train de vie fort modeste. Malgré tout, Fleur des Neiges ne ressentait pas le désir de posséder de beaux vêtements, ou de se régaler de bons repas. Chaque soir, quand elle garnissait le feu des tas de brindilles qu’elle avait amassées, jusqu’à ce que celles-ci s’embrasent et crépitent, Dame Givrée abandonnait son rouet pour lui conter une nouvelle histoire. La petite fille se demandait souvent où sa grand-mère avait pu apprendre tant d’histoires différentes. Mais elle fut bientôt renseignée sur ce dernier point.
Un beau matin, à la saison où les hirondelles étaient de retour, la dame se leva, mit la cape grise à capuche qu’elle portait quand elle se rendait à la foire pour vendre sa laine, et dit :
« Mon enfant, je dois entreprendre un long voyage, pour rendre visite à une de mes tantes, qui habite dans le Nord. Je ne peux pas t’emmener avec moi, car ma tante a le caractère le plus épouvantable de tout le pays, et elle ne supporte pas les enfants. Mais les poules te donneront des œufs. Il y a de la farine d’orge en réserve. Et comme tu t’es montrée gentille, je vais te dire ce que tu devras faire si tu te sens trop seule : pose doucement ta tête sur le coussin du fauteuil, et dis ‘Fauteuil de ma grand-mère, raconte-moi une histoire’. Il a été fabriqué par une fée ingénieuse, qui m’en a fait cadeau quand j’étais plus jeune. Elle me l’a donné, parce qu’elle savait que personne d’autre que moi, ne pourrait mieux conserver ce qui leur avait appartenu. Souviens-toi : tu ne dois jamais demander plus d’une histoire par jour. Et si une quelconque occasion de voyager se présente, il te suffit de t’asseoir dans le fauteuil, et de dire : ‘Fauteuil de ma grand-mère, emmène-moi à cet endroit’. Il t’emportera où tu voudras. Mais pense à graisser les roues avant de sortir, parce que durant les quarante dernières années, il est resté dans le même coin, avec moi assise dessus. »
Après avoir dit cela, Dame Givrée se mit en route pour rendre visite à sa tante, dans le Nord du pays. Fleur des Neiges ramassa du bois, et prit soin du chat et des poules, comme tous les jours. Elle confectionna un ou deux gâteaux d’orge, en puisant dans la réserve de farine. Mais à la tombée de la nuit, la petite maison lui sembla bien solitaire. Elle se souvint alors des mots de sa grand-mère, et, posant doucement sa tête sur le coussin, elle dit :
« Fauteuil de ma grand-mère, raconte-moi une histoire. »
À peine eut-elle prononcé cette phrase, qu’une voix claire s’éleva du coussin, et entreprit de lui conter une histoire des plus merveilleuses. Cela décontenança tant Fleur des Neiges, qu’elle en oublia sa peur. Chaque matin, elle cuisait un gâteau d’orge, et chaque soir, le fauteuil lui racontait une nouvelle histoire. Jamais elle ne put découvrir à qui appartenait la voix, bien qu’elle montrât sa gratitude au fauteuil en cirant son dossier de chêne, et en dépoussiérant son coussin de velours, jusqu’à ce que le tout paraisse neuf à nouveau.
Les hirondelles revinrent, et bâtirent leurs nids sous les corniches. Les marguerites poussèrent en bouquets plus denses que jamais sur le seuil de la porte. Mais plusieurs infortunes s’abattirent sur Fleur des Neiges. Malgré ses soins vigilants, elle oublia de couper les ailes des poules, et celles-ci s’envolèrent un beau matin, pour aller rendre visite à leurs amis les faisans, qui habitaient au fin fond de la forêt. Le chat fit de même, pour aller retrouver sa famille. Il ne restait plus que deux poignées de farine d’orge. Et les yeux de Fleur des Neiges étaient fatigués à force de guetter en vain la pèlerine grise. Dame Givrée ne réapparaissait pas.
« Ma grand-mère est partie depuis longtemps, se disait Fleur des Neiges. Et il n’y aura bientôt plus rien à manger. Si je pouvais lui parler, peut être me dirait-elle ce que je dois faire. Voilà une excellente occasion de voyager. »
Le lendemain à l’aube, elle graissa les roulettes du fauteuil, confectionna un gâteau avec ce qu’il restait de farine, le mit sur ses genoux en tant que provision de voyage, et tout en s’asseyant, dit :
« Fauteuil de ma grand-mère, emmène-moi à l’endroit où elle s’est rendue. »
Immédiatement, le fauteuil, dans un grincement, sortit de la maison, pour se diriger vers la forêt, en suivant le chemin exact qu’avait emprunté Dame Givrée. Il y filait à la vitesse d’un carrosse tiré par six chevaux. Fleur des Neiges était émerveillée par cette façon de se déplacer. Le fauteuil ne fit aucun arrêt. Mais le voyage prit fin cependant avant que ne se termine cette journée d’été, car au coucher du soleil, ils parvinrent à une clairière, où une centaine d’hommes abattaient des arbres à la hache. Une centaine d’autres fendaient le bois pour le feu, et vingt conducteurs de chariots, avec chevaux et véhicules, emportaient le bois.
« Oh ! Fauteuil de ma grand-mère, arrête-toi ! » dit Fleur des Neiges, qui se sentait fatiguée, et qui était curieuse de savoir ce que tout cela pouvait bien signifier. Le fauteuil s’immobilisa sur le champ. Fleur des Neiges, repérant un vieux bûcheron qui paraissait courtois, descendit de son fauteuil et s’adressa à lui :
« Monsieur, pouvez-vous me dire pourquoi vous coupez tout ce bois ?
— De quelle campagne venez-vous donc, pour ne pas savoir cela ? répondit l’homme. N’avez-vous pas entendu parler du grand festin que notre souverain, le roi Bonnemine envisage de donner pour fêter l’anniversaire de sa fille unique, la princesse Gourmandine ? Les festivités dureront sept jours. On y mangera de tout. Et ce bois est destiné à faire rôtir les bœufs et les moutons, les oies et les dindes, dont les troupeaux font entendre des cris de lamentations à travers tout le pays. »
En entendant ces mots, Fleur des Neiges, qui n’avait rien mangé d’autre que des gâteaux d’orge depuis longtemps, ne put retenir l’envie d’assister à un festin aussi grandiose, et peut être même de faire partie des convives. Elle dit :
« Fauteuil de ma grand-mère, emmène-moi vite au château du roi Bonnemine ! »
Ces mots furent-ils à peine prononcés, que le fauteuil décolla dans les airs, passa au travers des arbres, et sortit de la forêt. Les bûcherons, qui n’avaient jamais rien vu de tel, furent ébahis à un tel point qu’ils jetèrent leurs haches à terre, abandonnèrent leurs chariots, et suivirent Fleur des Neiges jusqu’aux portes d’une grande et magnifique cité fortifiée, aux hautes murailles et aux portes imposantes. Elle se tenait au milieu d’une vaste plaine, recouverte de champs de maïs, de villages et de vergers.
C’était la ville la plus prospère du pays : les marchands y venaient de partout pour acheter et vendre, et certains disaient qu’il suffisait d’y vivre sept ans pour faire fortune. Cependant, alors que son fauteuil parcourait les rues dans un bruit de ferraille, Fleur des Neiges se disait que ses habitants avaient beau être riches, elle n’avait jamais vu tant de visages malheureux et cupides, pointant leur nez hors des grands magasins, des luxueuses demeures et des beaux carrosses. Il est vrai que les citoyens de ce pays ne brillaient, ni pour leurs qualités de cœur, ni pour leur honnêteté.
Les choses n’étaient pas ainsi au temps de la jeunesse du roi Bonnemine, quand lui et son frère, le prince Ruseald, dirigeaient ensemble le royaume. Ruseald était un prince merveilleusement sage et érudit. Il avait une parfaite connaissance de l’art de gouverner, de la nature humaine, et du mouvement des planètes. Il était de surcroît un grand magicien, et on disait de lui qu’il ne vieillirait et ne mourrait jamais. En son temps, ni l’insatisfaction ni la maladie n’existaient en ville. Les étrangers y étaient reçus avec hospitalité, gracieusement, et sans qu’on leur posât de questions. Il n’y avait jamais de procès, et personne ne fermait sa porte durant la nuit. Les fées avaient l’habitude de venir en ville, à l’occasion du 1er mai, ou de la fête des Archanges, le 29 septembre, pour rencontrer les amis du prince Ruseald. Toutes, sauf une, appelée Fortunetta, une fée très maligne bien qu’impulsive, qui détestait tous ceux qui étaient plus habiles qu’elle, et tout particulièrement le prince, parce qu’elle ne parvenait jamais à se jouer de lui.
La paix et la sérénité régnèrent pendant de longues années dans la cité du roi Bonnemine, jusqu’au jour où, au milieu de l’été, le prince Ruseald se rendit dans la forêt à la recherche d’une plante rare, et ne revint pas. Bien que le roi et ses gardes l’aient cherché en tous sens, on n’entendit plus jamais parler de lui. Son frère disparu, le roi Bonnemine se sentit seul dans son vaste palais. En conséquence, il épousa une certaine princesse, prénommée Javotte, qu’il fit venir au château pour devenir reine. Cette princesse n’était ni belle ni aimable. Le peuple se disait que pour avoir obtenu l’amour du roi, elle devait lui avoir jeté un sort, car toute sa dot se résumait à une île déserte sur laquelle se trouvait un puits si profond qu’il ne fallait pas espérer le combler. En outre, son naturel était si insatiable, que plus elle possédait de choses, plus elle en désirait.
Le temps passant, le roi et la reine eurent un unique enfant, une fille, qui devait hériter de tous leurs biens. Elle s’appelait Gourmandine. Et c’était elle dont la ville entière était en train de préparer les festivités d’anniversaire. Non pas que le peuple se souciât beaucoup de la princesse, qui ressemblait en tous points à sa mère, autant dans l’apparence que dans le caractère, mais comme elle était la fille unique du roi Bonnemine, les gens venaient des quatre coins du royaume assister à la fête, et parmi eux, des étrangers et des fées, qu’on n’avait pas aperçus depuis la disparition du prince Ruseald.
L’agitation était extraordinaire autour du palais, une bâtisse des plus imposantes, si vaste qu’elle possédait une chambre pour chaque jour de l’année. Les planchers étaient en bois d’ébène, et les plafonds en argent. Il y avait une telle quantité de plats en or destinés au service, que cinq cents hommes en armes montaient la garde nuit et jour, de crainte que l’un d’entre eux ne fût volé.
Quand ceux-ci aperçurent Fleur des Neiges juchée sur son fauteuil, ils coururent l’un après l’autre en rendre compte au roi, car on n’avait jamais vu rien de semblable dans le royaume. Toute la Cour s’empressa de sortir, afin de voir la jeune fille et son fauteuil qui se déplaçait tout seul.
À la vue de ces messieurs, et de ces dames portant des toilettes brodées et des bijoux magnifiques, Fleur des Neiges eut d’abord honte de ses pieds nus et de sa robe de lin. Mais reprenant courage, elle entreprit de répondre à leurs questions, et leur raconta toute son histoire, ainsi que celle de son fauteuil magique. La reine et la princesse ne faisaient aucun cas de ce qui ne brillait pas. Les courtisans s’étaient mis au diapason, et tous lui tournèrent le dos, dans une attitude de profond dédain. Mais le vieux roi, qui se disait que le fauteuil pourrait bien l’amuser de temps à autre, quand il se sentirait trop déprimé, autorisa Fleur des Neiges à assister à la fête, dans la plus miteuse de ses cuisines, en compagnie du petit marmiton.
La pauvre petite fille se serait contentée de n’importe quoi, bien que nul ne fasse rien pour l’accueillir, pas même les servantes, qui méprisaient sa robe de lin et ses pieds nus. Ils mirent son fauteuil, non pas dans une chambre, mais dans un recoin poussiéreux, derrière la porte du fond. Là, on dit à Fleur des Neiges qu’elle était autorisée à dormir durant la nuit, et à manger les bas morceaux que le cuisinier lui jetterait.
Le festin commença le jour même. C’était une merveille de contempler le spectacle des très nombreux carrosses, des gens à pied ou à cheval, qui se pressaient en foule vers le palais, occupant chaque espace vacant selon les règles du protocole. Jamais Fleur des Neiges n’avait vu autant de choses rôties et bouillies. Il y avait du vin pour les messieurs, et de la bière épicée pour les gens du peuple, toutes sortes de musiques et de danses, ainsi que des tenues aux couleurs chatoyantes. Mais sous les hourras, on percevait peu de gaieté, et la mauvaise humeur semblait régner au palais.
Certains invités trouvaient les pièces trop petites, d’autres étaient vexés de constater que beaucoup avaient meilleure allure qu’eux. Tous les domestiques étaient déçus de ne pas recevoir de cadeaux. Chaque heure qui passait, on prenait quelqu’un en flagrant délit de vol de vaisselle. Et une foule de gens était sans cesse attroupée au portail, réclamant les biens et les terres que la reine Javotte leur avait confisqués. Les gardes ne cessaient de les chasser, mais ils revenaient continuellement, et on pouvait les entendre distinctement jusque dans la salle de banquet la plus éloignée. Aussi, n’était-il pas surprenant que le moral du vieux roi fût particulièrement bas, ce soir, après le dîner. Son page préféré, qui se tenait toujours derrière lui, se rendant compte de cela, rappela à sa Majesté la petite fille et son fauteuil.
« C’est une excellente idée ! dit le roi Bonnemine. Voilà des années que je n’ai pas écouté une histoire. Faites venir sur le champ l’enfant ainsi que son fauteuil ! »
Le page favori fit porter le message au premier de cuisine, qui le dit au chef cuisinier. Le chef cuisinier en fit part à la fille de cuisine, qui le dit au premier marmiton. Le premier marmiton le dit au commis de cuisine, et ce dernier ordonna à Fleur des Neiges de se laver la figure, de nettoyer son fauteuil, et de se rendre à la plus haute des salles de banquet, car le grand roi Bonnemine y souhaitait écouter une histoire.
Personne n’offrit de l’aider, mais Fleur des Neiges se rendit aussi présentable qu’elle le put avec de l’eau et du savon, et frotta son fauteuil si énergiquement qu’on pouvait croire qu’aucun grain de poussière ne s’y était jamais posé. Puis elle s’assit, et dit :
« Fauteuil de ma grand-mère, emmène-moi à la plus haute des salles de banquet ! »
Immédiatement, le fauteuil sortit de la cuisine par un déplacement guindé et cérémonieux, monta le grand escalier, et entra dans la salle la plus éloignée. On y avait rassemblé pour la fête les plus grands seigneurs du royaume, ainsi que leurs épouses. On n’avait pas vu au palais une société d’un tel rang depuis le règne du prince Ruseald. Nul ne portait d’étoffe qui fût plus commune que du satin brodé. Le roi Bonnemine siégeait sur son trône d’ivoire, vêtu d’un habit de velours pourpre, que des fleurs d’or brodées rendaient tout raide. La reine se tenait à ses côtés, dans une robe argentée, retenue par des perles. Mais la tenue de la princesse Gourmandine était plus belle encore, car la fête était donnée en son honneur. Celle-ci portait une robe d’or, aux fermoirs de diamants. Deux dames de compagnie vêtues de satin blanc étaient debout à sa gauche et à sa droite, pour tenir son mouchoir et son éventail. Et deux pages, en livrée de dentelle dorée, se tenaient derrière elle. Malgré tout cela, la princesse Gourmandine avait une tournure peu gracieuse et méprisante. Elle et sa mère étaient fort mécontentes de voir qu’on autorisait une fillette aux pieds nus, ainsi qu’un vieux fauteuil, à entrer dans la salle du banquet.
La table était encore couverte de plats d’or, et de mets les plus fins. Cependant, personne n’offrit à Fleur des Neiges ne serait-ce qu’un morceau. Aussi, après s’être inclinée respectueusement devant le roi, la reine, la princesse, et l’honorable société, - révérence que peu remarquèrent -, la pauvre fillette mit pied à terre sur le tapis, posa sa tête sur le coussin de velours, comme elle le faisait dans son vieux logis, et dit :
« Fauteuil de ma grand-mère, raconte-moi une histoire. »
Toute l’assemblée fut stupéfaite, jusqu’à la grincheuse reine et la malveillante princesse, quand une voix claire sortit du coussin, en disant ces mots :
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